En 2019, un peu partout en France du sud principalement, les quatre-vingts ans de la « Rétirada » épisode qu’était l’exode des réfugiés Espagnols de la guerre civile, est commémoré. En février 1939, près d’un demi-million de républicains franchissaient la frontière avec la France partout où ils le pouvaient à la suite de la chute de la république espagnole et de la victoire de Franco. C’est la prise de Barcelone qui avait précipité les choses en mettant sur les routes de l’exil les derniers convois de ces réfugiés en détresse que la France ne savait comment accueillir .Les premiers contingents d’exilés avaient quitté leur pays, dès l’été 1936. ils venaient surtout de Saint-Sébastien, Irun, puis, en 1937, de Bilbao, Oviedo, d’Aragon, ce qui représentait environ 170.000 personnes. Ils avaient rencontré, avant 1938, un accueil avec une forte solidarité. Sous le gouvernement Daladier, les derniers arrivants ont vécu bien autre chose. Ils étaient indésirables, internés dans des camps où certains sont restés jusqu’à la fin de la guerre 39/45.
À Plaisance, près de quatre-vingts réfugiés Espagnols ont été recensés en mairie. Certains, des hommes surtout étaient seuls, il semble que les choses aient été plus simples pour eux que pour ceux arrivés en famille.
Premiers arrivants, le 7 novembre 1939, la famille Lopez de Eguilaz (le père, Ramos, la mère, deux fils Joseph né en 1929, et Antoine en 1939) venait de Vittoria, capitale de la province basque d’Alava. Ils ont trouvé refuge à l’hospice avant d’être installés dans la chartreuse Magenc inhabitée qui lui faisait face.(Maison Quereilhac Costes aujourd'hui). La famille avait craint pour sa vie après le bombardement de Guernica par l'aviation allemande, en avril 1937. Il avait fait 2.000 victimes civiles, femmes et enfants majoritairement.
Monsieur Lopez, menuisier de métier avec ses mains d’or, a rapidement trouvé ses marques et travaillé pour pouvoir faire vivre sa famille. Joseph, le fils aîné, a appris la mécanique, Antoine a fréquenté les écoles de Plaisance, élémentaire et cours complémentaire. La famille, quelques années plus tard, est partie en région parisienne. Joseph avait trouvé du travail, de mécanicien, chez Simca, il y est resté 32 ans. Âgé de 90 ans, il vit à Soulac en Gironde. Il garde un excellent souvenir de son passage plaisantin, de ses amis, les frères Marcinkowski. Il n’a plus de contact avec ses cousins basques car ceux de son âge sont décédés. Antoine lui vit à Eragny, dans le 95. Il y a quelques jours, à l’aube de ses 80 ans, en conversation téléphonique avec moi, il était triste d’apprendre que Robert Domingo, le premier enfant d’exilés né à Plaisance en 1941, son copain d’école était décédé. Pour lui aussi, Plaisance est un bon souvenir de ses jeunes années.
Les hommes seuls ont trouvé place dans les fermes comme « domestiques » aidant aux travaux agricoles, ils étaient logés, nourris en échange de leur travail. Un des premiers arrivés en avril 1940, José Gias venait de Binacer, proche de Huesca, le 14 avril 1940. Il a été placé chez Lagors, agriculteurs et charpentier. Joseph et Zélia l'avaient accueilli avec humanité, il en avait besoin car, en franchissant la frontière à Tramezaigues, son frère avait été fauché par les balles des miliciens de Franco.
Zélia lui avait appris à lire le français à la lecture du journal. Quelques années plus tard, il avait connu France Charrier, l’avait épousée ; ils avait acheté un terrain sur lequel José faisait du maraîchage du tabac. Ils ont eu deux enfants Arlette, décédée, et David, le jardinier municipal retraité depuis quelques mois. José, homme d’une grande douceur, était apprécié de tous.
Dans la ferme Lavedan, trois réfugiés se sont succédés, le premier José Caminal arrivait d’Estéri de Cardoz dans le Val d’Aran, en juin 1940. Il parlait le catalan proche du gascon. Après quelques mois, il a connu une dame seule à Armentieux, il est parti vivre avec elle vers fin 1941.
Jayme Guardiola, arrivé d’Aragon, lui a succédé jusqu'en août 1944. Il avait appris le français en faisant les devoirs du soir avec l’enfant de la maison : moi. Il a vite maîtrisé la langue et il est parti pour exercer un autre emploi. Béniño Diaz, arrivé à son tour de Roblejas, le 11 septembre 1944, simple et bon, il rendait au centuple tout le bien qu’on pouvait lui faire. Il a, un temps, quitté Plaisance pour aller travailler sur le barrage de Tignes, en Haute-Savoie, avant de retrouver le Gers, à Préchac-sur-Adour. où il repose.
Tous trois s’étaient, comme José, parfaitement intégrés dans leur nouveau pays et par leur travail ; ils ne dépendaient que d’eux-mêmes.
Les choses étaient moins simples pour les familles.
La famille Canals d’Estartit. Six personnes étaient parties avec la charrette tirée par le mulet jusqu’au Perthus où elles devaient tout abandonner pour passer en février 1939. En France, femmes et enfants séparés des hommes, partent en train et bus pour Plaisance à l’hospice, les hommes partent à pied prisonniers au camp de Saint Cyprien. Michel Canals s’échappe, il est récupéré par Jean Costa qui le cache dans sa camionnette, le ramène à Plaisance où il travaille comme mécanicien. Un mois plus tard, son père et son frère le suivent et travaillent dans les fermes, la famille reconstituée vit à Jû-Belloc. Survient la guerre 39/45 et l’occupation de la France, les injustices, c’était à chaque fois les réfugiés espagnols qui étaient réquisitionnés, une fois, il s’échappe, un gendarme tire, le blesse au genou ; son frère et lui sont déportés dans le Pas-de-Calais. Évasion une fois encore jusqu’à Bordeaux où ils sont embauchés à la base sous marine. Ils rentrent à Jû-Belloc pour exploiter une ferme en métayage, on l’arrête pour rébellion envers le gouvernement de Vichy, il est emprisonné à Auch, dix jours plus tard, le maquis libère la ville, il quitte la prison. La guerre et les persécutions sont terminées, il reprend une vie normale avec son épouse et ses filles : Lidia, née en Espagne et mariée à Robert Bousquet, vit à Tieste ; Sarah et Rosette, nées en France, vivent à Bordeaux.
La famille Domingo a eu un parcours moins chaotique. Jean arrivait de Ruidonnes, près de Tarragone, en juin 1940, celle qui allait devenir son épouse Juanita Mas, venue de Vinaixa, près de Lérida, l’avait précédé de quelques jours. Jean, maçon de formation, n’a eu aucun mal à trouver du travail ; au bout de quelques années, il créait son entreprise et formait quelques jeunes Plaisantins de cette époque.
Juanita, devenue Jeannette, travaillait comme femme de ménage mais aussi dans les vignes, lors des vendanges, sa joie de vivre, son entrain était communicatifs.
Le 17 juillet 1941, naissait, à Plaisance, Robert leur fils, premier enfant de réfugiés espagnols. Ils allaient rester à Plaisance tout au long de leur vie.
Beaucoup étaient restés ici, d’autres étaient partis vivre ailleurs en France, ou repartis en Espagne aussi comme Antonio Borruel de Torla arrivé à Plaisance, le 10 juin 1941. En 1995, lors d’une sortie de la gymnastique volontaire dans ce village, situé côté espagnol derrière Gavarnie dans le parc naturel d'Ordessa mais inaccessible par la montagne pour un véhicule, Antonio avait interpellé le groupe, demandé d’où il venait, la réponse "Plaisance", l’avait ému. En effet, il avait été réfugié chez Vacquier, à Saint Aunix, puis à Galiax chez Marsa où il avait pour copain René Duffau « el communiste ». Dans le groupe, Dany Quereilhac, née Duffau, fille de René était présente, elle a parlé avec Antonio heureux comme tout de pouvoir parler d’un épisode de sa vie, en France, qui lui avait laissé un bon souvenir.
Il est évident que bien d’autres réfugiés seuls, d’autres en familles, sont passés à Plaisance. Certains repartis, exilés dans d'autres régions ou restés ici ; bien d’autres histoires auraient pu se raconter, mais il fallait bien faire un choix et j’ai fait celui du cœur avec la famille Lagors et la mienne liées par une parenté féminine venue d’Asté en Bigorre, notamment pour les parcours de José Gias, de José Caminal, de Jaymes Guardiola et de Bénigno Diaz.
Choix non exhaustif car les familles Fabrégas, Palau, Reixach, Cartago, Castella, Ramonet, Vidal, Marques, Garcia, Pedrico venues et pour beaucoup restées à Plaisance, avaient aussi des histoires à raconter.
Côté Plaisance, cette arrivée soudaine d’une nouvelle population avait posé quelques problèmes sanitaires et de logistique. À l’hospice tout juste ouvert où ils étaient hébergés, leur état de santé faisait craindre, à la mère supérieure, un danger pour la population et elle ne souhaitait pas les garder. M Bordes, de son côté, minimisait ce possible danger, les réfugiés restaient finalement à Plaisance, il était demandé à la préfecture de rassurer sur leur état sanitaire. La municipalité décidait de loger les réfugiés chez l’habitant ; Monsieur Bordes gérera la nourriture, Messieurrs Pagelet, Bédouret et Villas, la recherche de logements. Le comité d’accueil de la préfecture avait envoyé du savon, la municipalité voté un crédit de 500 francs pour acheter des fournitures aux réfugiés dont des chaussures, par autorisation spéciale sur l’article 35 bis et demande au sous préfet de vouloir bien l’approuver.
Finalement, les choses s’étaient peu à peu arrangées, les réfugiés s’étaient tous investis avec courage pour travailler se rendre utiles, les inquiétudes, les craintes s’étaient envolées, la vie avait repris son cours.
Les réfugiés ont rarement parlé des mauvais et douloureux moments passés, cela leur faisait trop mal certainement, mais aucun d'eux quatre-vingts ans plus tard ne les a oubliés.
Photo de Une : assis à droite, José Gias, au centre Zélia Lagors qui tient Jean-Claude son petit fils ; à gauche, Joseph Lagors. Debout, Marie et René Lagors, parents de Jean-Claude et des membres de la famille.