Bernard Malabirade, président de la Chambre d’agriculture du Gers, le rappelle en tirant la sonnette d’alarme dans son éditorial de La Volonté paysanne : « Voilà 30 ans, le sanglier n’existait quasiment pas sur notre territoire. Aujourd’hui, cette espèce menace nos cultures quotidiennement. Des dégâts de sangliers multipliés par dix en 2019, par rapport à 2018, nous amènent à penser que la situation est hors de contrôle avec les moyens dont nous disposons aujourd’hui ».
Au 31 juillet dernier, sur le Gers, on comptait 483 hectares de cultures détruites ; soit un total de dix fois plus que l’an dernier à pareille date ! Le sanglier, qui ne connaît aucun prédateur naturel (si ce n’est le chasseur !), a vu sa population monter en flèche ces dernières années. S’il est impossible de faire un comptage des sangliers, il est fortement notable que les secteurs de notre département les plus touchés sont l’Armagnac et l’Astarac. Mais il est constaté depuis quelques années que l’est du Gers est touché à son tour.
Les 483 hectares détruits lors du premier semestre de cette année donnent le vertige, au regard des 155,47 hectares de l’an dernier, ou des 143,02 de l’année 2017. Il fallait remonter à l’année 2013 pour voir le total de surface détruite franchir les 230 hectares (231,71). Et cela malgré un prélèvement de plus en plus important de sangliers effectué par les chasseurs. En douze ans, dans le Gers, le nombre de sangliers prélevés a doublé, pour dépasser les 6 900 unités cette année (sachant qu’une période de comptage de prélèvements va du 1er juillet au 30 juin de l’année suivante). Dans notre département, environ 5.000 battues sont organisées chaque année.
La FDC 32 ne versera plus d’indemnités à partir du 1 janvier 2020 !
Plusieurs facteurs peuvent être mentionnés pour expliquer cette prolifération de sangliers : cette année, nous connaissons une pénurie de fruits forestiers, ce qui poussent les animaux à aller chercher leur nourriture hors des bois ; puis, l’hiver dernier ayant été plutôt doux et sec, on note une faible mortalité chez les marcassisns. À cela, peut-être peut-on ajouter aussi, selon la Chambre d’agriculture, « des semences peut-être plus appétissantes en raison de la suppression de certaines molécules d’enrobage ».
L’an dernier, cette situation avait conduit la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage à demander le classement nuisible du sanglier dans le département du Gers. En 2019, cette demande a été reconduite et permet la chasse du sanglier dix mois sur douze. Mais cela reste largement insuffisant pour endiguer le fléau. C’est pour cela que se sont retrouvés pour travailler ensemble : la Fédération départementale des chasseurs du Gers, la Chambre d’agriculture, l’ensemble des syndicats agricoles (Confédération Paysanne, Coordination Rurale, FDSEA, JA, Modef) et les représentants de la coopération. De façon collégiale, ces acteurs du monde rural et cynégétique ont élaborer une liste de mesures pour réguler le sanglier de façon plus efficace. Des mesures inspirées par ce qui se fait dans un département voisin fortement touché aussi, les Landes. Tout le monde est dans l’attente d’une réponse des autorités compétentes.
Jocelyn Moreau, directeur de la Fédération des chasseurs du Gers (voir interview ci-dessous), nous apprend qu’à partir du 1er janvier 2020, la FDC 32 ne remboursera plus les dégâts causés aux cultures ! Histoire de créer un « électrochoc » et de faire bouger vraiment les choses, la Fédération gersoise qui a versé 600.000 euros d’indemnité aux agriculteurs l’an dernier (de juillet 2018 à juin 2019), est donc prête à se mettre « hors-la-loi ».
Liste des mesures proposées envoyée à la préfecture du Gers :
- Arrêté permanent permettant l’intervention du louvetier en battue administrative durant la période de destruction du sanglier.
- Arrêté permanent permettant l’intervention à l’approche et à l’affût jusqu’à deux heures avant le lever du soleil et deux après le coucher du soleil par les chasseurs placés sous la responsabilité du louvetier en battue administrative durant la période de destruction du sanglier dans le but de défendre les semis.
- Dans le cadre des chasses particulières, et pour protéger ses cultures, permettre le piégeage du sanglier par un exploitant titulaire de l’agrément piégeage ou sur sa délégation, sous couvert du louvetier qui coordonne cette opération.
- Arrêté individuel autorisant le louvetier à intervenir en tir de nuit, en battue administrative, dans la période de destruction du sanglier sur constat de dégâts et en utilisant tout moyen (y compris les nouvelles technologies type caméra thermique).
- Durant la période de chasse, permettre par demande de dérogation à l’arrêté ministériel du 1er août 1986, que l’approche et l’affût puissent être réalisés par les chasseurs jusqu’à deux heures avant le lever du soleil et deux heures après le coucher de soleil.
- Durant la période de chasse, permettre par demande de dérogation à l’arrêté ministériel du 1er août 1986, que la chevrotine (21 grains) puisse être utilisée comme munition en battue.
- Durant la période de chasse, permettre par de demande de dérogation à l’arrêté ministériel du 1er août 1986, que les moissonneuses batteuses puissent être en fonctionnement lors d’un chantier de récolte en même temps qu’une battue est organisée sur la parcelle récoltée.
- Durant la période de chasse et de destruction du sanglier, permettre l’agrainage dissuasif et le tir à l’agrainée des sangliers dans le but de protéger les cultures durant la période des semis de printemps.
Cinq questions à Jean Bugnicourt, sous-directeur de la Chambre d’agriculture du Gers.
Monsieur Bugnicourt, concernant les mesures que vous proposez pour lutter contre la forte augmentation de la population de sangliers, qui doit trancher en vous donnant ou pas l’accord ?
Il y a des choses qui relèvent du niveau départemental, et d’autres qui relèvent du niveau ministériel. Le dossier a été transmis à la préfecture qui, pour ce qui relève du ministère, transmettra au niveau national. Nous espérons, pour l’année prochaine, avoir des choses sur les mois où la chasse n’est pas possible, pour nous permettre de réguler les populations.
Pour quelqu’un qui n’est pas du monde rural, certaines de ces propositions peuvent paraître excessives, non ?
Même les Gersois qui ne sont pas du monde agricole, ou chasseurs, peuvent voir les dégâts causés ; ils peuvent eux-mêmes avoir des dégâts dans leur jardin. Les gens sont confrontés aux sangliers sur les routes, de plus en plus. Donc il n’y a pas que les agriculteurs qui sont en capacité de voir que les populations augmentent. Surtout que ce n’est pas propre au Gers. C’est constaté partout au niveau européen. Ces mesures-là sont faites pour essayer de mettre un coup de frein à cette augmentation de la population de sangliers, car il n’y a pas de prédateurs naturels.
C’est un gros souci pour les agriculteurs, mais aussi pour les chasseurs ?
Ce sont les chasseurs qui indemnisent les agriculteurs. Mais le nombre de chasseurs diminue. Si on continue comme ça, il n’y aura plus personne pour payer les dégâts.
Avez-vous bon espoir que ces propositions soient acceptées ?
On espère que ces propositions seront examinées avec attention et qu’il y aura une suite donnée. D’autant qu’il y a des choses qui ont déjà été mises en place à titre dérogatoire dans le département des Landes, dès cette année.
Pour les populations de chevreuils, il n’y a pas autant de problèmes ?
Le chevreuil pose moins de problème. Il y a un plan de chasse car on peut estimer les populations facilement en faisant des comptages. Il y a moins de chevreuils que de sangliers. Puis ils ne se reproduisent pas du tout au même rythme. Une portée de chevreuil, c’est, au maximum, un ou deux petits chevreuils par an ; pour le sanglier, on multiplie par quatre ou cinq.
Jocelyn Moreau, Directeur de la Fédération départementale des chasseurs du Gers :
« On va se mettre hors-la-loi »
- Monsieur Moreau, c’est une sonnette d’alarme que vous tirez ?
- Oui, c’est ça. On a multiplié par dix les surfaces détruites au printemps 2019…
- Plusieurs explications sont avancées (voir ci-dessus), notamment le changement des enrobages des semences qui rendent ces dernières plus appétissantes pour les sangliers…
- C’est lié à la société, avec des molécules qui sont classées cancérigènes ou autre, et donc retirées du marché. Mais ce ne sont que des suppositions ; on n’a pas la preuve véritablement… Ce qui est certain, c’est qu’on a vu des parcelles totalement détruites sans autres explications…
- Les dégâts ont été multipliés par dix en un an, mais les populations de sangliers, elles, n’ont pas été multipliées par dix ?
- Non. Le nombre de sangliers augmente, oui, c’est sûr. Mais c’est un phénomène naturel qui n’est d’ailleurs pas propre au Gers. Ni propre à la France. On est sur un phénomène européen, voire mondial. Même en chine, les populations de sangliers augmentent, au Canada aussi. C’est l’évolution climatique et agronomique qui fait que le sanglier s’adapte. C’est un omnivore opportuniste… Malgré la pression de chasse, on n’arrive pas à maintenir les populations stables. On ne fait que courir après l’évolution des populations.
- Une des causes, aussi, c’est le nombre de chasseurs qui baisse chaque année ?
- Oui. On perd 3 % de chasseurs par an. Là aussi, les causes sont variables : l’âge, d’autres activités de sports de nature qui s’offrent aux jeunes… Puis il y a une urbanisation qui rend difficiles certains accès à la chasse.
- Puis n’assiste-t-on pas, aussi, à une certaine mise en place d’une image idéalisée, genre « Bisounours », de la faune sauvage, reléguant le chasseur au rang « d’assassin » ?
- C’est ça. Ça fait vraiment partie de l’évolution sociétale. On le voit rien que sur Auch, et pourtant on est dans un département très rural ; on a des secteurs où les sociétés de chasse ne peuvent pas aller faire des battues parce qu’elles se font lyncher, insulter… et pour autant, ce sont ces personnes-là qui vont venir se plaindre si elles ont un dégât sur la voiture causée par un choc avec un gros gibier. Aujourd’hui, on vit dans un monde complètement feutré, un peu le monde des Bisounours… Aujourd’hui, on nous demande de ne plus prélever de renards à certains endroits parce que ça fait penser au film de Rox et Rouky !… Les générations d’aujourd’hui sont de plus en plus déconnectées par rapport à ça…
- D’autant plus qu’il faut savoir que ce sont uniquement les chasseurs qui remboursent à 100 % les dégâts causés.
- Oui… Sauf qu’aujourd’hui on arrive à un point de rupture. Il y a une telle évolution des populations de sangliers, et une baisse du nombre de chasseurs. On est à la croisée de deux courbes. On a aujourd’hui dans la nature bien plus de sangliers que de chasseurs capables de les réguler. Même si les chasseurs font tous les efforts qu’ils peuvent. Il y a des secteurs où ils chassent trois à quatre fois par semaine… Quand, en plus, une fois sur deux, vous vous faites lyncher en bord de route en vous traitant d’assassin, il arrive un moment où vous vous dites « je vais rester à la maison »… De ce fait, cette liste de propositions faites à l’administration pour donner au monde agricole les moyens de protéger leurs cultures. Nous (la FDC 32), pour aller jusqu’au bout, et pour dire que le système ne peut plus perdurer, à partir du 1er janvier 2020, on va stopper le processus d’indemnisation.
- Vous avez le droit ?
- Non.
- Donc, à partir du 1er janvier 2020, vous allez contre la loi ?
- Oui, c’est ça. On va se mettre « hors-la-loi ». C’est triste de parler comme ça. Qu’on soit dans la légalité ou l’illégalité, si on reste sur le même tempo de dégâts, à l’horizon de deux ou trois ans, on ne pourra plus payer. Donc on préfère faire un électrochoc en se mettant hors-la-loi pour obliger une révision du système… Si on attend d’être dans l’incapacité de payer, ce seront les agriculteurs en première ligne qui ne seront pas indemnisés. Et là, sur certains secteurs, il va y avoir, à mon avis, des exploitations qui vont couler à cause de la non-indemnisation. Si on alerte maintenant, tant qu’on a la capacité de réagir en se mettant autour d’une table, tant qu’on a encore assez de chasseurs, organisons-nous, trouvons un autre système d’indemnisation, de manière à ce que dans deux ou trois ans, les exploitants agricoles aient toujours une indemnisation des dégâts… Il faut que le système évolue…
- La préfecture va vous « taper » dessus ?
- Oui.
- Vous ne craignez pas de ternir davantage l’image des chasseurs ?
- Peut-être.
- Vous ne voyez pas d’autres solutions ?
- Non. Ce n’est vraiment pas par plaisir. On le fait pour préserver le monde agricole… Concernant les propositions faites et envoyées à la préfecture, je pense qu’elles ne seront pas toutes mises en œuvre par l’administration, car celle-ci ne prend pas la mesure du problème…
- En extrapolant, peut-on penser qu’il y ait une volonté, derrière la passivité des autorités compétentes, de voir « mourir » la chasse, qui est un des socles de nos traditions, de notre culture et de nos racines ?
- On se pose un peu la question… C’est aussi pour ça qu’on veut régir. si on rompt le système actuel, il y a de grandes chances qu’on voie péricliter tout un grand pan de l’activité rurale et de nos traditions. Et c’est là où on passe pour des fous...