Une cuisine du temps d’avant

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On toque à la lourde porte, on ouvre et on se retrouve dans un nuage de fumée et on s’écrie : « Quin hume ! » (Quelle fumée!)

« Je le sais que la cheminée fume ! nous crie la grand-mère en train d’activer le feu de bois sous la marmite de soupe.

La cheminée a toujours fumé ici.

On nous avait dit de surélever le foyer, on l’a fait faire par un maçon mais ça fumait toujours !

Vous venez me voir parce qu’on vous a dit que j’avais la plus vieille cuisine du monde, c’est ça ?

C’est vrai, ma cuisine est restée telle qu’elle était autrefois !

Vous avez vu la plaque qui est contre le mur au fond de l’âtre ? C’est une belle œuvre d’art qu’a réalisée le forgeron du village. Elle représente une chasse à courre ; on y voit le cheval, le chien, tout cela sur une plaque de fer qu’il a gravée .

Les chenêts sont très fonctionnels. On peut y poser la barre de fer sur laquelle on installe les poeles ou les casseroles.

Dans certaines maisons, un chenêt était surmonté d’une plaque en tôle sur laquelle on déposait le repas pour le papi ou la mamie qui n’avaient plus la force de venir se mettre à table.

Ici, nous n’avons pas cela car nous sommes encore en bonne santé et nous aimons bien nous mettre à table avec toute la famille !

- Qu’est-ce que c’est que cette grosse marmite rouge suspendue à la crémaillère ?

- C’est la marmite dans laquelle je fais la soupe pour 3 jours !

Il y a dedans tous les légumes du jardin !

Les pommes de terre, ce ne sont pas les pommes de terre achetées chez le marchand et contaminées par le produit contre les doryphores.

Le grand-père, les doryphores, il ne les tue pas, il les attrape et il les met dans une boîte et les brûle.

C’est pareil pour les poireaux, les choux, les tomates.

Tout pousse naturellement dans le jardin au milieu de l’herbe.

Le désherbant du grand-père, c’est la pioche !

Cette soupe, elle peut durer trois jours s’il n’y a pas orage car s’il fait orage, elle tourne !

Et dans cette caisse au coin du feu, je mets le sel, le poivre et quelques plantes aromatiques du jardin qui sont là à l’abri de l’humidité.

Je vais vous montrer quelque chose que je suis seule à détenir, une immense poele avec une grande queue que je pose sur un trépied pour y faire de bons ragoûts ou d’excellentes frites à la graisse de canard.

C’est une poêle extraordinaire dans laquelle je peux cuire dix côtes de porc sans me fatiguer en tournant simplement avec ma spatule en bois les côtes pour qu’elles cuisent bien des deux côtés.

Elle est tenue par un petit chaînon accroché au chambranle de la cheminée.

Cette antiquité, c’est le vieux soufflet dont on ne se sert plus car il y a plus de rustines que de cuir !

On souffle avec un roseau pour attiser le feu.

- Quelle belle table !

- Ah, je vais vous la raconter l’histoire de la table !

Il y avait derrière la maison un gros chêne avec un tronc énorme.

Il avait été planté à l’Ouest pour protéger la maison mais les glands qui tombaient bouchaient les goutières.

On décida de le couper.

Ce fut un événement. On fit appel à un spécialiste, un ouvrier forestier venu des Landes.

Il fit une grande entaille du côté où le chêne devait tomber et il s’attela de l’autre côté avec le papi pour manipuler l’énorme passe-partout, une pièce de ferraille avec des dents et deux manches.

Le chêne est tombé avec un grand bruit.

Cela m’a fait de la peine, c’était pour moi un souvenir des anciens.

Le charpentier qui avait une scie actionnée par une locomotive à vapeur a débité le bois et a coupé des planches dans le chêne. Elles ont séché sous le hangar à l’abri du soleil et de la pluie.

Puis un menuisier est arrivé avec son matériel pour fabriquer une table.

Il y a passé 8 jours. Vous avez vu les pieds ?

Ah, ce n’est pas une table de grand magasin !

Pour manger, on la protège avec une toile cirée .

Et au milieu de la table, il y a un dessous de plat en bois qui représente un arbre avec des palombes et des chasseurs qui les observent.

C’est l’œuvre de mon beau-frère tué pendant la guerre de 14, alors ce dessous de plat ne quitte pas la table !

Pour la vaisselle, je n’utilise pas les belles assiettes reçues en cadeau de mariage.

Non, j’utilise des assiettes dépareillées, comme ça, chacun a la sienne avec un motif différent, un oiseau, une scène de chasse, des fleurs…

Ce sont des assiettes-calottes profondes pour pouvoir contenir au moins deux louches de soupe et surtout pour pouvoir faire chabrot !

Quand le grand-père a fini la soupe, il y verse un verre de vin rouge et il boit ce breuvage, le chabrot, un mélange de soupe et de vin.

Chacun a aussi son verre qu’on distingue par la forme, petit, grand, à pied…

Vous regardez la pendule…

Cette pendule, c’est la vie de la maison.

C’est une Comtoise, tout le système mécanique est enfermé dans le coffre en bois et on peut voir le balancier en cuivre à travers une vitre.

Et là, c’est le baromètre que le grand-père a gagné autrefois lors d’une vente de furets à Auch.

Il faut taper dessus pour que l’aiguille bouge indiquant selon le sens du beau ou du mauvais temps !

Les prévisions sont rarement exactes !

Ah, l’évier, c’est une pièce importante de la cuisine. Il est en pierre taillée.

Autrefois, il y avait de chaque côté de gros pots en terre qui contenaient l’eau que l’on amenait du puits dans un seau.

C’était l’eau pour boire mais aussi pour se laver.

A côté de l’évier, il y avait un miroir. Le grand-père s’y faisait la barbe tous les samedis.

Le carrelage a changé. Avant, il était en tomettes d’argile fabriquées à Vic-Fezensac

On l’a changé contre du carrelage moderne

Et avant les tomettes, c’était de la terre battue !

Quand on faisait une corvée de maïs, de foin, les vendanges, le soir on dansait sur la terre au son de l’accordéon, ce qui la tassait !

Et mon four de campagne, je pense que vous n’en avez jamais vu des comme celui-là !

J’y cuis toujours mes fameux gâteaux et mon pain.

C’est un plateau posé sur 4 pieds dans lequel on place la pâte en forme de couronne.

On recouvre le tout d’un couvercle en fer à rebords dans lequel on met les braises et la pâte cuit.

Pendant la guerre, j’y faisais cuire du pain même si c’était interdit !

Alors, oui, ma cuisine est vieille mais ma soupe est toujours aussi bonne et mes gâteaux aussi ! »

Pierre DUPOUY

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