Lorsqu'on coupait du bois dans la forêt, on sélectionnait un tronc de chêne ou d’ormeau et on sciait un morceau d’un mètre d’environ pour mettre entre les deux chenêts dans la cheminée. Ce serait la bûche de l'année suivante.
La mise à feu se faisait avec un fagot de sarments et quelques brindilles de bois.
Mon grand-père surveillait de très près si le feu avait pris et si les écorces du chêne ou de l’ormeau brûlaient à leur tour. Cela allait être la mise à feu du cœur de la bûche.
Il fallait aussi qu’elle brûle suffisamment pour pouvoir réchauffer tous ceux qui rentraient de la messe de minuit et se pressaient autour de l’âtre. On préparait aussi des tuiles canal avec des braises qu’on plaçait sous la table pour que les gens n’aient pas froid aux pieds pendant le repas.
On se mettait enfin à table, chacun choisissait sa place à côté de son copain politique ou de son voisin et on attendait le repas.
La grosse soupière à fleurs arrivait sur la table. Elle fumait et embaumait le local. C’était une garbure, une vraie, avec des morceaux de canard, des choux et des pommes de terre.
On entendait siffler la bise par un coin de fenêtre où le verre est cassé. On fermait vite cette ouverture avec un calendrier du facteur.
Le service se faisait avec une grande louche dans des assiettes calottes, des assiettes calottes nécessaires pour le chabrot qu’on faisait après avoir consommé la garbure. Qu’est-ce que le chabrot ? Les convives mettaient dans leur assiette un verre de vin ; le vin s’échauffait et s’imbibait du gras laissé dans l’assiette pour composer un délicieux breuvage que l'on dégustait à même l'assiette.
De gros saucissons étaient posés sur la table avec de grands couteaux pour la découpe et du pâté froid. C’était un délicieux pâté de morceaux de porc recouverts par une couche de graisse.
Pourquoi l’appelait-on pâté froid ? Je l’ignore mais si quelqu'un a l'explication, qu'il me contacte !
Enfin arrivait la daube, ce plat de Noël longuement préparé par les cuisinières. On portait la grande marmite sur la table et déjà une bonne odeur donnait envie aux gens de remplir leur assiette. C’était un premier service. Chacun trempait un bout de pain dans la sauce et on attendait les réactions, du moins ma grand-mère debout près de la table.
« Honorine, c’est parfait, disait un convive, tu l’as réussie mieux que celle de l’an dernier".
Ma grand-mère rétorquait invariablement: « Cette année, j’ai eu de la meilleure viande que l’an dernier. Le boucher m’a garanti son origine : c'est du bœuf d’un éleveur de la Baïse".
Ce que l'on attendait aussi avec impatience, c’était la bûche de Noël, ce dessert dont les convives disaient : « Ah, ce ne sont pas les bûches vendues dans le commerce, faites de graisse, de beurre ou de margarine décorées avec des produits toxiques ! " . C'était en fait une délicieuse pâte roulée garnie de confiture de prunes ramassées dans le jardin, de prunes biologiques.
Pour un tel dessert, mon grand-père allait à la cave chercher trois bouteilles recouvertes de poussière qu'il garantissait être un millésime 47, année sacrée pour le vin.
Les verres se remplissaient, se vidaient, on trinquait, à la santé de n’importe qui, à la santé de la République!
C’était alors que le vétéran entonnait son répertoire de chansons que Monsieur le curé n’aurait jamais mises sur le pupitre de l'harmonium....