Gai gai marions-nous... en 1946 !

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Posons d'abord le cadre : les parents sont Maurice et Jacqueline, Albert et Mélanie, les enfants, Marc et Jeanine, Ernest le conteur de cette histoire, qui a participé au mariage.

Il était tout jeune à l'époque et en tant que frère du marié, il a vécu de près les préparatifs du mariage et le jour de fête.

Les préparatifs autrefois étaient de la plus haute importance et commençaient longtemps à l'avance.

Ernest se souvient bien d'avoir souvent entendu ses parents se disputer au sujet du choix des invités, un choix souvent sujet à chicaneries.

« Tu veux inviter ton cousin éloigné qui est député, mais on n'en a rien à faire de lui, il vit dans le Nord et on ne le connaît même pas, râlait Maurice.

- Ah oui, bien sûr, et toi, tu peux inviter tes cousins au 5e degré ? » rétorquait Jacqueline.

Chaque famille avait fait la liste de  ses invités de son côté : 142 invités en tout.

« C'est trop, disait-on des deux côtés. Il faut élaguer et il faut élaguer dur! Ca va faire des mécontents, des gens qui vont nous en vouloir mais tant pis, il faut le faire. »

Non sans mal et sans nouvelles disputes, les deux familles avaient réussi à "descendre" à 72 personnes plus 5 musiciens.

Après les invitations, l'autre souci était le repas de noces, le moment fort de la journée.

« Je ne vois personne d'autre que Charlotte du charron [l'épouse du charron], c'est la seule fine cuisinière du secteur qui peut concevoir un repas pour une centaine de personnes », avait dit Maurice qui, sans difficultés, avait convaincu les autres décideurs également financeurs.

Charlotte ayant donné son accord, elle leur avait demandé quelques jours pour réfléchir au menu.

Le jour fixé, elle leur avait  présenté une feuille comportant maintes ratures, une feuille comportant une impressionnante énumération de plats.

Ernest n'a oublié aucun met de ce menu d'anthologie [ menu authentique ]

Potage tapioca

Sélection de hors d'oeuvre ( charcuterie)

Poisson mayonnaise

Bouchées à la Reine

Rôti de veau

Gigot de mouton sauce chevreuil

Foie gras à la gelée

Pintades sur canapé

Rochers de choux

Gâteaux Moka

Crème vanille

Gâteaux secs

Maurice s'était risqué à dire : « Il n'y a pas de légumes ? »

Charlotte avait rétorqué que tout le monde mangeait tous les jours des légumes, des patates, des carottes, des navets qu'on avait au jardin.

« Un repas de noces ne se fait pas avec des légumes ! Avec moi, on va manger de la viande! »

La mode vegan n'étant pas encore en vogue et Charlotte ayant un fort caractère, personne n'avait bronché.

« Ca va éclaircir mon troupeau de pintades »

« Et moi, ma réserve de foie gras ! » avait-on pu entendre.

« Quant à moi, j'ai déjà donné mon veau au boucher qui l'a découpé en prévision du mariage ! » s'était empressé de dire Maurice.

Mais Charlotte poursuivait : « Je porterai de la moutarde Bezolles et, en grande quantité, ma spécialité, ma fameuse rémoulade pour accompagner les viandes.

Le vin sera dans des carafes que j'apporterai et il vous faudra prévoir derrière des barricots de rouge, de rosé, de blanc. »

Dans l'histoire des menus de noces, on n'avait jamais vu un menu aussi original qui est d'ailleurs resté dans les annales, sous le nom du « menu de Charlotte du charron »

Le jour J était enfin arrivé.

Après la bénédiction à l'église et le mariage à la mairie et après l'apéritif offert aux habitants de la commune, tous les invités étaient descendus au Faitaie, une grande grange dans laquelle Marcel parquait ses moutons. En période d'estive, elle était inoccupée et constituait le lieu idéal pour le repas de noces.

Le repas s'était bien passé même s'il avait été un peu long et avait suscité quelques commentaires quant à sa composition !

Il n'y avait pas eu de chicanerie. Les deux familles avaient établi longtemps à l'avance un plan de table mûrement réfléchi de manière à ne pas mettre ensemble des personnes depuis longtemps fâchées ou d'opinions politiques opposées !

A la fin du repas, il y avait eu des chansons et même une mémé qui avait récité « La cigale et la fourmi », apprise 92 ans auparavant !

En plus des nombreux desserts, le boulanger, ami de la famille avait offert un tourteau aussi grand que la roue de sa voiture... qu'il était allé mesurer avant sa confection !

Il y avait aussi sur la table les bouteilles d'armagnac et du sucre pour faire son petit canard. Ils l'avaient oublié, c'était Ernest qui leur avait soufflé !

Après les desserts, Maurice était arrivé avec un grand récipient de cuivre qu'il avait posé sur un trépied sous lequel brûlaient des fagots de sarment.

« Maintenant, je vais vous faire le brûlot ! » avait-il expliqué aux convives.

Et il avait versé dans le récipient 20 litres d'eau de vie, «  20 litres que j'ai obtenus en distillant 60 litres de vin rouge. Mon armagnac est fameux car rempli de saveurs différentes. C'est de la blanche car elle n'a pas encore pris la couleur du fût. »

Et le voilà versant l'armagnac, rajoutant le sucre et touillant avec un pieu. De grandes flammes s'élevaient sous les applaudissements.

Après la gastronomie, place à l'esthétique !

Il goûtait régulièrement jusqu'à ce que le mélange soit à point.

Après avoir arrêté le feu et laissé refroidir le breuvage, il avait invité les convives à venir se servir à l'aide des petites louches posées à côté du récipient, une louche pleine remplissant un demi-verre.

Même les musiciens s'étaient levés pour se servir du brûlot et ils avaient posé leur verre à côté sur l'estrade pour se désaltérer de temps à autre.

Même si les notes n'étaient pas toujours justes, les invités avaient dansé sans s'arrêter..

Ernest se remémorait les deux résiniers, les Geyser, étendus sur une botte de foin, qui somnolaient en n'ayant rien perdu de leur superbe dans leur costume de dimanche et leurs souliers vernis, le béret sur la tête.

Ils n'allaient pas repartir de sitôt...

Ernest avait bu 5 louches et s'était assis sur une botte de paille quand Amélie était venue lui rappeler qu'il lui avait promis une valse.

« On va peut-être attendre que les vapeurs du brûlot de Maurice se dissipent », lui avait-il répondu.

Le lendemain, on avait continué la fête avec les voisins.

Ce fut un mariage d'anthologie dont même les journaux parlèrent.

Le député du Nord, cousin au 11e degré [!!!] de Jacqueline que cette dernière avait réussi à conserver parmi les invités, en a longtemps parlé autour de lui, espérant peut-être que cela lui apporterait quelques voix aux prochaines élections !

Pierre DUPOUY 

 

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