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Dimanche dernier, au pied du château de Lagardère, a eu lieu une démonstration de battage à l'ancienne.
L'occasion pour nous de revenir sur nos pas...
Las battéros, un mot que vous ne connaissez peut-être pas car la manifestation qu'il désigne a disparu.
Désormais c'est la grosse moissonneuse batteuse qui dans les champs ramasse les épis puis la récolte tombe dans le trémis.
Au volant de ce gros engin très technique, dans sa cabine climatisée, le propriétaire a réglé son ordinateur et il a juste à conduire sa machine.
Revenons sur nos pas...
Las battéros c'était le rassemblement d'une vingtaine de voisins pour dépiquer. Le propriétaire s'inscrivait d'abord chez l'entrepreneur pour la journée choisie.
Les gerbes de blé ou d’avoine avaient été entassées sous forme de gerbières.
L’entreprise arrivait avec son matériel, c’est à dire une routière, une sorte de locomotive avec des roues énormes et un gros cylindre qui constituait son ventre.
Elle crachait de la fumée et elle faisait un bruit de train impressionnant.
Elle traînait un batteur, une presse et une petite remorque appelée un caifat où l’on mettait les huiles, les graisses, les vêtements et les cales pour que la machine soit de niveau.
La machine était installée au pied de la gerbière, on préparait les courroies pour activer la batteuse et la presse et on regardait si le feu brûlait bien dans la routière.
Un seul homme savait la conduire et tirer sur le volant pour tourner dans les virages.
Le propriétaire terrien mettait son personnel en place, des hommes munis de fourches sur la gerbière, un sur le batteur pour couper les ficelles et placer les gerbes dans le gouffre de la batteuse.
2 ou 3 jeunes avaient pour tâche de passer des fils de fer dans les aiguilles de la presse pour former la botte.Il fallait être précis et constant.
D'autres nouaient les sacs fixés à la machine dans lesquels tombait le grain et les chargeaient sur le dos des porteurs.
Les porteurs se coiffaient de sacs pour se protéger de la poussière.
Les hommes les plus costauds étaient chargés de porter les sacs de 80 kg dans un grenier à l'aide d'une échelle.
Pour comptabiliser les sacs récoltés, un homme s’occupait de faire un trait par sac sur un carton collé à la batteuse.
Comme le paiement de l’entrepreneur était proportionnel au nombre de sacs, de temps en temps, on oubliait de noter un trait !
Mais l’entrepreneur était malin, il mettait un caillou à chaque passage de sac et quand il voyait à la fin de la journée que les chiffres ne correspondaient pas, il allait voir le préposé au marquage et lui demandait si son crayon était épointé !
L’autre se justifiait en disant qu’il avait eu un moment de distraction...
Un entrepreneur nous racontait que beaucoup de fermes étaient exploitées à moitié par le propriétaire et à moitié par un métayer, alors quand l’entrepreneur savait que le patron était une" peau de vache" pour son métayer, il ouvrait une vanne et 4 ou 5 sacs de blé ne passaient pas par le comptage !
Dans la matinée et dans l’après-midi, le chef de l’entreprise sifflait deux ou trois coups, c’était la pause boissons.
Aussitôt, chacun quittait son poste et tous se regroupaient autour de la fermière qui avait amené deux grosse Marie-Jeanne de vin rouge ou blanc, des bouteilles de deux litres et demi qui avaient été rafraichies à la fontaine du jardin.
Quand le chef trouvait que la pause durait trop longtemps, il donnait deux coups de sifflet pour que chacun regagne son poste.
A midi, tous allaient à la mare voisine se débarrasser de la poussière avant de gagner la grange où les attendait la longue table recouverte d'une nappe en toile cirée.
On s'installait et c'était le service de la soupe dans l'assiette creuse. Il y avait toujours trois ou quatre solides Gascons qui faisaient chabrot, c'est-à-dire, versaient dans leur assiette encore chaude de soupe du vin et le buvaient à même l'assiette
Le menu était partout le même.
Après la soupe, on dégustait une rafraîchissante salade de tomates, cornichons et pommes de terre bouillies le tout arrosé d'huile d'olive.
On passait ensuite au rôti, les Guinettes, ces oies blanches et noires ressemblant plus à des cigognes qu'à des oies grasses. D'ailleurs elles ne s'engraissaient pas !
Il fallait en abattre suffisamment car leurs magrets étaient maigres et durs...
Pour le dessert, c'était des fruits du verger, pommes, pêches, poires et parfois même du raisin dans les endroits où on avait commencé les vendanges de quelques pieds de vigne.
Puis c'était le service du café dans des verres bien entendu et les bouteilles d'armagnac...
Je me souviens d'un propriétaire plutôt avare qui servait l’armagnac dans des petites fioles de pharmacie, ce qui nous permettait juste de mouiller un sucre!
Un jour, on décida de lui faire une blague. Quand il apporta l’armagnac, on mit tout dans la soupière pour faire un brûlot.
Il comprit le message et l'année suivante, il apporta l'armagnac dans des bouteilles de taille conséquente !
Quand on reprenait le travail après le repas, l'entrepreneur et le propriétaire jugeaient que les ouvriers étaient beaucoup moins rapides !
Tous se retrouvaient le soir autour d'un menu identique à celui du midi avec parfois des poules au pot à la place des guinettes.
On restait tard autour de la table avec des pichets de rouge et d'armagnac.
Les discussions allaient bon train et les paysans parlaient de leurs misères.
Ces difficultés, comme on les partageait, elles étaient sans doute moins dures à supporter que pour l'agriculteur solitaire qui se retrouve seul le soir devant ses chiffres...
Pierre DUPOUY
Crédit photos : François MACE