« L’apocalypse n’est pas un événement "futur". Elle s’est déjà manifestée un peu partout sur notre planète et ce n’est que parce que nous vivons dans une bulle de privilèges et d’insonorisation sociale que nous avons encore le luxe de l’anticiper. » - Terrence McKenna (1946-2000).
W. E. Gutman
La prise de conscience que nous vivons en sursis a enfanté une nouvelle génération de grands prêtres dont l’optimisme frôle l’insouciance. Ils se cramponnent à un avenir radieux et nous assurent que le navire du progrès est insubmersible. « Dieu y pourvoira. »
Leurs prédications ignorent que les progrès du passé furent obtenus en immolant l’avenir. L’avenir est arrivé, accéléré par le pillage et la dégradation de la planète.
Alors que notre civilisation s’effrite, et afin de mieux comprendre, sinon de prévenir l’inévitable, les chroniqueurs des sociétés anciennes se penchent sur le déclin et chute des civilisations éteintes. Ils soulignent que l’effondrement de notre civilisation ne sera, hélas, pas soudain. Citant quatre différences entre les civilisations d’antan et celle que nous sommes en train de vicier, ils augurent un anéantissement lent et cruel.
1 : Contrairement aux civilisations précédentes, la civilisation industrielle moderne est alimentée par une source d’énergie non renouvelable et irremplaçable : les combustibles fossiles. Cette base d’énergie prédispose toute évolution à une courte durée d’opulence suivie par un effondrement imparable. Notre civilisation doit sa brève durée de vie à cette aubaine énergétique que nous gaspillons sans vergogne.
2 : Inversement aux civilisations disparues, le système qui nous alimente (ou nous appauvrit) est capitaliste. L’appât du gain est son unique objectif et force motrice. L’excédent d’énergie produit par les combustibles fossiles a généré une croissance exceptionnelle et d’énormes profits au cours des deux derniers siècles. Ces sources d’énergie et les revenus qu’ils engendrent, s’éclipseront bientôt.
À moins qu’il ne soit aboli, le capitalisme ne disparaîtra pas lorsque le boum tournera à la faillite. Affamé d’énergie, le capitalisme deviendra catabolique [le processus par lequel une chose vivante se dévore]. Le capitalisme catabolique exploitera les pénuries, les catastrophes, et les conflits. La guerre, les bouleversements écologiques et les pandémies en seront les bénéficiaires.
3 : Notre civilisation n’est pas romaine, chinoise, égyptienne, aztèque ou maya. Elle est humaine, planétaire, et écocide. Nous sommes une espèce envahissante inassouvie. Les écosystèmes intacts ou les antipodes où nous pourrions échapper aux méfaits que nous avons commis, n’existent plus.
4 : L’organisation et la mise en place d’une riposte devient de plus en plus difficile. Nous sommes handicapés par un système politique fragmenté de nations antagonistes gouvernées par des élites corrompues qui se soucient plus du pouvoir et de la richesse que de la planète. L’humanité est à la veille d’une tempête parfaite de calamités convergentes. Les tribulations qui s’entrecroisent - les perturbations climatiques, l’extinction de certaines espèces, la faim et la pénurie d’eau potable, l’indigence, le racisme, et la montée des pandémies - érodent rapidement les fondements de la vie moderne.
Plus le capitalisme devient catabolique, plus les dirigeants attiseront les flammes du fascisme et iront en guerre afin de s’emparer de ce qui reste des ressources énergétiques. Une telle guerre s’avèrerait si toxique qu’il ne resterait plus grand-chose. Elle serait le dernier clou dans le cercueil de l’histoire. Entre temps, ce n’est pas la flicaille qui nous empêchera de respirer, c’est la nature, généreuse quand on la respecte, impitoyable quand on s’en moque.
Telle que nous la vivons, l’histoire a une durée de conservation limitée.
W. E. Gutman est un journaliste et écrivain franco-américain. Il vit en Floride.
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