Revenons sur nos pas : le repas du tue-cochon

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Nous sommes à Las Biasas une ferme de la Ténarèze où en ce jour on va sacrifier un cochon.

Une tradition quasiment disparue aujourd'hui mais ce que je vais vous raconter s'est passé autrefois...

Revenons sur nos pas...

Ce matin, Amélie est nerveuse, on lui dit bonjour, elle ne répond pas.

« J'ai renversé la cafetière, le feu sous la marmite s'est éteint, bref, ça ne va pas....

C'est parce qu'on va tuer Miok, Miok c'est le nom du cochon que j'ai nourri, on l'avait acheté tout petit à Miélan, c'était un cochon que j'avais habitué à la pesée sur la bascule à plateau.

Quand il voyait que je m'approchais de la balance, il s'installait sur le plateau et on avait l'impression qu'il regardait son poids !

Ensuite, on passait au bilan, positif s'il avait grossi, négatif s'il n'avait pas profité, je lui promettais alors plus de maïs.

Aujourd'hui, c'est son dernier jour, cela me fait de la peine...mais cela ne m'empêchera pas de vérifier que la sanquette ne coagule pas pour faire du boudin ! »

Les voisins sont là, une dizaine autour du feu qu'Amélie a ranimé pour faire chauffer l'eau.

Arrive Jeannot, le paysan « tueur de porcs » qui connaît bien son métier.

Il fait suivre un calendrier sur lequel sont notés les lieux dits où il doit se rendre pour exécuter sa tâche: La Rousse, Costa, La Plaine, Tricoulet, Esperos, Labartuille...

Une fois exécuté, Miok est mis dans la maie, un grand baquet en bois et on l'arrose d'eau bouillante.

Jeannot a distribué des lamelles de ferraille pour peler la bête.

Au bout d'un certain temps, Miok se transforme en  un cochon tout rose, rasé de près.

On place une barre derrière ses jarrets et on le pend dans la grange.

Jeannot exécute l'opération d' « ouverture » et tombent dans un grand linge blanc toutes les entrailles.

« Julien, comme d'habitude, c'est toi qui nettoies les tripes ! » dit Amélie. « Les autres ne le font pas aussi bien » dit-elle en aparté.

Ce que l'on ne fait pas ailleurs, c'est que l'on coupe le jour-même les côtes du cochon comme pour un bœuf pour faire «  la côte à l'os » du cochon.

Quand on a entouré l'animal de grillage pour qu'il ne soit pas attaqué pendant la nuit, on gagne la cuisine où brûle un huec bataillé et on s'installe autour de la grande table de chêne.

Amélie a posé sur la table des assiettes profondes pour sa fameuse garbure, une soupe dans laquelle on trouve tous les légumes du jardin avec la touche d'Amélie qu'elle garde secrète, sans doute quelques fines herbes de son jardin.

Chacun prend une louchée de garbure et on fait les commentaires. Elle est excellente comme toujours !

Les trois papis en bout de table versent du vin dans leur assiette pour faire chabrot.

Puis arrive un gros pot recouvert d'un papier qui tient avec une ficelle.

« Je vais vous montrer ce soir que Jeannot est le plus grand charcutier de la région. Ce pâté a un an aujourd'hui, vous allez me goûter ça ! »

Chacun étale sur une tranche de pain de 4 kilos une bonne couche de pâté. Il est excellent.

Après la dégustation du pâté, on entend tout à coup des claquements de couteau.

Lors du repas du tue-cochon, jamais un convive ne réclame un couteau : il a le sien dans sa poche, souvent un Opinel à manche de bois ou peut-être un couteau qu'on a reçu en cadeau comme celui d'André qui vient de Suisse ! Ce couteau n'impressionne personne, ce qui compte, c'est que le couteau soit bien affûté.

C'est Jeannot qui est préposé à la grillade des côtes, il sait aussi bien les enlever au porc que les faire cuire ensuite.

La viande est tendre au possible, on dirait du porc noir !

Amélie apporte ensuite des fromages de chèvre faits par la voisine. On n'a pas l'habitude de manger du fromage à la campagne et tous les convives apprécient la nouveauté.

C'est ensuite le moment des pâtisseries : il y en a de toutes sortes mais ce sont les gaufres qui remportent le plus grand succès ; Amélie les a confectionnées la veille dans les moules en fer fabriqués par le forgeron du village qui y a gravé le clocher.

« Et maintenant, je vais vous faire le café, avec du vrai café pas avec de la poussière ! » dit Amélie. Elle sort un bocal rempli de grains de café qu'elle va moudre dans son moulin en bois.

Elle fait une première « coulée ». Elle en fera d'autres.

Puis on boit l'armagnac de l'Italien Luis dans la tasse de café chaude pour en exacerber l'arôme.

« Il date de quand cet armagnac Luis ?  » lui demande-t-on. « Je ne sais pas, mon père a écrit sur l'étiquette « à mon arrivée en France » !

On dégage la table et on pose dessus les journaux pour les jeux de cartes, la bourre en particulier.

Chaque joueur a trois cartes, pour ceux qui n'ont pas de jeu, il y a la réserve qu'on appelle la demoiselle. « Elle m'a pissé  sur les doigts » entend-on, ce qui veut dire que les cartes tirées sont encore plus mauvaises que celles qu'elles remplacent !

On joue quelques piécettes mais chacun repart toujours avec sa mise de départ. Dans un coin, deux petits vieux jouent aux dames.

La pénombre commence à envahir la pièce, on reprend un peu de café, on remet les vestes et les cache-nez tricotés par la grand-mère, c'est à celui qui a le plus long, le mien fait deux mètres et je peux faire 25 tours autour de mon cou !

Chacun rentre chez soi, heureux de la soirée.

Ce sont des soirées qui rapprochent les paysans car entre les plats, ils parlent, ils parlent, ils échangent et ces échanges font du bien à tous,  à celui qui a des problèmes,aux  autres qui lui proposent des solutions, leur aide...

C'était la vraie vie...

Pierre DUPOUY

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