Je me rappelle de l'époque où trônait dans la classe un grand portrait du Maréchal Pétain.
Il prônait le retour à la terre et valorisait le métier de paysan.
Pendant ce temps, il envoyait les jeunes gars se faire tuer à la guerre...
Cette opération de « retour à la terre » avait remis à l'honneur une tradition très ancienne, celle des vœux qu'on allait souhaiter aux voisins.
Les anciens nous disaient : « Pourquoi n'iriez-vous pas souhaiter la bonne année aux voisins comme nous le faisions du temps des Aiguillounes? »
Les Aiguillounes qui partaient souhaiter la bonne année étaient ainsi nommés sans doute en raison de l'aiguillade,, un bâton terminé par un aiguillon qui servait à activer les bœufs et qui était doté d’une palette de l’autre côté pour enlever la terre lorsqu’il a plu et qu’elle colle aux socques.
Les Aiguillounes ne partaient d'ailleurs jamais sans leur bâton.
Nous nous regroupions donc par secteurs, on s'habillait chaudement avec les pulls tricotés par les grands-mères et surtout on enfilait par-dessus une grande chemise des anciens, chemise colorée de bleu pour notre secteur.
On chaussait les socques aux semelles de bois, on enfilait les gants tricotés toujours par les grands-mères, on prenait des paniers car on savait que les récompenses seraient le plus souvent des œufs.
Ces œufs étaient destinés à faire - selon la chanson - la « coco », le gâteau de Marie qui serait distribué au cours de la messe.
On traçait au préalable le circuit à parcourir et on démarrait dans le froid de l'hiver – ce n'était pas les hivers de maintenant, il faisait souvent des températures très négatives !
On arrivait devant une première maison : les gens n'étaient pas dehors, ils étaient tous au coin du feu et il fallait les en tirer !
On chantait alors des chansons dont un ancien nous avait procuré les textes.
« Si vous nous donnez du blé, nous ferons du pain béni, si vous nous donnez de la farine, nous ferons la coco de Marie »
Quand les portes s’ouvraient et que les gens nous donnaient "l’aiguillonè", on les remerciait par d'autres couplets : « De braves gens nous avons trouvés, l’aiguillonè ils nous ont donné » et on continuait par des vœux de santé « Que Dieu garde la maison avec les gens qui y sont dedans », de prospérité « Que le bon Dieu vous donne autant de bœufs que les poules vous feront d’oeufs ».
Quand on connaissait bien le propriétaire coureur de jupons, on avait aussi ce petit couplet : « Que le bon Dieu vous donne autant de filles qu’au chai il y a de moucherons ! »
Ce couplet n'était pas du goût de la maîtresse de maison !
On nous donnait des œufs, de la farine, rarement des sous qui ne remplissaient pas notre escarcelle !
Parfois, on nous donnait un petit flacon d'armagnac pour parfumer la coco de Marie.
Comme on avait pas mal de collines à grimper, on buvait un peu de liqueur pour nous donner force et courage...et à la fin de la tournée, le flacon était vide !
Bien sûr, certains ne nous ouvraient pas les portes. Pour ceux-là, on avait une chanson spéciale que l'on chantait sous les fenêtres.
La chanson en question disait ceci : « Vous n'avez rien voulu nous donner, vous êtes des grincheux, nous irons ch... dans vos poireaux... »
On ne la chanta plus après qu'un de ces grincheux a sorti son fusil et qu'on a vu la poudre noire sortir du canon !!! Heureusement que nous étions cachés derrière un épais buisson !
Cette sympathique tradition finit par disparaître...
Pierre DUPOUY