Romain Duport chronique

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La République des Salons

Les semaines se suivent et le Parc des Expositions Porte de Versailles à Paris ne désemplit pas. Ainsi, après Haute qui fut la reine de ces lieux, ce ne sont pas moins de trois mille auteurs qui ont, du 16 au 19 mars, constitué salon. Le livre libre est à l’honneur. Ne vous y fiez pas, entre libre et livre, le « b » en vrille n’est pas badin. Et si le « v » brille c’est que le savoir libère les hommes et transforme chaque monade individuelle en un héritier de ses glorieux ancêtres. Ainsi, grâce à ces êtres de pensées et de lettres, astres tutélaires, pâles lueurs lunaires dans un ciel sombre, ces monades se rassemblent en communauté.

Le livre libère tout en créant un lien. Non pas un lien solide, maillon rugueux qui jadis était mis aux cous des esclaves et aux pieds des bagnards mais un doux lien de l’esprit qui relie les hommes entre eux. Bien plus qu’une simple carte d’identité ou qu'un frêle passeport, c’est bien le livre qui permet à un individu d’appartenir à une Nation. Alors que, depuis plus de dix ans la France s’atrophie et s’interroge sur son identité nationale, la réponse se trouve sous nos yeux. Pour quitter enfin ce labyrinthe où notre pays perd son âme suivons donc le fil d'Ariane qu’est notre langue. Est français celui qui parle le français et qui se sent dépositaire de cette République des Lettres. Comme le Panthéon est chargé, nous pourrons, à notre guise, consommateur des temps modernes, effectuer notre marché en toute liberté. Celui qui caresse dans son cœur un vers de Racine, celui qui tremble en parcourant Stendhal, celui qui rêve en fréquentant Rostand, celui-là, sans le moindre doute, est Français. Et Molière, figure tutélaire de notre langue sourit d’aise lorsque Beckett, Ionesco ou Makine font briller nos mots dans leurs écrits. Je viens de terminer le dernier roman d'Amin Maalouf : les Désorientés. Outre l'excellence du récit, ce texte mélancolique pose avec justesse la question du rapport à la terre pour celui qui en est parti. Sans en être l’objet, Amin Maalouf nous prouve qu’il est possible d’effacer les différences sans oublier les racines, devenir pleinement Français en conservant le doux souvenir des origines.

« Ouvrir des écoles, c'est fermer des prisons ». Tout porte à croire que les conseils de Victor Hugo n’ont plus cours dans les salons de notre République. En effet, sous la présidence Hollande comme sous la Présidence Macron, chaque année, morbide chapelet, égraine son lot d’écoles fermées. Le primaire se réduit sous notre ciel gascon. Montestruc, Masseube, Castéra-Verduzan, autant d’étoiles qui ternissent et se meurent.

S’il y a bien un écrivain qui symbolise à lui seul ce lien étrange entre littérature et monde carcéral, c'est Alexandre Soljenitsyne. Le romancier russe, prix Nobel de littérature en 1970, auteur de Une journée d'Ivan Denissovitch et de l'Archipel du Goulag, conservait dans les stigmates de sa peau et dans les confins de sa mémoire la douleur et la souffrance infligées par la barbarie de Staline. Soljenitsyne est décédé en 2008. Mais trente-huit de ses compatriotes se trouvaient à Paris ces jours derniers, invités d’honneur du salon du Livre. Parmi ces écrivains, certains s'opposent à Vladimir Poutine, d’autres l’adulent, d’autres, enfin, feignent l’indifférence. Pourtant, dans un geste politique digne des moments les plus tristes de la diplomatie française, et ces moments, hélas, sont de plus en plus nombreux depuis le départ de Dominique de Villepin du Quai d’Orsay, le Président Macron, embrassant la méfiance désormais traditionnelle de dirigeants occidentaux bien trop manichéens a décidé d’éviter le pavillon russe lors de l’inauguration du salon. Natalia Soljenitsyne, veuve de l'écrivain a donc exprimé sa peine en considérant que « lorsque les diplomates ne savent plus se parler il est encore plus important que se parlent les artistes et les gens de la culture et des arts ».

Certes, les relations entre les Grands de ce monde ne sont guère plus aisées que toute relation humaine et comme Jean-Luc Lagarce l’a souligné dans Juste la fin du monde « rien jamais ici ne se dit facilement ». L'écriture, comme la parole, est un accouchement douloureux. Oublions donc les bravades et les coups de menton, car nous ne sommes jamais trop de deux pour mener à bien cet art si français qui avait cours dans les salons : la conversation. Le rapport à la Russie est complexe et merveilleux. Nous devons la comprendre avant de la juger. Pour ce faire, écoutons l'historienne Hélène Carrère d'Encausse converser devant la Commission des Affaires Étrangères de l'Assemblée Nationale le 21 février 2018 ; l'érudite universitaire replace avec brio et clarté ce qui nous manque de contexte pour appréhender la situation au plus juste. Le Président Macron avait inauguré son mandat avec majesté par un signe d’apaisement envers la Russie en invitant Vladimir Poutine à Versailles mais, en même temps, il la défie et s’en éloigne préférant alors donner des gages au cruel régime saoudien.

Moins de cent kilomètres séparent le château du Roi Soleil à Versailles de celui de François Ier à Villers-Cotterêts. Si le premier est toujours l’emblème de cette France rayonnante le second tombe en décrépitude. Afin de le sauver de l’oubli ce-dernier devrait être proclamé maison de la francophonie par le Président de la République lors de la journée mondiale de cette cause fixée au 20 mars. Ce geste fort devrait ainsi marquer la reprise du combat pour la langue française. Si nous manquons d’idée ou de talent, n’hésitons pas à nous inspirer d'un pays qui a su reprendre le flambeau : le Québec. Cette goutte francophone porte haut la langue de Molière dans un océan anglophone. Ainsi, au lieu de balbutier deux bribes d'anglais et d’incorporer dans notre langue une kyrielle d'emprunts majoritairement anglo-saxons, rendons grâce à nos frères d'Outre-Atlantique et portons leur main forte. Dans les pas d’Albert Camus, n'oublions pas que de l'immense Afrique aux confins des terres du Nord, « notre patrie, c’est la langue française ».

 

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