Limitation à 80km/h le cas du Gers

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Un avis autorisé

A deux mois de l'application de nouvelles dispositions concernant la limitation de vitesse, il nous est apparu important de donner la parole à un homme qui connaît bien la question : Henri Calhiol, officier de gendarmerie à la retraite, qui au cours de sa carrière a eu l'occasion de plancher sur les questions de sécurité routière tant sur les autoroutes que sur les routes, sur le terrain ou au sein de commissions spécialisées. Celui-ci connaît d'ailleurs fort bien le département puisqu'il y a exercé plusieurs années en tant que Commandant de la compagnie de gendarmerie de Mirande 

La limitation de la vitesse à 80 Km/heure : une mesure qui manque de pertinence par sa généralisation et pour d’autres raisons

Des statistiques biaisées.

Le gouvernement a décidé de limiter à 80 km/h la vitesse sur les routes bidirectionnelles (en réalité partout, sauf autoroutes et 2x2 voies) à compter du 1er juillet prochain. C’est-à-dire sur  la majeure partie du territoire. Le Gers, où les voies unidirectionnelles sont rares, est très impacté. 

La décision a été prise après une expérimentation sur une longueur de 86 km entre 2015 et 2017. L’association 40 millions d’automobilistes affirme que cet essai «n’a pas permis de réduire la mortalité routière lors de l’expérimentation menée ». Aurait-on passé outre un résultat non probant ? Le fait que le président de la République ait finalement déclaré tout récemment que si, dans deux ans, la mesure n’avait pas porté ses fruits, il appartiendrait aux préfets de reconsidérer localement le dispositif semble traduire un infléchissement.

On sait que cette mesure fait partie des causes de l‘érosion récente de la cote de popularité du chef de l’Etat dans les sondages. Les Français y seraient hostiles à 76%. Le Sénat, profondément ancré dans les territoires, a fait part de son désaccord et les associations de défense des automobilistes sont vent debout, pétitions à l‘appui. Les partis politiques ne sont pas en reste.

Que peut-on reprocher, sinon à la méthode qui l’accompagne, du moins à la pertinence de la mesure ?

Il convient d’abord de revenir sur le postulat de base du gouvernement : c’est sur les routes bidirectionnelles qu’on enregistre le plus de morts. Cela ressemble à une lapalissade dans la mesure où, bien évidemment, c’est la majeure partie du réseau. Et nombre de départements, de type rural, seraient pointés du doigt par les décideurs : le Gers enregistrerait ainsi en quatre ans 80 tués sur 3624 km de voies bidirectionnelles, soit 75% de la mortalité totale. Honte à lui et à ses habitants, donc ! Relativisons. 

Déjà, à ce stade de la réflexion, il n’est nullement besoin d’être un polytechnicien spécialisé dans la statistique pour comprendre que l’argumentation parisienne est biaisée et les dés, pipés ! Le Gers n’a pas d’autoroute et très peu de 2X2 voies comme chacun le sait ici.

Il faut parler ensuite de l’arbitraire du critère retenu pour soutenir la décision : le nombre de tués. Là aussi l’argumentation est biaisée. Pourquoi les tués et pas les accidents (mortels et corporels confondus), c’est-à-dire les évènements et non pas leurs conséquences, aléatoires par nature ? Le critère des tués manque de pertinence et il est employé fallacieusement par les autorités pour soutenir une mesure qui ne se justifie pas dans son application généralisée sur l’ensemble du territoire.

Le nombre de tués dépend de nombre de circonstances non liées à la dangerosité de l’axe routier et notamment le nombre de passagers dans le véhicule, essentiellement variable. Un seul accident peut générer énormément de tués comme par exemple la collision d’un autocar avec un train ou la collision d’une voiture avec cinq passagers autorisés percutant de face un 38 tonnes.

Conclusion partielle : on a donc affaire à une mesure reposant sur des arguments trompeurs qu’on peut retourner.

Mais pourquoi tenter de faire diminuer le nombre des tués par un abaissement drastique de la limitation de vitesse sur cette partie du réseau routier ?

On est passé en France de 18000 tués (en 1972) à 3693 (en2017) alors que le parc automobile a grimpé  de 13 à 39 millions. Jusqu’où veut-on descendre ? N’y a-t-il donc pas un seuil d’incompressibilité et où le situer ? Empêchera-t-on jamais la voiture stationnée dont les freins lâchent d’écraser la poussette d’un enfant ? Empêchera-t-on jamais les malaises au volant suivis de collision ? Et les suicides contre des arbres ou des camions ? Et les flaques d’huile ? Et les éclatements de pneus ? Et les sangliers qui traversent les routes ? Etc. etc. Tous ces facteurs indéniables réduisent d’autant la marge d’influence disponible.

La vitesse un des facteurs mais loin d'être le seul

Le seuil d’incompressibilité se situe donc actuellement entre zéro et 3693 tués. Mais tous ces tués sont-ils dus à des excès de vitesse ? Voilà une question qu’il faut se poser !

Quand on sait les conditions techniques qui sont exigées des représentants de l’autorité pour verbaliser les excès de vitesse (radar régulièrement étalonné, conditions de mise en oeuvre obéissant à des règles strictes dont le non-respect est contestable devant les tribunaux) on ne peut pas ne pas s’interroger sur ce qui permet aux enquêteurs de retenir les excès de vitesse lors de la constatation des accidents en vue de leur examen par les juridictions de jugement. Les imprimés statistiques seraient-ils configurés pour mettre préférentiellement et abusivement en exergue la vitesse excessive ? On sait qu’on peut faire dire ce qu’on veut aux résultats statistiques mais on sait également que le choix des paramètres à saisir peut induire tel ou tel résultat.

Jean-Louis Chauzy, un expert en la matière.

Président du Ceser Occitanie et de l’Observatoire régional de la qualité de service des infrastructures (Orquasi) a donné récemment une interview à un quotidien régional du sud-ouest. Il n’est pas surpris par la lapalissade évoquée plus haut : «les grands axes routiers, comme les autoroutes, sont les plus sûrs » affirme-t-il (ce que chacun sait et depuis bien longtemps sans avoir pour cela fait des études spécialisées). On retiendra cependant que le gouvernement a renversé la proposition : « les axes non autoroutiers sont les plus dangereux » ! Ce qui est tout autre chose et qui appelle des explications. Voyons ce qu’en dit le sachant.

Jean Louis Chauzy,  explique « l‘accidentologie » par deux facteurs :

D’abord « les mauvais comportements » des conducteurs : on notera qu’il ne parle pas d’excès de vitesse et qu’il n’en sera pas question durant toute son interview. Curieux, non ? Quels sont les « mauvais comportements » auxquels il fait allusion sans les pointer du doigt ? On les devine : la vitesse, l’alcool et les stupéfiants, le non-respect du stop, le refus de priorité, le franchissement de ligne continue, la non-maîtrise de son véhicule, le dépassement dangereux, le non-respect des distances, l’usage du téléphone et autres manquements nombreux et variés aux règles de conduite qui peuvent provoquer des accidents. On voit bien que le non-respect de la vitesse n’y intervient que pour partie, une proportion probablement insaisissable qu’on aimerait pourtant bien connaître pour mesurer la pertinence de la limitation à 80 km/h.

L’expert stigmatise un autre « mauvais comportement » qui influe cette fois-ci et notablement,  sur le nombre des tués (paramètre essentiellement variable nous l’avons dit) : le non-port de la ceinture de sécurité (qui serait à l’origine de 2/3 des accidents mortels dans le Gard par exemple). Ce dernier constat relègue encore plus loin la vitesse comme facteur dominant dans le nombre des tués.

La solution de facilité

L’autre facteur qu’il évoque est l’état du réseau routier. Bien évidemment, la circulation routière, on l’oublie trop souvent (ce qui arrange les décideurs) fait intervenir deux éléments et deux seulement, ce qui limite finalement la problématique : le binôme conducteur-véhicule et la route. Il semble donc que dans cette affaire de 80 km/h on élude volontairement la moitié de la question, ce que pointe d’ailleurs l’association 40 millions d’automobilistes.

Monsieur Chauzy indique que les collectivités ont réalisé « de nombreux efforts » pour maintenir l’état d’un réseau routier encore perfectible : quelle est donc la part de ces améliorations de l’infrastructure sur la baisse des accidents au cours des 50 dernières années ? C’est, diplomatiquement dit, reconnaître que le réseau avait eu besoin d’être amélioré et qu’il restait encore à améliorer mais que, malheureusement « face aux tensions budgétaires, la facilité a été parfois de reporter les travaux routiers ». 

Nous y voilà ! Pour pallier l’impossibilité (ou l’incapacité voire le manque de volonté) des collectivités à résorber les points noirs et autres inadaptations de l’infrastructure routière, qui seraient bien évidemment de nature à éviter nombre d’accidents corporels ou mortels, le gouvernement, sous la pression des « ayatollahs de la sécurité routière » cède à la facilité, décide arbitrairement et très parisiennement d’une limitation superfétatoire de la vitesse qu’il généralise à toute « la province » (4 Français sur 5).

C’est plus commode que d’exiger des collectivités des efforts budgétaires sur l’amélioration du réseau (tout en baissant les dotations budgétaires). Et, en plus, ça va rapporter grâce à une répression décuplée avec la mise en oeuvre de la privatisation des radars embarqués ! Vous ne voulez pas que les Français commencent à douter des visées réelles de cette mesure qui va les concerner au quotidien ?

Les arbres en bordure de route

Or, qui sait que, bon an mal an, chaque année ce sont quelque 400 personnes qui trouvent la mort après avoir percuté un obstacle fixe en bord de route ? Et parmi ces obstacles, les arbres démunis de glissières de sécurité ? Combien de tués contre des platanes (« la guillotine verte ») chaque année dans le Gers ? Qu’on nous dise combien d’automobilistes ont perdu la vie au cours des 10 dernières années (pour ne parler que des plus récentes) en percutant un arbre ? D’aucuns rétorqueront sans humanité aucune : « les arbres ne traversent pas les routes » et tant pis donc pour ceux qui les heurtent ! Mais qui dit que l’arbre n’a pas été percuté suite à une inattention, à un éclatement de pneu, à un animal qu’on a voulu éviter, bref à toute autre cause n’ayant rien à voir avec l’excès de vitesse ?

On sait que dès 20 km/h un choc frontal peut être mortel. Et ce n’est pas parce que le véhicule est disloqué (systématiquement puisque  E = ½ de mv2) que c’est révélateur d’un quelconque excès de vitesse. Or les journaux font trop souvent cet amalgame erroné qui ancre dans l’esprit du public l’idée que la victime est un coupable. Et on laisse les choses en l’état (ce qui arrange le responsable du réseau) et les années se suivent avec leurs drames répétitifs. Il n’est que de voir le nombre de bouquets fleuris qui ornent nos platanes routiers pour s’en convaincre. Avant de passer aux 80 km/h généralisés ne pourrait-on s’attaquer à la dangerosité des obstacles fixes ?

Alcoolémie et stupéfiants

Autre cause de mortalité non négligeable : l‘alcoolémie au volant.  Elle concerne près de 6 % des conducteurs impliqués dans les accidents corporel et plus de 17 % dans les accidents mortels. Ce qui n’est pas rien comme facteur de causalité. Or, combien de fois avez-vous été contrôlé pour l’alcoolémie ? Et combien de fois êtes vous contrôlé pour la vitesse ? Presque jamais dans le premier cas et tous les jours pour le second. Là aussi, avant de passer aux 80 km/h pourquoi ne lutte-t-on pas plus énergiquement contre ce fléau ?

Une signalisation au sol qui fait défaut

On n’oubliera pas, pour ce qui concerne notre contrée, l’absence de marquage central  sur trop de ces routes de campagne mises à l’index par le gouvernement. Avec les chocs frontaux qu’elle induit dans les virages.

On voit bien que quelque chose ne gaze pas dans cette affaire d’abaissement de la vitesse. Bien évidemment, toutes les enquêtes, nationales ou étrangères, montrent clairement que tout abaissement significatif s’accompagne d’une baisse des accidents. Cela va de soi et ce serait encore plus performant en roulant à 30 km/h. Mais ce qui est en réalité en cause ici c’est qu’on n’essaie pas de cibler certaines causes connues et répandues mais qu’on préfère pénaliser les automobilistes par une véritable punition collective chargée d’une injustice criante. Et c’est ce que les Français ont compris et ne supportent pas aujourd’hui.

Le rapport du groupe du Sénat sur la sécurité routière rendu le 18 avril dernier, dans ses critiques de la mesure, indique : 

"Plutôt que d’appliquer la réduction de vitesse de manière uniforme, nous proposons qu’elle soit décentralisée au niveau des départements, afin de l’adapter aux réalités des territoires, et qu’y soient associés les acteurs pertinents, afin d’en favoriser l’acceptabilité et l’efficacité. "

Ce bon sens sera-t-il entendu ?

Henri Calhiol

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