Souvenirs : las armotos

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La bise glaciale qui nous gifle au dehors et la glace qui a pris à la surface de la mare m’ont fait penser au temps des armotes, un plat sans doute aujourd’hui classé dans les recettes d’antan.

J’ai bien retrouvé sur les rayons des grandes surfaces une farine précuite portant le nom de Polenta mais rien à voir avec les armotes de ma grand-mère.

Tout comme on ne connaissait pas encore les hybrides américains de maïs, on ignorait aussi les cribs pour le séchage de cette céréale.

On montait de magnifiques tresses d’épis qu’on accrochait à de grosses pointes au midi de la maison.

Ma grand-mère prenait l’échelle et choisissait les épis aux grains les plus charnus.

Elle égrenait ensuite avec une sorte de machine à manivelle qui actionnait un disque où des dents arrachaient les grains du tanoc (la rafle).

Ils étaient recueillis dans un baquet de bois puis passés au crible pour en éliminer les débris divers.

Ma grand-mère remplissait alors un petit sac en toile de jute ; elle le fixait sur le porte-bagages de mon vélo et y pliait dessus un petit sac blanc, confectionné à la machine à coudre avec un morceau de drap. C’est là qu’on mettait la farine.

Je partais chez le meunier, Lou Douriou, qui tenait moulin à Laas.

« C’est le seul qui sache faire de la farine pour les armotes » disait ma grand-mère. En effet, je crois que le maïs ne devait pas être transformé en fleur de farine, mais plutôt concassé pour obtenir une sorte de semoule.

Ma grand-mère me précisait : « Dis-lui de le moudre tout de suite et attends. »

J’aimais bien, c’était extraordinaire pour un enfant, un moulin, le bruit de l’eau, de la meule, cette farine qui tombait dans l’arche. Ce travail était généralement assuré par la meunière, le meunier prétextant une allergie au « boulan » (la fleur de farine qui vole).

Dès mon retour, ma grand-mère ouvrait le sac et faisait glisser entre ses doigts la farine, elle ne disait rien, c’était donc que la mouture avait été faite dans les conditions qu’elle souhaitait.

Le grand chaudron de fonte était installé sur le monumental trépied, le même qui servait à supporter la « métalo » (énorme marmite de fonte ou de cuivre).

Il était rempli d’eau. Le feu crépitait, là aussi on avait à choisir à la pilo (tas) le bois qui donnerait la meilleure flamme et d’une manière continue.

L’eau frémissait, on versait la farine en pluie, elle disparaissait au fond de la marmite dans le tourbillon créé par le mouvement de rotation effectué dans l’eau avec un long manche à balai.

Ca devenait de plus en plus dur à remuer au fur et à mesure de la prise.

Ma grand-mère avait ajouté une poignée de gros sel et trois ou quatre cuillerées de graisse d’oie.

La surface de la pâte se gonflait de grosses bulles qui crevaient telle la lave sirupeuse d’un volcan.

Ma grand-mère levait le manche à balai chargé de pâte, elle observait la consistance et annonçait : « Vous êtes prêts ? On va tremper. » Nous étions prêts effectivement.

Pendant que cuisaient les armotes, nous avions préparé des assiettes calottes avec au fond du sucre, il s’agissait de morceaux concassés au marteau.

Ma grand-mère versait une louche et la pâte toute chaude fondait le sucre, on soufflait dessus et on dégustait.

Je me souviens que lorsque j’étais chargé de la préparation des assiettes, j’en repérais une avec la couleur de la fleur qui l’ornait et là je forçais la dose de sucre.

On faisait aussi des ‘" écus" : on installait la banquo (la planche à laver) qui était équipée de deux pieds, l’autre extrémité reposait sur une chaise. On recouvrait d’un linge blanc et ma grand-mère déposait là des louches d’armotes qui s’étalaient avant de durcir.

On remplissait aussi de grands plats.

Chez moi, les armotes n’ont jamais remplacé le pain, elles ont toujours été servies en dessert.

Les « écus » étaient cuits dans la grande poêle avec de la graisse d’oie et on les saupoudrait de cassonade alors qu’ils étaient bien imbibés de matière grasse.

C’était sans doute lourd mais délicieux, et à l’époque, on ne faisait pas de savants calculs de calories !

On en grillait aussi sur un lit de braises, je vois encore ces longues tranches de pâte striées des traits noirs du gril. On y ajoutait alors un peu de confiture.

Ce dernier type de cuisson se pratiquait surtout à la veillée, vers 22 heures ; on avait un creux au fond de l’estomac car on avait généralement pris le repas du soir à 17 heures.

Ca calait pour la nuit et c’était un excellent somnifère avec un verre de piquette acide…

Pierre Dupouy

Illustrations : photo-titre Pierre Dupouy / Pixabay

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