Autrefois, les propriétaires de vignes avaient l'autorisation de distiller du vin afin d'obtenir 10 litres d'alcool pur ou une vingtaine de litres à 52 degrés.
Ce privilège disparaîtra complètement.
Revenons sur nos pas..
C'est le début de l'hiver, le givre recouvre les arbres, les travaux des champs sont à l'arrêt.
Sur les chemins blancs, commencent à défiler les charrettes transportant les barriques contenant du vin (100 litres de rouge en général), une bonbonne de verre et des morceaux de bois pour alimenter le foyer. Les charrettes se dirigent vers le village où le distillateur a installé son alambic dans un hangar prêté par le maire qui a informé par courrier les viticulteurs.
On est auparavant allé à la régie de Riguepeu pour obtenir le laisser-passer de la ferme au village pour transporter le vin ; le distillateur signe ensuite le papier pour le retour de l'eau de vie à la maison.
Ce dernier commence par examiner le bois que l'on a apporté car la qualité est importante pour la régularité de chauffe. Le distillateur est un peu le magicien de l'affaire, voire un sorcier dont on scrute les gestes sur l'alambic en cuivre.
Ils sont bientôt un petit groupe sur la place du village et ils échangent sur les vendanges de l'année, sur la récolte moins importante que l'an passé mais peut-être de meilleure qualité...
Pendant ce temps, le distillateur continue son travail, passe sa main sur la colonne de refroidissement et jette un œil sur l'alcoomètre plongé dans le seau de cuivre recueillant l'armagnac. Ses journées sont longues et il reste parfois plusieurs jours dans un même lieu avant de se rendre dans un autre village.
Quand on a récupéré « la blanche », on la met dans une bonbonne en verre ventrue protégée par un étui en osier fabriqué par le vannier.
De retour à la ferme, certains y plongent des morceaux de bois de chêne ancien pour donner une couleur dorée à la blanche. D'autres la versent dans un tonnelet en chêne pour lui donner un goût spécial.
Cet armagnac, on le servira après le café dans la tasse encore chaude en prenant garde de la couvrir pour conserver son arôme. Certains ont les verres à armagnac que l'on couche pour avoir la dose exacte.
Il servait aussi à parfumer les gâteaux et à faire flamber les gibiers.
On lui prêtait également des vertus médicamenteuses.
Je me souviens de mon grand-père qui avait été mordu par un putois ; l'animal lui avait transpercé le doigt. Il avait versé sur son doigt de l'armagnac et ma grand-mère lui avait confectionné un pansement. Sa plaie s'était refermée rapidement.
Me revient aussi en mémoire la lavandière qui passait de ferme en ferme pour assurer les lessives de gros draps des familles au lavoir. Elle accompagnait toujours son café d'un peu d'eau de vie. « J'ai toujours les pieds dans l'eau, il faut bien réchauffer le haut ! » disait-elle. Elle mourut à 97 ans sans avoir jamais été malade...
Plus de distillateur ambulant aujourd'hui mais au coeur des domaines des manifestations variées autour de la distillation de l'Armagnac qui sont des moments de convivialité et de partage en souvenir d'une pratique ancestrale.
Photo L'Encantada
Pierre DUPOUY
Photo-titre : François MACE