Le métayer du diable ou la légende de l’armagnac

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Il y a 3 semaines, dans le cadre de notre rubrique "Revenons sur nos pas", nous vous proposions une légende autour de la création de l'armagnac.

https://lejournaldugers.fr/article/66495-les-origines-legendaires-de-larmagnac

Nous évoquions une autre version de la création de la célèbre eau de vie...

La voici !

Il y avait une fois, entre Villeneuve-de-Marsan et Labastide-d’Armagnac, un riche paysan qui était mort sans enfants, comme un mécréant.

Il alla en Enfer et le Diable hérita de sa terre.

Satan chercha un métayer pour partager les produits, mais personne ne voulait travailler pour lui, même sous l’aspect le plus favorable.

Enfin, un garçon se présenta, et il plut à Lucifer.

« Mon cher ami, voici les conditions : moitié, moitié. »
Et comme il venait de voir un magnifique champ de blé avoisinant, il ajouta :
« Je prends tout ce qui dépasse du sol, toi tout ce qui est dans le sol.
-Entendu, maître. »

Notre métayer rentra chez lui et planta des raves, des navets, des carottes, des poireaux. Les champs étaient verts éblouissants. Lorsque le Diable revint chercher sa récolte, il était gai, entouré d’une nuée de petits diablotins qui tiraient des charrettes grinçantes.
Il ne put emporter que des feuilles sans valeur, et il entra dans une grande colère.

« Cette fois-ci, changeons les conditions. Tu as le dessus et moi le dessous.
– Entendu, maître. »

Et notre homme sema blé, seigle, avoine. Lorsque le Diable revint, il fut ravi de l’apparence merveilleuse de la récolte. Mais pour sa part, il ne trouva que des racines racornies. Sa colère fut encore plus grande. Tout trembla alentour. A grands renforts de jurons, il traita notre homme de voleur.

« Maître, maître, c’est vous qui avez choisi ! Choisissez encore!
– Tout !
– Laissez-moi vivre ! Voulez-vous tout ce qui pointe vers le ciel et tout ce qui pointe dans la terre ?
– D’accord ! Si tu réussis encore à me tromper, tu auras la terre, mais gare à toi ! »

Peu rassuré, notre métayer rentra chez lui et planta de la vigne qu’il fit pousser au maximum. Le Diable venait surveiller les travaux. Il voyait pointer les feuilles vertes : « Elles seront pour moi ! » se disait-il. Il alla jusqu’à mettre son doigt crochu dans les racines : « Belles racines, marmonna-t-il, pour moi aussi ! »
Juin arriva.
« Trop tôt, maître ! dit son métayer, et juillet et août aussi. »

En septembre les feuilles se raréfièrent, certaines même jaunirent. Le Diable s’impatientait fort. En octobre, notre homme se déclara satisfait, et il vendangea car, dit-il à Lucifer :
« Les feuilles pointent et les racines aussi, prenez-les, moi je ne prends que ces pauvres grappes qui pendent !
-Voleur, pendard ! » Le Diable fou de colère jurait comme il savait le faire : « Tu as gagné bandit, mais tu n’en profiteras pas. Le vin de ces vignes et de celles alentours ne vaudra rien à boire ! »

Notre métayer avait sa terre mais était bien ennuyé. Qu’allait-il faire de son vin ? Il alla voir son vieux curé pour lui conter son histoire.

« Tu as été bien imprudent mon ami, tout ce qui vient du Diable doit être brûlé. Brûle ton vin en priant Saint-Vincent. »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Il porta son vin à distiller. La flamme bleue de l’alambic, avec les cuivres mordorés, le faisaient frissonner. Était-ce déjà l’Enfer ? Le vin bouillonnait, des vapeurs s’échappaient de l’appareil compliqué, le bouilleur de cru s’affairait. Les premières gouttes arrivèrent.

« C’est du feu, Diou Biban ! » s’écria notre homme.
Et le brave curé d’ajouter :
« Brûle, brûle, nous verrons bien. »

Enfin la nouvelle eau-de-vie sortit, limpide et corsée. On la mit dans un fût de chêne de la forêt de Saint-Vincent. Bien vite, elle prit sa belle teinte ambrée et son parfum de violette embauma tout le quartier. Vous avez tous reconnu l’armagnac !
Aussi, lorsqu’au fond d’un verre vénérable vous dégusterez ce nectar, souvenez-vous du pauvre Diable de Villeneuve et de son métayer gascon.

Voici donc comment l’armagnac a vu le jour ! Un vin brûlé car il avait été maudit par le Diable… Mais un Diable pas bien malin il faut le dire, qui se laisse berner très facilement par ce jeune garçon rusé.

Source : association "Les pins parleurs"

Pierre DUPOUY

 

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