Le temps d'avant...

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L'horloge comtoise qui occupe une place importante dans la cuisine indique l'heure, 9 heures, heure solaire.

Pas de café ni de tartines sur la table mais le couvert mis pour le solide repas de la journée.

Nous sommes entrés dans les temps d'hiver et les horaires s'adaptent à la luminosité.

Sur la table, une énorme soupière fumante, c'est la soupe, plat important pour l'agriculteur.

« Dans cette soupe, il y a tout mon jardin, dit mon grand-père, des pommes de terre, des poireaux, des raves, des oignons... »

Sans oublier des brins des plantes aromatiques qui poussent dans un coin du jardin.

Dans ce bouillon, on a pris soin d'ajouter des tartines du pain de 4 kg.

« Pour une bonne soupe, dit ma grand-mère, il faut que la cuillère que tu plantes dans la soupière tienne debout ! »

Les convives se servent dans l'assiette profonde.

Mon grand-père fait chabrot – un rite gascon aujourd'hui disparu - c'est-à-dire qu'il verse dans cette assiette encore chaude, un demi-verre de vin qu'il boit directement à l'assiette.

Après la soupe, la grand-mère a grillé sur les braises un mètre de saucisse, « la saucisse du dernier porc que nous avons tué », dit-elle, «  une excellente saucisse préparée par Jean-Louis, un fin cuisinier qui sait doser le sel, le poivre, les épices... »

Jean-Louis, c'est le « tueur » qui le lendemain du tue-cochon vient préparer la charcuterie.

Des pommes de terre cuites à l'eau puis passées à la poêle avec un peu de graisse de canard accompagneront la saucisse.

Au dessert, des fruits, des pommes, des poires et même du raisin car dans chaque maison on a ses 6 ou 7 plants de vigne qui donnent du raisin de table, muscat, malaga, chasselas.

On accroche les grappes sur un fil placé dans la grange, on recouvre ce fil d'un papier pour que les souris passent sans grignoter les grains.

Les hommes plient leur Opinel et on entreprend le travail dont on a déjà parlé à table.

L'ouvrier agricole va joindre les jeunes bœufs qui vont débuter le labour, le propriétaire se charge lui des anciens qui ont quelques années de labour.

Les joindre, c'est leur mettre le joug derrière les cordes et le fixer avec des bandes de cuir.

Pour terminer, on crache dans la main qu'on passe sur la cheville sur laquelle est fixée la bande de cuir.

On part avec les deux paires de bœufs pour se rendre dans un champ qui se trouve à trois kilomètres.

Comme on a travaillé la veille, le brabant est déjà là.

On attelle les bêtes et la journée commence.

Le premier sillon est tracé.

L'ambiance est silencieuse, on entend la terre rejetée par le soc sur le bord du sillon.

Le brabant avance bien guidé par celui qui a le rôle de daouantéja, c'est-à-dire marcher en tête de l'attelage pour veiller à ce qu'il ne s'échappe pas du sillon et tire droit.

Au bout du sillon, on s'arrête pour négocier le virage toujours délicat pour les jeunes bœufs.

Le propriétaire retourne le brabant et on repart pour un sillon.

C'est long un sillon de labour.

On a le temps en conduisant les bêtes de rêver, de regarder tout ce qu'il se passe autour, notamment les oiseaux qui font ripaille avec les vers de terre.

Il y même là sur l'emplacement des rênes du premier attelage, Margot la pie apprivoisée qui fera tous les labours mais ne repartira jamais avec ses collègues venus chercher de la nourriture.

Margot vit à la ferme avec les gens.

A deux heures solaires, le propriétaire sort sa montre-gousset et dit à l'ouvrier : « Tu t'arrêtes au bout du sillon, on va goûter ! »

Les bêtes s'arrêtent.

On s'assied au bord du talus, on ouvre la musette pour sortir lou brespay, le goûter.

Dans un linge blanc portant brodées les initiales de la maîtresse de maison avant son mariage, on trouve les larges tartines de pain de 4 kg, des tranches de jambon, du pâté, ce ce qu'on appelle le pâté froid – de la viande hachée et cuite recouverte d'une fine couche de graisse dans un pot fermé par du papier journal retenu par du rafia - , des pommes, des poires, des grappes de raisin.

Le tout sera accompagné d'un litre non pas de vin mais de piquette, ce vin que l'on fait après avoir extrait le jus avec le marc que l'on a arrosé d'eau, un vin de 5 ou 6 degrés.

Dans chaque ferme, on trouve une barrique de piquette que l'on boit pendant l'hiver.

Enfin, on repart pour le énième sillon.

Le rythme s'est un peu ralenti et le laboureur n'excite pas le bœuf malgré l'aguillade qu'il a en sa possession, ce long bâton avec une pointe au bout et à l'autre extrémité un morceau de ferraille pour nettoyer le soc.

Il se contente de leur suggérer d'aller plus vite de sa voix.

Les rayons de soleil commencent à descendre à l'horizon et quand il a complètement disparu derrière la colline, on dételle le brabant et dans le crépuscule qui assombrit le sentier, on rentre à la maison fatigué par cette marche ralentie que demande le travail de labour.

Les bœufs regagnent leur râtelier où ils trouvent une bonne ration de paille et de fourrage.

Pendant qu'ils mangent, on fait boire les autres bêtes qui ont déjà avalé leur ration de foin.

On les sort par affinités puis ce sera au tour des bœufs de gagner l'abreuvoir avant de se coucher sur une paille fraîche et épaisse.

Puis on se rendra dans la cuisine devant un bon feu et on passera au souper.

Menu plus léger mais toujours la soupe et des œufs durs avec des pissenlits récoltés dans les champs.

Suivent les fruits.

Et quelquefois les tisanes, le tilleul, la guimauve, la verveine, chacun fait la sienne avec l'eau chaude dans son verre.

Le laboureur regagne son lit le premier alors que le grand-père finit une partie de dames avec l'autre personne âgée de la maison, Petiton.

C'est un jeu très long car tous les deux réfléchissent longuement sur la stratégie à adopter pour aller à dame.

Pour chauffer son lit, chacun aura utilisé sa méthode de chauffage, le moine dans lequel on place des braises, le gros caillou que l'on fait chauffer devant le feu, la bassinoire cette sorte de casserole en cuivre que l'on remplit de braise et que l'on passe dans le lit pour chauffer les draps.

Pierre DUPOUY

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