Les crêpes de la Chandeleur

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Voici la règle à respecter pour faire sauter les crêpes le jour de la Chandeleur.

Croyez-en les grands-mères.

Samedi, jour de la Chandeleur, on fera sans doute des crêpes.

Sur la gazinière intégrée, la poêle Téfal recevra une pâte toute prête vidée d’un brick de carton.

A-t-on encore aujourd’hui le coup de poignet qui retournait la crêpe, la fabrication est-elle encore entourée de légendes, de chansons qu’on fredonnait pendant que s’empilaient les dizaines de crêpes sur un torchon blanc ?

Je me souviens très bien des Chandeleurs d’antan.

Ma grand-mère passait la farine avec un tamis des plus fins puis, dans une « grésalle » (récipient en terre très évasé), elle préparait la pâte à crêpe. J’avais pour mission de râper la peau d’une orange avec la râpe à fromage, instrument incurvé qui ne manquait pas de sanctionner tout geste maladroit par une éraflure.

Je pensais ensuite manger la pulpe en récompense.

Elle sortait aussi du fond du placard une bouteille grisâtre portant une étiquette. Il s’agissait du parfum pour crêpe qu’on achetait chez un pharmacien vicois très réputé pour son cocktail parfumé.  Parfois, c’était un reste de l’année passée et le bouchon poreux avait laissé échapper toutes les composantes du parfum.

Ma grand-mère profitait du temps nécessaire pour laisser reposer la pâte pour préparer le feu.

« Du bon bois » avait-elle exigé de mon grand-père. Il l’avait bien sélectionné mais ce n’était jamais le bon. Elle plaçait sur les deux chenêts une barre de fer qui allait soutenir les poêles en appui contre la plaque de cheminée. Ma grand-mère officiait seule avec trois poêles, un exercice de haute voltige qui exigeait un temps de rôdage où quelques crêpes finissaient dans la cendre. Les plus étonnés cette matinée de la Chandeleur étaient les chats qui habituellement partageaient la vie de la communauté installés sur la chaise ou ronronnant au coin du feu. Ce jour-là, Minouche, l’ancienne, Voleur, le mâle, Cendrette la frileuse qui avait toujours les pattes dans les cendres étaient chassés de la cuisine et ma grand-mère tirait le lourd verrou de la porte d’entrée. Elle disait : « Nou cal ni besin, ni besino, ni gat, dan la cousino. Cal barra lous troucs, la porto, et la finestro » (il ne faut ni voisin, ni voisine, ni chat dans la cuisine. Il faut fermer la porte et la petite fenêtre).

Pendant qu’elle faisait les crêpes, on pouvait lire la suite de la chanson  soigneusement conservée dans un cahier de recettes calligraphiée en pleins et déliés d’une encre qui était passée du violet au sepia.

« Et per abé argent tout l’an, de boun bin et de boun pan blanc, boutats une pecetto den la pasto, lanço les ser l’armari, et lou fusil, d’un brabe pet, den lou traouc de la cheminéo, espahoutera la sourcièro » ( pour avoir de l’argent toute l’année, du bon vin et du bon pain blanc, mets une pièce dans la pâte et lance la crêpe sur l’armoire  et le fusil, d’un coup très fort dans la cheminée effrayera la sorcière)

Ce couplet accompagnait une légende que les mamies nous racontaient rarement le jour de la Chandeleur. On n’y croyait plus. C’étaient des blagues mais on ne sait jamais…

Un mauvais sort est vite jeté.

Le jour de la Chandeleur, une fermière faisait des crêpes. Entre à ce moment-là un chat noir. Les crêpes collent à la poêle. Sur le coup de poignet elles tombent dans le feu. Impossible de continuer. Excédée, la cuisinière jette une crêpe brûlante sur le museau du chat qui s’échappe en miaulant de douleur. Les crêpes sont de nouveau réussies.

Le lendemain, ne voyant pas sa voisine, elle se rend chez elle, elle la trouve alitée avec un large pansement sur le visage. Elle l’accuse de l’avoir brûlée la veille et que tout au long de l’année elle se vengera.

Effectivement, les économies sonnantes et trébuchantes soigneusement cachées entre les draps disparaissent. Les confits sortent des pots. Tout ce qu’elle entreprend échoue. Elle va donc consulter le devin du village qui lui conseille le jour de la Chandeleur de chasser les chats de la cuisine mais aussi de demander à son mari au moment où elle fait sauter la fameuse crêpe sur l’armoire de tirer un coup de fusil dans la cheminée au cas où des sorcières attirées par l’odeur des crêpes emprunteraient cette voie pour rentrer dans la cuisine.

Quelques adages accompagnent aussi la chanson : « Si le jour de la Chandeleur le temps est beau, il y aura du vin comme de l’eau ».

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