Les veillées d’autrefois ou le sens de la famille...

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Aujourd’hui, difficile de distinguer une nuit de printemps ou d’automne d’une nuit d’hiver...

A l’époque, on savait que c’était une nuit d’hiver avec vingt centimètres de neige, les mares glacées, les arbres qui craquaient sous le poids de la neige et tous les petits oiseaux qui se cachaient dans la paille, dans les trous d'arbres….

Dès quatre heures solaires, les paysans abandonnaient leur chantier dans les granges.

C’était l’heure du souper qui approchait.

On rentrait dans la cuisine où brûlait un grand feu.

Chacun vaquait à ses occupations, on jetait un œil au journal, on discutait avec les uns ou les autres.

A l’heure de souper, on allumait la grosse lampe à pétrole accrochée au plafond. Elle était mobile, c’est-à-dire qu’elle pouvait descendre ou monter, très belle lampe d’ailleurs qui fournissait un éclairage convenable pour l’époque.

Elle ne sera utilisée que le temps du repas sauf si Petiton - un homme que nous avions récupéré lorsque sa maison avait été ravagée par un incendie - et mon grand-père voulaient jouer aux dames, on laissait alors la lumière et la lampe restait longtemps allumée car les parties duraient, ces deux hommes réfléchissant, calculant longuement pour étudier où placer son pion et marquer.

Petiton était plus réfléchi que mon grand-père et gagnait presque chaque fois. Lorsqu’il perdait, il prétendait qu’au cours du jeu, mon grand-père lui avait bougé un pion, et à ce moment-là tout était terminé, on remettait les pions dans la boîte et on rangeait le plateau !

La lampe restait allumée aussi lorsque j’avais des devoirs, ces diables de trains qui partent, qui reviennent, qui croisent d’autres trains et aussi les histoires de cuves avec des robinets plus ou moins ouverts. Les trains ne devaient pas se rencontrer et les cuves ne devaient pas déborder !

J’avais un peu de mal avec ces problèmes et ma mère venait m’apporter son aide mais je ne comprenais pas toujours et le lendemain, à l’école, difficile d’expliquer comment j’avais organisé la circulation des trains ou rempli les cuves !

Quand le repas était terminé, mon grand-père vérifiait qu’il ne restait plus de soupe dans la soupière. S’il restait une louchée, il la servait dans son assiette et il "faisait chabrot ». "Faire chabrot" consistait à mettre dans l’assiette, encore chaude et imbibée de graisse de la soupe, du vin rouge que l’on buvait directement dans l’assiette-calotte.

Chacun regagnait ensuite sa place au coin du feu. Mon grand-père se mettait sur une chaise en fer placée au coin de l’âtre ; toute la famille chat qui dormait tranquillement se réveillait et commençait à l’utiliser comme perchoir, l’un sur ses genoux, l’autre entre ses bras, le troisième autour du cou et cinq minutes après tout ce petit monde se rendormait.

Ma grand-mère se plaçait à l’angle opposé et, éclairée par un petit lampion à pétrole, elle tricotait, ses aiguilles allaient à une vitesse folle ; leur nombre était important et j’ai toujours admiré son travail, ne comprenant pas comment elle pouvait actionner autant d’aiguilles à la fois !

Elle confectionnait des bas de laine.

Un autre tricoteur était le valet de ferme qui avait appris à tricoter avec ma mère et je me souviens qu’il se tricotait un magnifique tricot d’un vert vif ! Ses aiguilles allaient moins vite que celles de ma grand-mère et étaient moins nombreuses mais il avait pu achever son beau tricot vert !

Ma mère tricotait aussi.

Une distraction était de faire éclater des grains de maïs, mais à l’époque pas de maïs spécial, sur les 10 grains que l’on jetait dans le feu, un seul était une demoiselle qui explosait et faisait de la dentelle blanche que l’on dégustait.

Parfois, on faisait cuire sous la braise quelques châtaignes mais c’était rare, on les gardait pour le repas.

Mon père avec une oreillette captait une radio à galène ; on y entendait la radio de Toulouse mais c’était fugace il fallait avoir la patience d’attendre un moment pour percevoir quelques moments d’une émission !

On pouvait aussi admirer les flammes dont la couleur et la taille changeaient selon le bois que l’on jetait dans le feu ; on les contemplait qui léchaient la suie de la cheminée

Quand Patou, le chien de garde de mon grand-père, commençait à gratter avec ses pattes, on savait que l’heure d’aller au lit approchait.

On regardait la pendule comtoise et on constatait qu’il était en effet 10 heures.

Mon grand-père « déversait » les chats dans la cuisine, allumait la lampe-tempête, et, en compagnie de Patou, il partait faire une visite à l’étable pour voir s’il n’y avait pas de bête détachée, de veau égaré...

Il refermait vite pour que le froid ne pénètre pas et poussait la porte de la deuxième petite étable où Patou allait regagner sa niche sous l’escalier que mon grand-père lui avait préparée avec de la paille.

Avant d’aller se coucher, on utilisait différentes techniques de chauffage de lit.

Ma grand-mère avait une énorme pierre qu’elle avait rapportée des Pyrénées. Elle la mettait devant le feu le matin et le soir, elle l’emportait enveloppée dans un chiffon pour la mettre dans son lit.

Mon grand-père, c’était la bassinoire, une casserole en cuivre qu’on remplissait de braises et qu’on faisait circuler dans le lit pour chauffer les draps.

Pour mes parents et moi-même, c’était le moine, cette sorte de boîte suspendue chargée de charbon que l’on mettait dans le lit pour le chauffer

Le lendemain matin, de très bonne heure, vers 4 ou 5 heures, mon grand-père se levait pour allumer le feu. C’était tout un rituel très précis auquel il ne dérogeait pas.

Au printemps, il avait fait des javelles (petits fagots de branches) qu’il allait chercher.

Il rapprochait les chenets. Avec son briquet de cuivre qu’il avait ramené de la guerre de 14 et qu’il avait fabriqué dans les tranchées de Verdun, il allumait le feu, les sarments prenaient vite, il rajoutait du bois d’un certain calibre qu’il prenait sur le bûcher.

Le matin, il faisait la charge du bois pour la journée, il apportait tout le bois qui serait consommé en cours de journée.

Une fois le feu allumé, il se faisait un bon café avec la cafetière monumentale dans laquelle il faisait couler l’eau sur le café moulu.

Il accompagnait ce café de fromage de chèvre fabriqué par ses soins ; il avait en effet une chèvre blanche qu’il était le seul à traire et dont il était le seul à consommer les produits...

Peut-être estimait-on que les conditions sanitaires de fabrication des fromages n’étaient pas optimales… Quoi qu’il en soit, il en mangeait un par semaine et il s’est toujours bien porté !

Il n’oubliait pas non plus la petite goutte d’armagnac au fond de la tasse qu’il laissait chauffer et qu’il dégustait.

Il était alors prêt pour la journée de travail…

Ces histoires sont d’un autre temps....

Peut-être paraissent-elles bien désuètes aux yeux des plus jeunes mais elles traduisaient un sens de la famille que l’on n’a plus guère aujourd’hui.

Aujourd’hui, ordinateur, télévision, téléphone portable, chacun passe sa soirée « dans sa bulle », c’est le règne de l’individualisme et de l’égoïsme.

A l’époque, on ne parlait peut-être pas beaucoup mais on était ensemble et c’était l’essentiel...

Pierre Dupouy

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