Romain Duport chronique et portrait

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Jean-René Cazeneuve, l’âme mousquetaire

Confortablement assis dans un canapé gris anthracite, je savoure un perrier-citron. L’effervescence des bulles et, en même temps, la pointe d’acidité de l’agrume. Mes yeux se portent vers l’horizon, dépassent une immense baie-vitrée, contournent la terrasse en pierre à l’esprit provençal et, du haut de la colline, fondent sur la cité auscitaine. Sans la moindre difficulté, j’imagine mon hôte contempler la ville et, comme le suggérait Honoré de Balzac, lancer sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel et dire ces mots grandioses : à nous deux maintenant ! À moins que, plus modeste dans son errance humaine mais plus absolu dans sa quête d’idéal, le maître des lieux ne voie dans ces fenêtres ouvertes sur l’extérieur une transfiguration mallarméenne du miroir de l’art et un appel vers ce flamboyant Azur qui le hante. L’Azur ! L’Azur ! L’Azur ! « J’aime les gens. »

En un éclair, le misanthrope Mallarmé s’efface, le spleen baudelairien s’évapore, l’orgueilleux Rastignac se dissout. Du labyrinthe de la pensée je dénoue le fil et remonte à la surface. Fin de l'apnée. «Oui, j'aime les gens. J'ai autant de plaisir à passer un moment avec une infirmière en EHPAD qu’avec le Premier Ministre à Matignon ». Sur ma droite, costume sombre, cravate bordeaux, Jean-René Cazeneuve se prête au jeu du portrait. Professionnellement, tout lui a réussi. Élève doué pour les mathématiques, il est devenu ingénieur. De là, les postes se sont succédés jusqu'à le conduire à un haut niveau de responsabilités de deux entreprises mondialement connues : Apple et Bouygues Telecom. Difficile alors de parler de routine. Tout porte à croire qu’un an auparavant, Jean-René Cazeneuve se voyait bien occuper son poste quelques années de plus. Pourtant, quelque chose lui manquait. Ce quelque chose il l’avait entraperçu au printemps 2014 lorsque Franck Montaugé, maire d’Auch en lice pour renouveler son mandat, lui a tendu la main pour intégrer sa liste. Lui, ce fils de fonctionnaire, lui qui a grandi dans une famille où le service de la patrie était porté au pinacle, lui qui s’est construit dans l’ombre d’un père militaire et dans le souvenir d’un grand oncle normalien, a accepté le défi proposé. Trois ans plus tard c’est Emmanuel Macron qui l'adoube candidat de la République en Marche dans le Gers. Jean-René Cazeneuve a dit oui. Il a dit oui comme on dit oui dans la solitude des champs de coton. Ainsi, quittant sa quiétude, il sort dans ce terrain vague que constitue le champ politique et entre dans cet espace où l’Homme et ce qu’il a d’animal se jettent sauvagement l'un sur l'autre. Désormais, sa vie ne sera plus la même. S’il perd un certain confort, c’est bien pour renouer avec sa tradition familiale et payer ainsi ce qu'il estime être sa dette à la société.

« De nombreux députés font le service minimum et ne sont présents à l'Assemblée Nationale que deux jours par semaine. De mon côté, j'y suis trois jours, quatre parfois . » Mais lors des discussions budgétaires en commission ou en hémicycle, les heures s'étirent, les nuits dévorent les jours et le député consciencieux se trouve encore au Palais Bourbon le vendredi à 2 heures du matin.

Si le gersois aime les gens c'est aussi car c'est à leur contact qu'il se nourrit du terrain et patine les lois de son expérience humaine. Jean-René Cazeneuve se décrit comme un député au travail. Et les statistiques tenues par le site indépendant nosdéputés.fr sont flatteuses, car aussi bien en temps de présence qu’en matière d’activité (rapports, amendements, interventions et questions), le député du Gers est systématiquement classé parmi les premiers députés.

Jean-René Cazeneuve ne recherche ni les coups d’éclats, ni la lumière des projecteurs. Député besogneux, c’est dans le labeur, discret et efficace, qu’il entend servir la Nation. Tout porte d'ailleurs à croire que son travail a été reconnu puisqu'à la demande du gouvernement, il est un des rares parlementaires à siéger au Comité Action Publique 2022 chargé de penser la transformation de l'administration sous le quinquennat Macron. De même, il préside depuis l'automne dernier la Délégation parlementaire aux Collectivités Territoriales et à la Décentralisation. C’est dans ce contexte-là qu’il exerce sa mission de député de la Nation. De la Nation, d'abord et surtout…même s’il n’oublie pas sa terre d'élection notamment quand il s'agit de voter l'augmentation des fonds destinés aux territoires ruraux ou d'inviter des membres du gouvernement en Gascogne. Ainsi, depuis son élection, ce ne sont pas moins de deux ministres -Messieurs Blanquer et Darmanin, respectivement ministre de l’Éducation Nationale et ministre des Comptes Publics- mais aussi le Premier d'entre eux, Édouard Philippe, qui ont arpenté sa circonscription.

À cet instant de la conversation j'ignore si notre député apprécie Jean-Jacques Goldman. Tandis qu’il me parle de contractualisation budgétaire et de revitalisation des centres bourgs, j'hésite à lui poser la question. En tout cas, réminiscence heureuse de mes bals gascons, je suis désormais persuadé que le titre Je marche seul a été écrit pour lui. Cette solitude lui pèse. Derrière un optimisme de façade, un voile saisit son visage. « Lorsque j’ai été élu, j'ai tendu la main aux autres parlementaires afin que nous puissions travailler ensemble. L’époque actuelle ne me semble plus être celle des partis politiques omnipotents. Les gens sont lassés des petites querelles d'ego, du clivage parfois factice entre la droite et la gauche. Voyez, en Gascogne, dans les communes et souvent même dans certaines communautés de communes, les élus parviennent à travailler ensemble au-delà des étiquettes ». Mais rien de tel dans le Gers. Non seulement les parlementaires socialistes et le Président du Conseil Départemental n'ont pas saisi la main tendue mais, bien plus, ils l'ostracisent. Qu'importe, Jean-René Cazeneuve s'invite dans les manifestations publiques où il n'est pas attendu et, délaissant sans sourciller son costume de député, il n'hésite pas à redevenir citoyen et à s’asseoir au fond de la salle.

Nul doute que dans sa vie antérieure, Jean-René Cazeneuve a dû apprendre à apprivoiser les rectitudes des relations humaines mais l'environnement politique gersois est digne d’une pièce de Bernard-Marie Koltès : derrière un faux-semblant de diplomatie, le conflit apparaît comme la seule issue. Ainsi, lorsque j'évoque la campagne acerbe menée sur les réseaux sociaux afin de dénier le lien qui unit Jean-René Cazeneuve à la Gascogne, l’esprit rationnel de l’ingénieur pose le problème et réagit en trois points. Mais au-delà de ces points, l'homme sensible est blessé. Si l'assaillant n’était pas anonyme, le duel ne serait pas loin.

La pièce dans laquelle je me trouve est décidément un espace très macronien ; moderne de par son aménagement et, en même temps, ancien de par sa construction ; grande pièce ouverte où une cuisine aménagée côtoie de superbes poutres et une cheminée à l'ancienne. Il n’est pas anodin que le député m’ait invité chez lui, dans cette maison de famille acquise par ses grand-parents, héritée de ses parents et dans laquelle il a réalisé de nombreux travaux afin que ses enfants s'y sentent bien. Ballotté durant son enfance au gré des mutations paternelles, de Djibouti à Vannes, de l'Aisne à Paris, cette maison dans laquelle il passait toutes ses vacances constituait alors son seul point fixe dans un univers déjà en perpétuel mouvement. Aujourd’hui, c’est son havre de paix. La Gascogne, mère Cigogne, est sa terre. Il la chérit et y conserve ses souvenirs.

Le temps passe et je suis surpris de constater que si le téléphone du député vibre sans cesse, ce-dernier ne lui a pas accordé la moindre attention. Ce féru de technologies, cet expert en numérique sait faire la part des choses. Je m’apprête donc à quitter la maison lorsque mon regard s’arrête sur une bicyclette accolée à une bibliothèque. Ainsi trône le fier destrier, autre Rossinante de Jean-René Cazeneuve. Quant à la bibliothèque, un seul auteur y semble toléré: Alexandre Dumas. « Je fais la collection de ses ouvrages » me confesse mon hôte. Soudain tout s’éclaire. À Koltès qui demande « quelle arme ? » , Dumas répond par le fer. Oublions donc Balzac, écartons donc Mallarmé, les mânes de ce lieu sont celles d’Alexandre Dumas, ce métis, si français et si gascon.

Sans rapière à son côté, Jean-René Cazeneuve me raccompagne à ma voiture. Sur la sienne, au niveau de la malle, un autocollant du Rugby Club d’Auch. Il me sourit et, l’âme mousquetaire me glisse, plein d’espérance quant à l’avenir, «tous pour un, un pour tous».

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