Francis Brumont (1) est on ne peut mieux placé pour faire une conférence sur l’Espagne, sujet de la Semaine espagnole du Centre social et culturel le Clan. Il a choisi comme thème « Velàsquez, et son époque ». En effet, la vie de Velàsquez (en français Velasquez), né en 1599 (2) et mort en 1660, couvre une période particulière, le XVIIe siècle, où l’Espagne traverse une crise politique et économique, « La Décadence ». Alors qu’au plan littéraire et artistique, cette période, extrêmement brillante, a mérité de s’appeler « Le Siècle d’or », car elle commence avec Cervantès (Don Quichotte) et continue avec Lope de Vega, Calderon etc. Sans oublier les peintres Zurbaran et Velasquez.
Le contexte politico-économique de la vie de Velasquez
Certains contemporains expliquent le déclin par la richesse facile venue du Nouveau monde et ses effets démoralisateurs. La période des difficultés commence en 1567 avec la révolte des Pays-Bas, ce qui provoque une guerre de 80 ans qui ne se termine qu’en 1648 avec le traité de Westphalie.
En 1580, Philippe II devient roi du Portugal, mais la Grande Armada (3) est défaite par les Anglais en 1588. Les années 1590 ne sont pas meilleures : intervention en France contre les protestants, mauvaises récoltes et épidémie de peste qui tue 1 million d’habitants (sur 8 millions). S’y ajoutent de multiples banqueroutes de l’État et la cession des Pays-Bas à la fille de Philippe II, mort en 1598.
Immigration et influence culturelle
Les successeurs de Philippe II font face à une crise économique qui pousse la population à émigrer vers le sud et/où l’Amérique. On fait alors appel à l’immigration, notamment ariégeoise, gasconne et auvergnate. Les immigrés (4) exercent toutes sortes de métiers, fixes ou ambulants. Il sont notamment artisans et marchands. L’Espagne a une grande influence culturelle en Europe, notamment en France : « les gens de bien » parlent espagnol, lisent et imitent leurs œuvres (comme le Cid de Corneille).
En 1621, Philippe IV succède à son père Philippe III. Avec le duc d’Olivares, il veut redonner à l’Espagne sa grandeur et cherche à unir, sans beaucoup de succès, les divers royaumes espagnols.
Des succès éphémères
Mais il engrange quelques succès avec l’échec d’un attaque anglaise contre Cadix (Espagne), la reprise de Bahia et Pernambouc (Brésil) et Breda (Pays-Bas) aux Hollandais.
Dus à une embellie financière, ces succès font place à de nouvelles difficultés : entrée en guerre de la France en 1635, révolte de la Catalogne et du Portugal en 1640. Puis l’indépendance du Portugal en 1669. Mais reprise de la Catalogne en 1652.
« Les mariages consanguins finissent par épuiser la dynastie », conclut le conférencier. Son dernier roi, Charles II, impotent et incapable de procréer, « est le symbole du déclin profond dans lequel s’engage le royaume dans la 2e moitié du XVIIe siècle ».
Velasquez
Diego Rodriguez de Silva y Velàzquez naît en 1599 d’un père portugais (probablement de petite noblesse) et d’une mère espagnole. Apprenti du célèbre peintre Pacheco de 11 à 17 ans à Séville, il ne perd rien des discussions des milieux intellectuels et artistiques au centre desquels évolue son maître.
La peinture, travail intellectuel
Il semble s’être forgé pendant ces années-là une haute idée de son métier : le peintre n’est pas un artisan qui travaille uniquement de ses mains, c’est un homme dont le travail est tout de réflexion.
Reçu dans la corporation des peintres en 1617, il épouse la fille de son maître. Il pourrait alors travailler pour l’Église, mais il préfère le réalisme des peintres flamands : il s’exerce à peindre les objets et les scènes de la vie courante (5).
Pacheco, grâce à ses relations, le fait entrer à la Cour et en 1623, il fait le portrait du roi, puis d’autres portraits. La même année, il est nommé peintre du roi, ce qui lui donne une grande liberté, car « le service du roi n’est pas un travail ».
Les jaloux l’accusent de ne savoir faire que des portraits. Il les fait taire en gagnant un concours de peinture sur l’expulsion des Morisques (6).
Bientôt il rencontre Rubens, lui aussi convaincu de la dignité du peintre et qui lui conseille d’aller en Italie. Il y va en 1629 et y reste 2 ans (il y peint entre autres « la Forge de Vulcain »).
La faveur royale
Il s’élève à la Cour de Madrid où il obtient l’office de superviseur de la décoration du palais du Buen Retiro. Pour le Buen Retiro, il peint plusieurs portraits équestres du roi et de la reine. Il peint la célèbre Reddition de Breda.
Dans les années 1640, c’est Velasquez, nommé inspecteur des travaux, qui est chargé de moderniser le palais de l’Alcazar. Pour cela, il repart en Italie collecter des tableaux et des œuvres de l’Antiquité. En 1650, il peint le pape Innocent X, « portrait éblouissant de technique et de vérité ».
Les achats faits en Italie plaisent tant au roi, qu’il nomme Velasquez « Aposentador mayor de palacio » (grand intendant du palais), poste habituellement réservé à un noble de noblesse confirmée. C’est une charge contraignante, car il faut préparer les voyages du roi et accompagner celui-ci, préparer la décoration et le protocole de ses séjours. Dans ces années, il peint la Vénus au miroir.
Les Fileuses et Les Menines
Dans ses dernières années, il crée deux œuvres majeures : « la Légende d’Arachné » (les Fileuses) et « les Menines ». Pour Francis Brumont, l’ambition de ces toiles est de démontrer que la peinture est une chose intellectuelle, un art, pas un travail manuel. « Les Menines » a fait couler beaucoup d’encre, car il est difficile d’interpréter la scène : l’infante est venue avec sa suite, mais est-ce le roi et la reine que peint Velasquez et qui se reflètent dans le miroir ? Et qui se profile dans l’encadrement de la porte ? Velasquez y porte la croix de Saint-Jacques, encore un signe de la faveur royale. Elle était réservée à la haute noblesse, mais nombre de nobles s’étaient alliés à des Maures dans le passé…
Velasquez meurt en 1660, fatigué par le voyage qu’il fait en 1659 avec le roi qui va à l’île des Faisans (sur la Bidassoa) rencontrer Louis XIV et lui donner sa fille en mariage.
N.B. - Les photos de tableaux ont été faites pendant la conférence sur les peintures projetées. D'où leur qualité médiocre...
(1) Historien, spécialiste des territoires ruraux d’Europe, titulaire de deux doctorats sur l’histoire de l’Espagne, chercheur au CNRS. (2) « Il naît peu après la mort de Philippe II, qui a mené ce royaume à son apogée et meurt quand Philippe IV est obligé de céder sur tous les fronts et passe (...) le leadership de l’Europe à son gendre Louis XIV ». (3) Grande flotte faussement dénommée « Invincible Armada ». (4) 25 % de Français en Aragon en 1625. (5) Comme dans « le Porteur d’eau » et « Femme faisant frire des œufs ». (6) Maures convertis au catholicisme, que l’on soupçonnait de s’être faussement convertis.