Las batteros à Cadignan (les battages)
A Cadignan, sur le plateau proche de l’église, une association recréait, chaque été, le temps d’avant en organisant un battage de céréales à l’ancienne.
Tout le matériel était installé notamment un tracteur qu’on mettait en route en lançant une grosse roue, mais le plus spectaculaire était la routière, machine à vapeur qu’on admirait et qui était l’objet de visites prolongées du public.
Elle crachait de la vapeur ; l’employé de temps en temps tirait le sifflet.
C’est avec enthousiasme que les agriculteurs reprenaient les places qu’ils avaient occupées lorsqu’existait le battage à la ferme : l’un faisait passer les gerbes sur le batteur, un autre coupait la ficelle et la gerbe était absorbée par le rouleau d’acier de battage.
Le blé coulait doré et bien trié derrière le batteur. Les gros bras se mobilisaient pour transporter les sacs de 80 kilos au grenier.
Je me souviens qu’un petit homme malingre faisait la pige à tous les autres car il chargeait tout seul le sac de 80 kg et même plus car quelquefois, pour diminuer son prestige, on lui rajoutait 20 kg. Mais cela ne le gênait pas dans son exploit.
À la presse, évoluaient les paysans les plus techniques car il fallait introduire le filet dans une aiguille et au rythme de la machine.
Pour porter les bottes de foin, on se coiffait d’un sac retourné pour éviter les petits morceaux de paille dans le cou.
Le paillon (l’enveloppe de la céréale) était éjecté et formait un épais tapis où se roulaient les enfants, même dans le costume de messe.
Le sifflet de la routière indiquait la pause-boisson : blanc, rosé ou rouge, on buvait puis, d’un coup sec, on tournait le verre dans une grande bassine d’eau et le suivant prenait le relais.
« Pour faire descendre la poussière, il me faut un troisième verre » disait un spécialiste des battages d’autrefois.
Lou soupa de las batteros (le souper des battages)
L’association organisatrice respectait les traditions dans leurs moindres détails.
Un repas était organisé pour tous les travailleurs de l’après-midi.
On s’installait aux tables suivant le voisinage ou l’équipage de travail de l’après-midi.
Auparavant, on était passé à la pompe pour faire tomber la poussière et on était allé aux voitures chercher les habits du dimanche.
Avec le floc, apéritif ouvrant le repas, on débutait les discussions. Ceux qui avaient travaillé l’après-midi disaient aux invités, le maire, le conseiller général, les correspondants de presse : « Ah, ils n’ont pas bouffé de la poussière ceux-là ! Ils arrivent pour le repas avec le col bien blanc »
On servait le premier plat : des haricots tarbais avec des oignons et la présence de ces haricots était accompagnée de commentaires : « Ceux-là, on peut en manger, ils ne font pas de flatulences ! »
Puis sortait de la marmite encore fumante l’élément majeur du menu : la poule et son farci.
Existait, à Cadignan, la confrérie de la poule farcie. On intronisait un convive comme chevalier.
J’eus le plaisir de l’être le 4 août 2001 : après avoir mangé un blanc de poule et dégusté un morceau de farci, je devais m’engager à défendre la production des poules pour qu’on puisse les orienter vers la poule farcie et les garnir de cette fameuse farce dont seules les cuisinières de Cadignan avaient le secret.
Sur le plat de poule, je jurais que je défendrais en tout lieu et de tout temps ce plat gascon.
Il est bien connu qu’en Gascogne, la tradition gastronomique est contenue dans ce dicton concernant le menu : « Bourrit et roustit » (viande bouillie et viande rôtie)
On confirmait en apportant un plat de poulet à la peau craquante et dorée.
On accompagnait de salade de jardin, de pissenlits des champs ou de cresson du ruisseau qui chantait le long du chemin.
Le pastis gascon clôturait le repas.
L’orchestre commençait à jouer. On servait le café et la bouteille d’armagnac passait d’un convive à l’autre.
Quand on sortait, le village de Courrençan commençait à paraître dans l’aube.