Ouverture de la chasse, le papy qui avait la réputation « d’un famus cassaire » (fameux chasseur) est assis devant sa porte sur un tronc d’arbre, sa chienne Finette sommeille dans le rayon de soleil . Avec son briquet à essence, il allume un reste de mégot, tout en roussissant sa moustache. Il nous dit : « ça ne tiraille pas trop ce matin, ils ont un beau fusil, des chiens qui ont des étoiles dans leur race portant des noms américains, ils n’ont plus l’œil sur le viseur et rentrent bien souvent avec leurs carniers vides, nous, avant le déjeuner on avait tué au moins 3 lapins . On l’attendait ce jour d’ouverture, ma femme trouvait le permis toujours trop cher , mais j’étais le premier à aller le prendre à Riguepeu, chez Dedieu, c’était l’homme qui traitait toutes les affaires avec la préfecture . Dès que la date d’ouverture était fixée , je la marquais par un rond à l’encre violette sur le calendrier de « la République des travailleurs »,seul document pour nous situer dans le temps .»
Il nous fait entrer, sort la cafetière de la cendre pour nous servir un café « très chicorée » mais suivi d’un excellent armagnac. D’une armoire il tire une musette « celle de mon père de la guerre 14 - 18 c’est tout ce qui nous est revenu, précise – t-il »
« De mon temps, la chasse, c’était aussi la fabrication de nos munitions dit-il en vidant le contenu de la musette. Nous n’étions pas riches on se servait le plus longtemps possible des douilles de cartouche , je vais en préparer une ». Il enlève avec un petit maillet l’ancienne amorce, il la remplace par une bien gardée contre l’humidité dans une boîte de pastilles des Vosges, puis il débute son travail de laborantin. Il règle les dosettes en cuivre puis mesure la poudre qu’il verse dans la cartouche et il commente : « je mets le maximun , ainsi ça porte loin » . Il glisse une rondelle de carton pour séparer le plomb, il n’utilise pas de bourre .
Le plomb est extrait de bouteilles en fer qui portent un numéro, il s’agit de la grosseur du plomb qu’on choisit selon la chasse prévue, gros ou petit gibier. Le tout est fermé par une rondelle en carton plus épais. Il fixe une machine avec manivelle dans le plateau de la table, il place sa cartouche et tourne, le rôle de ce sertisseur est de rabattre les bords de la douille.
Il sortait alors son écritoire plume et encre violette et il écrivait le numéro du plomb . « On ne va pas aller jusqu’au bout de cette fabrication nous confie t-il ; quand j’avais la première cartouche, je passais aux essais. Je collais sur la porte de ma grange une feuille du journal , je tirais 20 à 30 mètres, et j’allais contrôler les impacts de la gerbe des plombs. Tout cela est bien fini, Finette , ma chienne a également compris. Avant, pendant la fabrication , elle me sautait dessus, maintenant vous avez vu, elle est restée , elle a peut -être l’Alzheimer ».
Il nous montre ses fusils : « mon premier fusil avait été acheté à un chasseur qui ne pouvait pas finir le crédit, un fusil à broche (et il en sort un modèle), on l’utilisait avec de la poudre noire, le coup était accompagné d’un nuage de fumée, tu ne savais si ton coup avait porté. Puis on m’a donné un calibre 16 et en fin de carrière je me suis offert un calibre 12.
Je chassais surtout le lapin , Finette savait les débusquer des broussailles . J’ai pris quelques lièvres quand ils couraient dans les guérets, peu de gibier à plumes . Aujourd’hui on pond des règlements, avant de tirer il faut parfois identifier mâle ou femelle »
Ses gros doigts roulent une cigarette de gris,là aussi il y a un règlement pour la santé, trois par jour, vous comprenez pourquoi je remplis bien la feuille.
Pierre DUPOUY