Aujourd'hui encore, la dinde trône sur la table du réveillon ou du repas de Noël, la dinde fermière précise-t-on.
Personnellement, j'ai bien connu la dinde des chaumes et des prés.
Du temps dont je vous parle, la volaille était la source de revenus de la fermière qui pouvait avec cet échange acheter des vêtements, des chaussures, quelquefois aussi un peu d'alimentation comme du fromage ou plus rarement du beurre.
Aussi élevait-on des poules, des poulets qu'on vendait au marché le vendredi à Vic-Fezensac mais on faisait aussi de l'élevage intensif, celui des oies.
Je me rappelle que chez moi, l'élevage était réduit car il fallait gaver, l'oison tout petit était fragile....
Chez moi, l'élevage important était celui du dindon.
Selon le nombre d'oeufs qu'on avait pu ramasser, on avait de 50 à 100 dindons dans le troupeau.
Il faut savoir que les dindes qui vivaient en liberté – c'était l'époque dans le Gers où la volaille allait et venait à sa guise – allaient pondre dans les haies et cachaient leurs œufs.
Il fallait les trouver ! Pour cela, on pouvait compter sur Fineau, un chien dit de chasse – qui n'a jamais vraiment chassé! - qui avait l'art de suivre les dindes pour trouver la cachette et déguster l'oeuf bien sûr !
Il suffisait donc de suivre Fineau pour récupérer les œufs avant lui.
Ces œufs, il fallait aussi qu'ils soient « bons », c'est-à-dire qu'ils contiennent un petit dindon.
Ma grand-mère s'enfermait dans une pièce obscure avec une bougie et elle mirait les œufs devant la flamme de la bougie. Elle séparait alors les œufs pleins des œufs clairs.
Si par hasard, elle avait très peu d'oeufs « bons » comme elle le disait, le dindon payait de sa personne ! Le vendredi, les pattes ficelées, il partait sur le marché de Vic-Fezensac.
On gardait un jeune pour perpétuer la lignée.
Les petits dindons couvés par la mère arrivaient à devenir assez solides pour manger des pâtées composées d'herbes hachées, essentiellement des orties que ma grand-mère ramassait au pied des murs et qu'elle hachait avec un outil muni d'une lame.
Elle donnait cette préparation aux dindonneaux dans une auge.
Elle y ajoutait parfois des œufs sans doute pour les fortifier.
Elle attrapait aussi sur l'étagère une boîte avec le dessin d'un dindon agressif en pleine santé et en grosses lettres le nom « Verco » qui contenait une sorte de poudre rouge qu'elle mélangeait à la nourriture, sans doute un médicament car on ne le trouvait que chez le vétérinaire.
Elle utilisait parfois la boîte de l'année précédente car elle n'attachait pas grande importance à la date de péremption !
On attendait avec impatience que les champs de blé ou d'avoine soient moissonnés pour partir avec le troupeau « chaumer », c'est-à-dire leur laisser manger ce qui restait sur le sol et il en restait beaucoup à l'époque car quand une gerbe tombait de la lieuse, elle laissait beaucoup de grains par terre.
Elles allaient dans les chaumes et les prés muscler ce qui serait un délicieux plat de Noël
Mais les dindons avaient l'esprit randonneur et quand vous alliez dans un champ pour les garder, ils vous faisaient courir toute la journée car jamais ils ne s'arrêtaient espérant sans doute trouver une nourriture plus abondante un peu plus loin.
On les gardait muni d'une grande gaule avec à l'extrémité un chiffon rouge.
On les surveillait de manière à ce qu'ils ne sortent pas du champ surtout en période de vendange où ils gagnaient les vignes et allaient se gaver de raisin.
Je me souviens d'un accident qui m'était arrivé, j'avais rassemblé tous les dindons dans la vigne mais j'en avais oublié un, celui que l'on appelait « l'orgueilleux » car il faisait la roue avec ses belles plumes. Je reviens dans la vigne et le trouve au pied d'un cep en piteux état. Je le prends sous mon bras et le ramène à la maison puis le confie à ma grand-mère qui ne me fait pas les honneurs du parfait gardien ! Elle le met dans un courtil, la tête sur une casserole. J'ai peur qu'il ne passe pas la nuit. Mais non, le lendemain, il était guilleret et recommençait à faire le beau. Je respirais !
On gardait cinq ou six dindes pour les reproductions et aussi pour la "poulhoio de nadau".
C'était la pièce de choix du menu de fête. On choisissait la plus belle.
Je me souviens que ma grand-mère la posait sur la table après l'avoir plumée, vidée, bien préparée pour la mettre à la broche, elle la regardait et disait : « Eh beh, aquerro que berro ! »
Elle lui mettait à l'emplacement du jabot une épaisse croûte de pain, de ce pain de 4 kg que nous livrait le boulanger.
Puis, on sortait le tourne-broche que l'on mettait devant la cheminée où brûlait un houesc bataillé ( un feu d'enfer) car mon grand-père avait pris soin d'apporter du bois très sec.
J'avais l'autorisation de tourner la manivelle.
De temps en temps, ma grand-mère - elle avait placé sous le tourne- broche un grand plat le lèche-frite où tombait la graisse- avec une grosse louche, arrosait la dinde afin qu'elle soit dorée à souhait.
Car disait-elle , « elle doit être dorée comme la dinde de Garrigou qu'attendait le curé du conte d'Alphonse Daudet ».
Quand elle était bien dorée et bien cuite, on la retirait de la broche et on la portait sur la table.
C'est mon grand-père qui la découpait.
On m'attribuait la cuisse, le morceau le moins bon car plein de nerfs. On prétendait que du fait que j'avais bien gardé les dindons, je les avais rendus forts et donc que la partie qui leur servait à courir me revenait de droit....
Ce plat était délicieux, la viande était fameuse.
La dinde arrivait après le bouillon de viande, la poitrine de veau farcie, un gros reste de la daube du réveillon de Noël et elle précédait les îles flottantes et le massepain.
Pierre DUPOUY