Feuilleton par Claire Adélaïde Montiel
Peu de mathématiciens peuvent se vanter d’être aussi connus dans le monde entier que Pierre Fermat. Dans la région, nous connaissons sa maison natale à Beaumont-de-Lomagne. Le lycée de Toulouse, des rues et plusieurs établissements solaires portent son nom. Il doit sa popularité à sa célèbre Sa célèbre conjecture : « L’équation Xn +Yn=Zn n’a pas de solution dans l’ensemble des nombres entiers naturels non nuls si n est un entier égal ou supérieur à 3 ». Improprement désignée par ses admirateurs comme « le dernier théorème » ou encore « le grand théorème de Fermat », elle a passionné nombre de mathématiciens pendant 356 ans et a valu à son auteur un statut de vedette dans les journaux du monde entier avant d’être enfin démontrée par l’anglais Andrew Wiles en 1994 et d’accéder ainsi, légitimement cette fois, au statut de théorème.
Du fait du battage médiatique dont il a fait l’objet, chacun croit connaître Pierre Fermat ou de Fermat comme on voudra le nommer. Aussi est-on surpris de découvrir à quel point il s’est comporté, toute sa vie durant, comme un homme énigmatique, voire même secret.
Nous allons le percer à jour pour vous, amis lecteurs. Menons l’enquête.
Saison 2- (2/3) : Pierre Fermat ou Pierre de Fermat ?
D’aucuns nomment Pierre Fermat notre mathématicien connu du monde entier. D’autres jurent leurs grand dieux que, hors de l’appellation Pierre de Fermat, il n’y a point de salut. Pour trancher le débat, reportons-nous à ce que nous connaissons de la vie de ce personnage qui semble décidément avoir vocation à demeurer mystérieux.
C’est sous le nom de Pierre de Fermat que son fils Samuel fit paraître, en 1679, son oeuvre mathématique sous le titre Varia opera mathématica. Son acte de mariage datant du 1er juin est ainsi rédigé : « Monsieur Me Pierre de Fermat, conseiller en la Cour, veult pour femme Damoiselle Louysse de Long… » (1) mais un acte notarié de 1649, lors d’un échange de terres le désigne comme « sieur Pierre Fermat, bourgeois. »
Comment trancher ce débat ? En fait, cette question, lorsqu’elle est posée en sous-entend une autre : Pierre Fermat était-il noble ? De sorte qu’il s’agit ici de s’interroger sur les conditions d’accès à la noblesse au XVIIe siécle.
Un peu d'histoire
Pierre Fermat appartient à une famille de marchands : Anthoine, le grand-père, était quincaillier. Son deuxième fils Dominique, père du mathématicien, fit du commerce de cuir et de produits agricoles. En ce temps-là, la conjoncture du siècle et l’animation du commerce favorisèrent la montée de la bourgeoisie qui se fit de manière progressive sur une période de deux siècles.
Les bourgeois, au dire des historiens se distinguaient par des qualités spécifiques : attachement à la famille, goût pour le travail et l’argent mais aussi pour l’éducation, volonté d’ascension sociale (2). Ces marchands enrichis, propriétaires fonciers, s’impliquaient dans la vie de la cité. À Toulouse, les cousins Jean et Antoine, marchands, occupèrent, à eux deux, trois fois le poste prestigieux de capitoul qui donnait accès à la noblesse dès la première génération. À Beaumont, Dominique fut à plusieurs reprises consul de la ville, ainsi que son frère puiné prénommé Pierre comme notre mathématicien.
Les familles de marchands pratiquaient une politique d’alliances matrimoniales qui leur permettait de s’élever dans la société. Le père de notre mathématicien, Dominique, marié en premières noces avec Françoise Cazeneuve, fille d’un marchand d’Esparsac, convola, après son veuvage, avec Claire Delong qui appartenait à une famille de magistrats descendant de Jean de Bernuy, le célèbre pastelier toulousain.
Les fils de bourgeois complétaient de solides humanités par des études de droit ou de médecine. Ensuite, grâce aux fortunes réalisées dans le commerce par leurs parents, ils achetaient des charges qui, en deux générations, leur permettent d’atteindre la noblesse.
Cette voie ascensionnelle est celle qui fut suivie par la plupart des membres de la famille Fermat. C’est ainsi que Pierre, fils de Dominique, abandonna les métiers de la marchandise pour ceux de la magistrature. Après ses études à la faculté d’Orléans qui lui permirent d’obtenir l’agrégation comme bachelier en Droit (3) , il acheta, pour le prix d’une grosse ferme, une charge de magistrat au Parlement de Toulouse et contracta mariage, en 1631, avec Louise Delong, fille, petite-fille et sœur de magistrat. Par la suite, aucun de leurs descendants ne fut marchand.
Anobli par sa fonction
D’après les historiens (4), il y avait plusieurs manières pour les bourgeois d’accéder à la noblesse. Être choisi pour une charge municipale donnait accès, après 1372, à « la noblesse de cloche », celle des cousins Fermat capitouls toulousains.
Pour la noblesse d’offices ou de robe, il faudra attendre 1605, période où les achats d’offices devinrent la voie privilégiée d’accéder à la noblesse. Celle-ci n’était acquise que par l’exercice d’une charge sur plusieurs années consécutives (20 ans au Parlement de Toulouse) et sur au moins deux générations, ce qui est bien le cas de Pierre Fermat et de son fils Samuel.
Les mesures royales facilitant l’anoblissement des bourgeois s’expliquaient par deux motifs essentiels. L’une concernant le cadre général : en raison du déficit permanent de la cassette royale, ces charges représentaient pour la Royauté une source toujours renouvelée de fonds. Concernant le cadre plus particulier de la noblesse d’offices, il faut rappeler que l’administration de la justice était une des fonctions les plus importants du royaume. Les magistrats représentaient le Roi. De plus ils pouvaient être appelés à juger des nobles et devaient, de ce fait être au moins leur égal.
La mort de Monsieur de Fermat
De sorte que Pierre Fermat, après plus de 30 ans de magistrature, a continué toute sa vie à signer de son patronyme sans y adjoindre la particule et qu’à partir de Samuel, son fils et successeur, magistrat comme lui, les Fermat ont pris nom de Fermat.
Ajoutons à cela que la particule accolée à un nom de famille n’était pas forcément une marque d’appartenance à la noblesse. Certains nobles, et des plus éminents, n’en usaient pas tandis que des roturiers s’arrogeaient le droit d’arborer la particule en adjoignant à leur nom celui d’une terre noble acquise auprès d’une famille prestigieuse mais désargentée.
Notons également que les contemporains du mathématicien ne se sont pas privés de manifester le respect que leur inspiraient le grand homme en usant de la particule. Témoin, cet éloge funèbre paru dans le premier numéro du Journal des scavans daté de février 1665 : On a appris icy avec beaucoup de douleur la mort de M de Fermat, conseiller au Parlement de Tolose ».
1 Un mathématicien de génie Pierre de Fermat. Toulouse. Lycée Pierre de Fermat 1957 p.28 note 8
2 Catherine Rome : La bourgeoisie montalbanaise au XVIIe siècle. Bulletin de la Société archéologique de Montauban 1996
3 Un mathématicien de génie Pierre de Fermat. Toulouse. Lycée Pierre de Fermat 1957 p.28 note 9
4 François Bluche et Pierre Durye : L’anoblissement par les charges avant 1789 ( éditions ? )
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