Près de 70% des haies présentes en France ont disparu en 150 ans, arrachées sous l'effet conjoint du remembrement agricole et du déclin de l'activité d'élevage au profit de la céréaliculture intensive.
On se rend compte aujourd’hui de la perte énorme que cela représente.
Maillon indispensable de la biodiversité, les haies assurent la continuité des écosystèmes, elles sont également des abris pour la faune et la flore, jouent un rôle de coupe-vent de premier plan et empêchent le ruissellement des eaux.
Même si de nombreux agriculteurs replantent, sous l’impulsion des réseaux d’agroforesterie, des chambres d’agriculture, des collectivités, des fédérations de chasseurs nous sommes loin du compte car il est beaucoup plus difficile de planter que de détruire !
Nous avions déjà évoqué dans Le Journal du Gers un ouvrage d'André Dumont, herpétologue gascon, Mes vipères : https://lejournaldugers.fr/article/43019-la-vipere-un-animal-dangereux-mais-utile
Nous faisons de nouveau appel à cet ardent défenseur de la nature et de l'environnement qui, il y a plus de 50 ans, tirait déjà la sonnette d’alarme dans un ouvrage intitulé Plaidoyer pour une haie dont nous reprenons ici des extraits.
« Dès que la pluie tombe, la surface arable s’arrose et lorsqu’elle est gorgée d’eau, celle-ci est refusée par le sol imperméable. L’eau ruisselle le long des pentes et lorsqu’elle rencontre une haie, elle se heurte comme à un barrage.
Là, se trouvent les racines : c’est dans le sol et le sous-sol un enchevêtrement compliqué… Plus le sol est ingrat, plus les racines sont puissantes et se tordent pour aspirer la vie et grâce à ces formidables prolongements qui le fouillent, le terrain argileux est devenu poreux.Il va permettre le passage de l’eau de pluie qui s’infiltre, descend doucement jusqu’aux extrémités des racines les plus fines. Ainsi, pas une goutte d’eau n’est perdue. Patiemment, ce don du ciel s’accumule dans la terre pour y former une réserve considérable qui au printemps donnera sa splendeur à toute la nature.
Parfois, la structure du sol varie : il est sablonneux et très perméable à une certaine profondeur. Le système est alors plus complet car après avoir traversé plusieurs couches de terrain, l’eau de pluie va alimenter la nappe phréatique.
Les racines permettent un drainage parfait. L’eau mise en réserve au cours de l’hiver sera reprise par les plantes et les arbres au moment des chaleurs et répartie dans l’atmosphère procurant un climat agréable.
Disposant de moyens mécaniques énormes, notre société ne veut tenir aucun compte de ce qu’elle n’a pas organisé.
Ne se fiant qu’à la puissance de ses machines, elle les lance dans la nature comme un buddozer qui détruit tout !
Devant cette force colossale, tout doit s’incliner : on ne laissera pas une haie. On les arrache toutes. Tous les arbres tombent devant cet ouragan.
Abattus sans le moindre respect, ils sont poussés au fond des vallons où on les voit pêle-mêle, les racines des uns mêlées aux branches des autres. Et c’est avec le plus grand mépris qu’on les arrose de gas-oil et qu’on les incendie.
Sur la place maintenant nette, pour l’écoulement des eaux, l’homme creuse des fossés […] La terre et tout ce qui provient du creusement du fossé est soigneusement étalé sur le sol ; c’est ainsi qu’alluvions et boulbènes, terres à consistance très fine, seront recouvertes de graviers tandis que les terreforts recevront un apport d’argile et de mollasse qui les rendront encore plus compacts [….]
Par la suite, en ces lieux, les labours se feront de bas en haut ; chaque sillon devenu une rigole conduira l’eau de pluie au fossé. Les orages provoqueront des ruissellements qui feront descendre la terre et les fortes pluies en emporteront de grandes quantités vers les bas-fonds où elle recouvre parfois des chemins.
Cette terre est constituée par des végétaux qui sont nés, qui ont poussé, qui se sont développés, qui sont morts, qui se sont décomposés et il a fallu des millions d’années pour en obtenir une pellicule.
Emporté par les orages en quelques minutes, cet humus est perdu à jamais dans les rivières […]
On laisse parfois un arbre pour se donner bonne conscience.
Mais comme tout ce qui pouvait fixer la faune, l’abriter, la nourrir, comme tout ce qui produisait fleurs et fruits a été impitoyablement détruit, la faune disparaît car elle ne sait pas s’acommoder de ces générosités. Un rouge-gorge ou un roitelet se sentent plus en sécurité dans un buisson d’aubépines et de ronces que dans le branchage d’un chêne majestueux […]
Il arrive que l’homme pour se préserver du vent se trouve dans la nécessité de planter une haie. Il se rend alors chez un marchand d’arbustes d’agrément, fait son choix et de retour chez lui, il plante ses jeunes arbres. Si tous les goûts sont dans la nature, il est regrettable que tant de gens aient des goûts de même nature ! Quel que soit le style, quelle que soit la localisation, toutes les maisons sont ceinturées du même modèle de haies de résineux, des haies que les oiseaux n’aiment pas puisqu’ils n’y viennent jamais..."
Pierre Dupouy d'après Plaidoyer pour une haie d'André Dumont
Illustrations : dessins d'André Dumont