Le tourteau gascon

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Une bonne odeur de fleur d’oranger enbaume la cuisine.

Ma grand-mère est en train de préparer, dans une grésale, une pâte, la pâte du tourteau que l’on appelle maintenant la galette des rois.

La grésale est un récipient en terre verni qui était utilisé à la campagne (voir illustration)

Ma grand-mère brasse là-dedans la pâte pour faire le tourteau : farine, œufs, sucre, de la fleur d’oranger, de la vanille liquide….

Nous sommes en 1945 ; on n’a du pain qu’avec des bons. Le boulanger ne pouvait donc pas nous donner de la farine qu’on ne trouvait pas non plus dans le commerce.

Alors on allait moudre du blé dans un petit moulin qui tournait sur la Guiroue. La nuit, on mettait sur le porte-bagage du vélo, un petit sac de 20 ou 30 kilos et, par les chemins les plus détournés - pour ne pas être pris par les gendarmes ou la Kommandatur- on arrivait au moulin.

Il y avait déjà là quatre ou cinq personnes avec leur sac de blé et le meunier allait moudre ce blé pour tout le monde.

À cette époque, les moulins étaient condamnés par les Allemands, fermés par une sorte d’anneau ;  ce meunier avait réussi à reconstituer l’anneau, il avait enlevé celui des Allemands et l’avait remplacé par le sien ressemblant à l’autre.

Il ne fut jamais pris. Mais le danger était important,  le soir, si quelqu’un venait au moulin. Il n'y avait qu'une pâle lumière. Tout le monde était là assis sur les sacs. Chacun avait apporté une bouteille de blanc. C’était le dernier comptoir où l’on échangeait des nouvelles de la région.

On revenait avec la farine non blutée.

Ma grand-mère la passait dans un crible fait d’un tissu très très fin.

C’est avec la fleur de farine qu’elle obtenait qu’elle faisait le tourteau.

Lorsque la pâte était bien prise, elle faisait une grande couronne sur la table. Pendant ce temps, dans le foyer, brûlaient de gros morceaux de bois pour faire des braises.

Car elle allait utiliser pour cuire le tourteau le four de campagne, qu’on ne connaît plus aujourd’hui à l’heure du four électrique et du micro-ondes.

Le four de campagne était constitué d’un plateau avec un bord pour recevoir la pâte. Il était équipé de pieds pour le poser sur les braises.

Le plateau était recouvert d’un couvercle avec une bordure qui recevait de la braise pour cuire le dessus du gâteau.

Le gâteau cuisait tranquillement.

Lorsqu’il était bien cuit et avait refroidi, on le découpait en morceaux mais auparavant ma grand-mère y avait mis quatre fèves pour qu'il n'y ait pas de jaloux.

Celui qui avait la fève, était déclaré roi, la coutume voulait que celui-là porte un autre gâteau.

Avec le reste de farine blutée, on faisait du pain avec toujours le four de campagne. On faisait du pain bis qui était meilleur que celui du boulanger.

Un jour qu’on goûtait, arrivent les gendarmes qui avaient fait une recherche de pêcheurs sur les bords de l’Osse. Ils passaient dire bonjour.

Il y avait, sur la table, un de ces pains faits maison. Bien entendu, ils n’ont pas manqué de nous dire que nous avions du bon pain. On a alors coupé pour chacun une tranche de ce pain illicite…!

Pierre Dupouy

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