Feuilleton par Claire Adélaïde Montiel
Peu de mathématiciens peuvent se vanter d’être aussi connus internationalement que Pierre Fermat. Dans la région, nous connaissons sa maison natale à Beaumont-de-Lomagne, un lycée de Toulouse et plusieurs rues portent son nom. Il doit sa popularité dans le monde des mathématiciens à sa célèbre conjecture écrite vraisemblablement vers 1626 dans la marge d'un ouvrage lui appartenant : les "Arithmétiques de Diophante" : « L’équation Xn +Yn=Zn n’a pas de solution dans l’ensemble des nombres entiers naturels non nuls si n est un entier égal ou supérieur à 3 ». Improprement désignée par ses admirateurs comme « le dernier théorème » ou encore « le grand théorème de Fermat », elle a passionné nombre de mathématiciens pendant 356 ans et a valu, à son auteur, un statut de vedette dans les journaux du monde entier avant d’être enfin démontrée par l’anglais Andrew Wiles, en 1994, et d’accéder ainsi, légitimement cette fois, au statut de théorème.
Du fait du battage médiatique dont il a fait l’objet, chacun croit connaître Pierre Fermat ou de Fermat comme on voudra le nommer. Aussi est-on surpris de découvrir à quel point il s’est comporté, toute sa vie durant, comme un homme énigmatique, voire même secret.
Nous allons le percer à jour pour vous, amis lecteurs. Menons l’enquête.
Saison 1 – (1/3) : L’homme qui naquit trois fois
Il n’est pas donné à tout le monde de naître trois fois, c’est pourtant le cas de notre mathématicien. Voici comment se produisit l’affaire.
Dans la bastide royale de Beaumont-de-Lomagne advint, le 20 août 1601, un évènement qui, - aucun des participants ne s’en doutait alors - devait créer une onde de choc dans le monde entier pendant plusieurs siècles. Je veux parler du baptême, dans la grande nef de l’église Notre-Dame de l’Assomption, de Pierre, fils premier né de Dominique Fermat, riche bourgeois et second consul de la cité.
Les trois personnes présentes nous sont connues.
Le premier est le père, Dominique. Durant plusieurs décennies, lorsque dans la bastide on parlait de Monsieur Fermat, on ne pensait pas à Pierre qui était entre-temps devenu magistrat au parlement de Toulouse et correspondait avec toute l’Europe savante en français, latin et parfois en grec. À Beaumont, quand on parlait de Monsieur Fermat, c’était Dominique, l’un des notables les plus en vue, l’un des plus riches bourgeois, marchand de son état qu’on désignait par cette appellation respectueuse. Dominique fut à plusieurs reprises consul de la bastide de Beaumont-de-Lomagne, une charge qui était réservée aux bourgeois les plus estimés par leurs concitoyens. Rappelons cependant que, bien que procurant à ceux qui en étaient investis un grand prestige, elle ne conférait pas la noblesse comme c’était le cas pour les capitouls toulousains parmi lesquels figuraient d’ailleurs, sensiblement à la même époque les cousins Fermat, Jean et Antoine également commerçants.
La seconde personne présente était le parrain : Pierre Fermat, frère puiné de Dominique, marchand comme son frère, et qui sera également, comme son frère encore, plusieurs fois consuls de la ville. Le nouveau-né, à peine arrivé en ce bas monde, jouit donc déjà d’un entourage prestigieux.
Quant à la troisième personne, c’est la marraine, Jehanne Cazeneuve, tante de l’enfantelet par la branche maternelle.
De mère, point.
Comment expliquer cette absence ? Françoise Cazeneuve, fille d’un marchand d’Esparsac, village voisin de Beaumont et première épouse de Dominique, est-elle morte en couches comme cela se produisait trop souvent pour diverses raisons, toutes plus terribles les unes que les autres? Nous savons qu’il n’en est rien. En effet, le registre des baptêmes de 1603 fait état de la naissance, le 14 mars, d’une petite Antoinette, fille de Dominique et de Françoise, très vite décédée.
Alors ? Alors cette absence qui nous paraît aujourd’hui si incongrue a pourtant une raison d’être. La mortalité infantile, fléau qui faisait des ravages, imposait un baptême rapide de sorte que les enfants ne risquent pas, en cas de décès prématuré, d’être condamnés à errer dans les limbes où se perdent les nouveau-nés non baptisés. Dans le même temps, les accouchées se voyaient interdire un retour à l’église jusqu’à la cérémonie de purification nommée « relevailles » qui avait lieu, suivant les régions, jusqu’à quarante jours après la naissance. Elles ne pouvaient pas, de ce fait, porter leur enfant sur les fonts baptismaux.
Les registres de baptême tenant lieu d’état civil, on comprend les difficultés que rencontrent, de ce fait, les historiens des familles pour déterminer le nom des mères.
Fin du premier acte.
Nous avons la certitude que Pierre, fils de Dominique Fermat et de Françoise Cazeneveuve est né à Beaumont-de-Lomagne le 19 août 1601. Mais est-ce bien notre mathématicien ?
Rien n’est moins sûr.
Acte de baptême de Pierre Fermat, 20 août 1601 (Registre paroissial de Beaumont-de-Lomagne)
Pierre, filz de Dominique Fermat, bourgoys et segont consul de la ville de Beaumont, a esté baptisé le 20° aoust 1601, parrin Pierrre Fermat, marchant… marrine Jehanne Cazeneuve, par moi
Le Journal du Gers vous propose de réaliser des feuilletons (le plus longtemps possible) sur l’histoire de personnages importants pour la mémoire et pour la culture du territoire. Ces personnages peuvent être de fortes personnalités locales et nous avons déjà quelques autres séries en tête, mais il est possible aussi d’imaginer un hommage à des personnes de notre entourage qui ont une histoire pas ordinaire ! Ou tout à fait ordinaire ! Ici tout est permis !
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