Dans son style envoûtant, Joseph de Pesquidoux décrit la vie de son ami Alfred Gardère, né en 1867, qu'il appelle Jacques d'Arblade, dans Le Livre de raison (1). Un homme exceptionnel attaché viscéralement à son terroir du Houga, qui remporte, avec 1,95 m, la médaille d'or aux Jeux Olympiques de Paris de saut à cheval en 1900.
C'est Le livre de Stéphane Gachet JO d’été - Tous les médaillés français de 1896 à nos jours (Talent Sports), opportunément publié avant les JO de 2024, qui ressuscite pour les Gascons et spécialement pour les Folgariens, son histoire trop oubliée.
Pourquoi Jacques d'Arblade ? Alfred Gardère, descendait de l'illustre famille des Benquet d'Arblade. Selon les recherches de Claude Saint-Lannes (2) :
« Son arrière-grand-père s'est illustré pendant la Révolution. Il a été le maire du Houga en 1793 sous la Terreur. Une de ses filles a épousé un Gardère originaire de Nogaro, qui fut le grand-père d'Alfred. Au recensement de 1866, trois générations de Gardère habitent au lieu-dit Couechot. La chartreuse est à la sortie du village après les arènes (nom actuel Les Arrousettes).
« Il va s'engager pour 10 ans dans la cavalerie. Il ne fut pas mobilisé pendant la 1ère guerre mondiale (peut-être était-il trop âgé).
En 1896, il épousa Emilie Dolques. (…) Je n'ai pas trouvé d'enfant. Sur le recensement suivant de 1926. Il ne reste qu'un fermier et deux domestiques. ».
La générosité d'un pays de Cocagne
Joseph de Pesquidoux décrit d'abord la vie des châtelains au XIXe siècle en Gascogne, avant l'arrivée du phylloxéra et des maladies cryptogamiques :
« Les châtelains de l'Armagnac ne regardaient pas à leur fortune. Ils vivaient avec une insouciance joyeuse. L'abondance était telle, la sécurité si parfaite sur une terre généreuse, facilement et économiquement cultivée, à l'abri encore des désastres (…) que chacun croyait à la pérennité de cet âge d'or. (…) L'office était peuplé de gens, l'écurie de bêtes. Le chenil abondait en portées, autant que le poulailler de couvées. Les épagneuls noir et feu, les chiens bleus de Gascogne, étaient alors à la mode. On se serait cru déshonoré de n'en posséder point des meutes, entretenues suivant les règles, qui emplissaient les environs d'abois sonores. (…).
Les chevaux menaient plus loin encore. On commençait les croisements anglo-arabes. On cherchait à alimenter la cavalerie légère en sujets affinés et musclés ensemble, susceptibles d'endurance et de vitesse, de perçant (…).
Mais surtout, on mangeait. L'abondance et le luxe de la table étaient inouïs. Même entre soi, on voulait une chère plantureuse et ordonnée. (…) Six et sept services, de quatre plats chacun, n'étonnaient point, flanqués d'autant de hauts crus savamment choisis suivant les viandes... »
"Les Arrousets", nom actuel de la maison natale de Jacques gardère (photo Claude saint-Lannes)
Une vie conquise à la force du poignet
L'aïeul et son fils, le père d'Alfred Gardère, dissipèrent le patrimoine : « ils sont morts d'une indigestion de panache ! ». Quand survint le petit-fils de retour après un long service dans l'arme de la Cavalerie, « il ne restait pas une miette ».
Alfred a alors 25 ans. Un athlète « respirant la volonté, l'énergie, la décision.(…) Cavalier hors de pair, ayant monté dès sa petite enfance, à cru, sur tout ce qui pouvait s'enfourcher ; possédant le sens inné du cheval ».
Il prend une école de dressage de Biarritz qui végétait et la ranime : piste, randonnées, chasse à courre. Et pour élever le niveau de ses montures, il importe des hunters d'Irlande. L'école acquiert une grande renommée. Et, avec un hunter, Canéla, il remporte en 1900 la médaille d'or du saut d'obstacle en hauteur aux JO de Paris.
L'agriculteur inspiré
L'école lui apporte un revenu suffisant pour qu 'il réalise son rêve : posséder enfin un domaine au Houga, sur la terre de ses ancêtres. Son ami Joseph de Pesquidoux lui trouve une métaierie avec 30 hectares au lieu-dit Lannegrasse. Les bâtiments sont délabrés, la terre quasi-abandonnée.
Il relève le défi. Il fait, sans arrêt, la navette entre Biarritz et Le Houga.
Mais il lui faut plus de 20 ans pour obtenir ce qu'il veut : des bâtiments réparés et reconfigurés, de nouveaux bâtiments de travail et une terre soignée avec une attention plus que minutieuse.
Alfred Gardère est déjà presque un apôtre du semis direct (3), qui ne blesse pas la terre en profondeur (il utilise des outils jusqu'à 10-12 cm de profondeur). Blesser la terre en profondeur, d'après lui, non seulement n'augmente pas la récolte, mais la diminue en bouleversant chaque année les milieux bactériens favorables à la croissance, pour aboutir à la stérilisation.
Cela ne l'empêche pas d'apporter de nombreuses améliorations : le premier tracteur de la région, l'eau courante etc.
Le héros de cette épopée meurt subitement en 1925 : rupture d'anévrisme ?
Merci à Stéphane Gachet et à Claude Saint-Lannes de faire revivre Alfred Gardère, un homme dont les Folgariens peuvent être fiers.https://www.graindepixel.fr/
Un saut d'obstacle (photo extraite du site [https://www.graindepixel.fr/]
(1) Le Livre de raison est ce journal, mi-agenda, mi-mémoire, à côté des préoccupations matérielles, que tenaient nos ancêtres à l'usage de leurs descendants (extrait du prière d'insérer). (2) Selon les recherches de Claude Saint-Lannes. (2) Sources : La République du Houga, par J-F Lacôme d'Estalenx, pp. 201-208 ; Archives du Gers : recensement des populations et registres matricules militaires. Le livre de Stéphane Gachet JO d’été - Tous les médaillés français de 1896 à nos jours (Talent Sports). (3) Le semis direct consiste à semer directement dans les résidus de la culture précédente, sans travail du sol au préalable. En évitant le labour, le semis direct privilégie les processus biologiques, fait gagner du temps, limite les intrants et la mécanisation (Wikipedia).
N.B. - La photo du haut de page représente un saut. Elle vient du site [http://ampascachi.com/fr].