W. E. Gutman
On raconte que Christophe Colomb a « découvert » les Amériques. L’histoire se tait sur les Vikings (et les Chinois avant eux) qui l’ont devancé.
Le navigateur génois est depuis devenu une figure polarisante aussi bien pour son traitement brutal des peuples autochtones que pour l’impérialisme auquel leurs descendants seront désormais assujettis.
Alors qu’il était gouverneur de ce qu’est aujourd’hui la République Dominicaine, Colomb massacra un grand nombre d’indigènes qui s’étaient révoltés. Pour éviter une nouvelle émeute et semer la frayeur, il fit défiler leurs cadavres dans les rues. Il envoya ensuite des centaines de Taino «Indiens » en Espagne pour être vendus. Certains moururent en pleine mer.
Et pourtant, Colomb est fêté chaque année aux États-Unis. Réagissant aux manifestations récentes et au débat entourant l’inégalité raciale, plusieurs villes sont en train de démanteler des statues de Colomb et d’autres effigies glorifiant les états confédérés. Certains insistent que ces mémoriaux honorent l’histoire sudiste. D’autres ripostent qu’ils exaltent le sombre héritage de la colonisation, de l’esclavage, et du racisme ancré qui continue à faire couler le sang en Amérique.
Certes, les conquistadors ont commis des crimes odieux. Stigmatiser Colomb, comme le font chaque année des millions de latino-américains à l’occasion de son anniversaire, est un exercice de lynchage rétrospectif. Colomb, issu de la barbarie de son ère, était la goule que ses détracteurs prétendent. Mais il serait absurde de supposer que les peuplades conquises étaient elles-mêmes paisibles ou inoffensives. La bestialité est le propre de l’homme. Tout dépend du côté de l’histoire vers lequel on se range.
Quand Colomb débarqua, les empires Aztèques, Mayas et Incas s’effritaient déjà, affaiblis par des querelles intertribales sanglantes, par la décadence, la toxicomanie des satrapes, les sacrifices humains orgiaques, les automutilations grotesques, l’inapte gestion des ressources naturelles, et par des perturbations climatiques désastreuses. Leurs descendants, désocialisés, persécutés, et politiquement inertes, inculpent Colomb, « in absentia. » Ils citent cinq cents ans de tourments sous la tutelle de leurs oppresseurs contemporains.
Je les ai vus, tous les 14 octobre, sortir de leurs hameaux et cheminer vers les villes, manifestant silencieusement, une expression maussade sculptée sur leurs visages cuivrés.
« Colomb, De Soto, Balboa, Coronado, Pizarro, Cortes - des noms - » me dira un jeune conseiller tribal Maya en Honduras. « Nous témoignons contre cinq siècles d’exploitation, de banalisation, et d’harcèlement sous le joug de leurs héritiers. Chaque fois que nous remettons en question la légitimité de nos gouvernants, on nous accueille avec des matraques. »
La révolution, prévue et tardive n’aura pas lieu de sitôt. Les dynasties oligarchiques qui règnent en Amérique Latine (et ailleurs) continueront à se cuirasser contre les revendications populaires et à protéger leurs gains mal acquis. Il faut une révolution pour qu’une révolution se produise.
Entre temps, il serait utile de se demander si l’on peut justifier les atrocités perpétrées par son pays, ses rois, ses empereurs, ses chefs d’État, ses généraux, et ses colonisateurs en se convaincant qu’elles sont commises au nom de la « sécurité nationale » ou pour le « bien-être » du peuple.
W. E. Gutman est un journaliste et écrivain franco-américain. Il a passé douze ans en mission en Amérique Centrale. Il vit en Floride.