" Il était une fois, cachée entre les arbres d' une grande forêt, une petite cabane ou vivait une étrange vielle femme. Les enfants avaient interdiction de s'en approcher car, disait on, c'était une sorcière ! ....
Durant tout mon enfance, j'ai lu et relu des contes de fées: la méchante Ursula de la petite sirène, celle de Blanche Neige, Baba Yaga, et surtout ! Et celle qui me fit le plus peur: la terrible sorcière d'Hansel et Gretel ... Comme tous les enfants, j'ai aimé avoir peur... En grandissant, les sorcières ont continué à me fasciner. Du coup, j'ai fini par apprendre à me servir des plantes pour me soigner ... Enfin, pas toujours ! En vivant dans ce beau pays qu'est le Gers, j'ai recherché quelques informations sur les sorcières locales ... Et j'ai découvert qu'au fil des siècles, la Gascogne a vu se développer des pratiques qui mêlaient médecine, magie et croyances mystiques. Parmi les personnages les plus intrigants de cette époque figuraient les devins et guérisseurs locaux, des figures qui offraient bien plus que des remèdes traditionnels. Leur savoir-faire, souvent perçu comme ésotérique et mystérieux, faisait d'eux des personnalités respectées, mais aussi parfois redoutées.
Les devin(e)s et guérisseurs étaient - ils des médecins ou des magiciens ?
Les devins, appelés los dovins ou los dovinars, étaient nombreux à fréquenter les marchés, où ils proposaient leurs services aux villageois. Pour eux, la guérison ne se limitait pas à l’usage de simples plantes médicinales : ils s'adonnaient également à des pratiques étranges, parfois inquiétantes. Un pigeon blanc coupé en deux, placé sur la tête d'un malade, était censé soigner une migraine. D'autres remèdes, souvent jugés excentriques, comprenaient des potions composées de têtes de crapaud ou des rituels mystérieux, tels que des invocations ou des prières à réciter en parallèle pour garantir l'efficacité du traitement.
Ces guérisseurs se nourrissaient de croyances populaires, mais aussi de la crainte des villageois face aux maladies et aux malheurs. Les remèdes qu'ils prescrivaient étaient souvent répertoriés dans des ouvrages comme Le Grand Albert ou Le Petit Albert, des grimoires magiques qui mêlaient astuces de guérison, recettes de vin épicé et pratiques mystiques. Ces livres devenaient des outils de référence, permettant à ceux qui les possédaient de jouer avec les frontières entre le monde tangible et l'invisible.
Une Pratique Condamnée par la Religion et la Loi
Cependant, ces guérisseurs se heurtaient à une barrière insurmontable : l’Église catholique et ses autorités locales. Bien qu’ils n’aient pas toujours été considérés comme des sorciers, leurs pratiques étaient souvent perçues comme suspectes, voire hérétiques. C’est ainsi qu’à Fleurance, dans notre belle Gascogne, un arrêté fut pris pour interdire aux devins l’accès au marché, pointant du doigt la nature occulte de leurs activités. Le lien étroit entre les guérisseurs et la magie, tout comme la superposition de croyances religieuses et mystiques, posait un problème aux autorités. Les prières qu'ils prescrivaient étaient là pour se dédouaner des soupçons de sorcellerie, mais aussi pour apaiser les consciences des plus pieux.
En dépit de ces interdictions, les guérisseurs continuaient d'attirer les foules, et leur savoir ésotérique continuait de se transmettre à travers les générations.
La Chasse aux Sorcières : Entre Peur et Répression
Parallèlement à ces pratiques populaires, la Gascogne, tout comme le reste de l’Europe, connaissait des périodes de grande répression contre les sorcières. À partir du XVe siècle, l’Inquisition se déchaîna, accusant des femmes, souvent des paysannes, d’avoir pactisé avec le diable et de jeter des sorts. Ces sorcières étaient souvent désignées comme responsables de la maladie, de la mort des bétails, ou de toute forme de malheur affectant la communauté.
Les accusations de sorcellerie étaient parfois basées sur des ragots, des jalousies locales ou des querelles familiales. Les femmes accusées de sorcellerie étaient parfois les victimes d’une société patriarcale où la peur de l’inconnu et la superstition alimentaient des chasses aux sorcières cruelles. On les accusait de se rendre à des sabbats où elles invoquaient des forces obscures et participaient à des cérémonies sataniques. En réalité, nombre d'entre elles étaient simplement des guérisseuses ou des sages-femmes, souvent mal comprises ou maltraitées par une société en quête de boucs émissaires.
L’une des figures mythiques qui alimentait la terreur était celle du croque-mitaine, aussi appelé camo cruso (la "jambe crue"), qui était censé dévorer les enfants et semer la terreur dans les villages. Les rumeurs de messes noires et de rituels démoniaques, souvent exagérées ou totalement inventées, nourrissaient les peurs collectives.
L’Édit de Louis XIV : La Fin de la Chasse Aux Sorcières
Le règne de Louis XIV, marqué par une volonté d’unité et de contrôle social, a vu une évolution significative des pratiques judiciaires concernant la sorcellerie. En 1682, le roi de France interdit les exécutions publiques des sorcières, qui avaient été monnaie courante au cours des siècles précédents. Le roi met également fin à la tradition de jeter des chats noirs dans les feux de la Saint-Jean, une coutume populaire symbolisant l’éradication du mal.
Cet édit marque un tournant dans la répression des croyances populaires et des pratiques de sorcellerie, reflétant une volonté de rationaliser et d’apaiser les tensions sociales liées à la peur de l’invisible. Pourtant, la crainte des sorcières perdure dans l’imaginaire collectif, et les saints tels que Saint Benoît, Saint Loup ou Saint Eutrope deviennent des figures protectrices contre la sorcellerie.
Héritage et Superstition
Les guérisseurs, les devins et les sorcières de la Gascogne ne sont pas seulement des vestiges d’un temps révolu. Ils incarnent une époque où les frontières entre science, croyance et magie étaient floues. Si la répression a poussé ces pratiques dans l’ombre, elles n’ont jamais totalement disparu. Elles continuent de nourrir des mythes et des légendes, et les habitants des régions rurales, parfois plus enclins à croire en ces forces invisibles, perpétuent des traditions qui témoignent de la complexité des rapports entre foi, superstition et guérison.
Aujourd'hui encore on dit dans le monde des magnétiseurs, des rebouteux, qu'il y aurait toujours dans le Gers, derrière chaque colline une sorcière ou un sorcier qui prépare discrètement quelques potions des familles ... C'est ce qu'on dit , mais ...Chut c'est secret....
Isabelle Gaignier