Dr Maxime MAURY, Officier des Palmes académiques, Professeur affilié à Toulouse Business School, Ancien directeur régional de la Banque de France.
« Ceux qui croient que les peuples suivront leurs intérêts plutôt que leurs passions n’ont rien compris. »
(Raymond ARON)
La citation de Raymond ARON illustre parfaitement les guerres absurdes en Ukraine, en Arménie ou en Israël qui accroissent les risques d’incertitude économique.
Elles ressemblent de plus en plus à une guerre générale des dictatures contre les démocraties ( sans oublier Taïwan).
Il y a un monde entre les discours officiels , le tohu-bohu médiatique et la perception réaliste des enjeux économiques et financiers. Le but de cette chronique est de les éclairer.
Voici donc les questions auxquelles il nous faut répondre :
- L’inflation sera-t-elle vaincue sans récession ni crise financière ?
- La zone euro parviendra-t-elle à reconstruire enfin le Pacte de stabilité abandonné en 2020 ? Une Europe-puissance finira-t-elle par sortir du marasme actuel ?
I) La baisse de l’inflation est précaire :
Avec un an de retard à l’allumage ( juillet 2022) par rapport aux débuts de l’inflation ( 2021), la BCE est cependant parvenue à ramener l’inflation dans la zone des 5 %. Mais elle oscille au- dessous des 4% aux États-Unis.
L’augmentation des taux d’intérêt ( + 4,5 % en 1 an et demi ) est quasiment la plus rapide de l’histoire , le crash obligataire qui en résulte est le plus violent depuis 1987.
Pourtant l’inflation sous-jacente reste bien ancrée en Europe autour des 5 %. Sa relative inertie laisse supposer qu’il aura été plus facile de revenir de 11 à 5% que de 5 à 2% comme les Banques centrales le souhaiteraient.
Quatre obstacles se présentent en effet sur leur chemin :
- Même s’il n’y a pas encore de boucle-prix salaires généralisée, les salaires augmentent bien des deux côtés de l’Atlantique à 4-5%;
- Le marché du travail, marqué par les pénuries de main d’œuvre, est dans une tension qui favorise structurellement l’inflation ;
- Les anticipations d’inflation à 5 ans sont plus fortes que la cible des 2% ( environ 3,5 %) ;
- La transition énergétique toujours non financée , les pics de production ( dont le pétrole ), la démondialisation en cours et la recherche de la résilience nous promettent une inflation tenace en raison de coûts de production croissants.
Les Banques centrales n’osent pas se l’avouer car le sujet les dépasse et qu’elles sont toutes tenues par la sempiternelle cible des 2%.
Il existe cependant deux marges de manœuvre économique :
- des marges et des profits distribués élevés (230 milliards de dividendes en 2023) ;
- un haut niveau d’épargne.
II) Les taux d’intérêt peuvent encore monter légèrement :
Après une hausse parmi les plus rapides de l’histoire ( + 4,5% en Europe et + 5 % aux États-Unis en un an et demi ), on admet qu’il faut attendre 18 mois pour en appréhender les effets.
Les anticipations tablent désormais sur une ou deux hausses de 25 centimes puis des baisses fin 2024. Mais le dynamisme de l’économie américaine et le « suremploi inflationniste » pourraient surprendre les prévisionnistes.
Tout dépendra des quatre obstacles précédemment évoqués et des risques de récession. Rappelons que l’endettement mondial est colossal : 350 000 milliards, soit plus de 4 années de PIB en constante augmentation depuis 20 ans. Le risque de crise financière existe aux États-Unis pour les banques et en Europe pour les dettes souveraines.
La récession l’accroitrait par les défaillances d’entreprises alors que de nouvelles hausses de taux activeraient le risque d’illiquidité (cf chute des portefeuilles obligataires). D’où l’incertitude.
III) L’Europe est au bord de la récession :
L’indicateur avancé auprès des directeurs d’achat ( PMI de Markit à Londres ) pointe une récession industrielle mondiale ( Inde exceptée), particulièrement forte dans la zone euro où l’indicateur est à son plus bas niveau depuis 3 ans ( indice 44 pour un seuil de croissance à 50).
L’indicateur global qui inclue les services est juste au-dessus du seuil de croissance dans le monde, mais nettement au-dessous dans la zone euro ( 47 pour un seuil de croissance à 50).
Avec une surévaluation officielle de la pierre de 37 % en France (cf INSEE), la crise immobilière menace d’accroître le sentiment d’appauvrissement d’une large partie de la population. Les nouveaux prêts à l’habitat se sont effondrés au niveau d’avril 2020.
IV ) De plus en plus d’ambiguïté sur la reconstruction du Pacte de stabilité et le rôle de la BCE.
Où est donc cette Europe-puissance tant attendue ?
Abandonné en 2020, et toujours en panne en 2022, le Pacte de stabilité de l’euro doit être reconstruit en fin d’année sous présidence espagnole. Voire.
L’absence de rigueur budgétaire en France a été masquée, de 2015 à 2022, par le rachat par la BCE de 5 000 milliards (!) de titres de dettes publiques. Peu de Français ont réellement compris que le « quoi qu’il en coûte » et la planche à billets étaient maintenant révolus. D’ailleurs 8 % seulement de nos concitoyens croient que la dette publique pourrait devenir un problème. Le déni de réalité empêche tout débat alors que les charges financières de la France explosent et atteindront vraisemblablement 70-80 milliards en 2027.
Dans ce contexte, un conflit non exprimé existe entre la France et l’Allemagne : on ne parvient pas à s’entendre sur des « trajectoires de réduction de la dépense publique » car les pays d’Europe du nord exigent que des mesures soient prises, sous contrôle des pairs, lorsque le déficit dépasse les 3% du PIB. Or la France évolue un peu au-dessous de 5% !
Reste le problème de fond jamais débattu : la zone euro n’est pas une zone monétaire optimale au sens de MUNDELL. Depuis 20 ans , le nord et le sud ont divergé ( revenus , compétitivité , endettement).
L’opportunité qui se présentait en 2020 a été quasiment perdue : lancer une dette fédérale remboursée par une taxe carbone aux frontières pour financer le plan « Next Génération » qui s’apparentait à cette Union de transferts dont nous aurions tant besoin. Mutualiser la dette et lancer une Fédération européenne !
Perdue également, l’excellente proposition de Pierre JAILLET et Christian PFISTER dans la Revue d’Économie Financière qui proposaient que dans le nouveau Pacte de stabilité, les investissements de la transition énergétique soient placés hors du champ des 3% ( déficit/PIB) et fassent l’objet d’un financement fédéral.
Pour dire les choses simplement : L’euro reste une monnaie sans gouvernement et la BCE est une institution authentiquement fédérale qui n’a pas vraiment sa contrepartie gouvernementale. On tend donc à lui faire jouer un rôle qui n’est pas le sien. Les économistes appellent ça « fiscal dominance ». La combinaison des politiques budgétaire et monétaire ( « mix policy ») est biaisée par un défaut de construction.
À cette incertitude qui porte sur la soutenabilité de la dette s’ajoute la découverte par une part croissante de l’opinion publique du marasme stratégique européen :
Des choix énergétiques hasardeux en Allemagne , l’abandon par ce pays du nucléaire jusqu’à imposer des conditions de prix qui ont ruiné l’électricien français.
La vérité c’est que l’Europe est en panne.
Prise en tenailles entre le risque de récession et la poursuite des hausses de taux aux États-Unis, la zone euro est le maillon faible.
Comme le disait Raymond ARON, ce sont les passions et non l’intérêt logique découlant de la Raison qui mènent les peuples.
Toujours plus de carbone et d’inégalités d’un côté et toujours plus de haine contre les démocraties de l’autre.
Chez nous, toujours plus de divisions fondées sur notre passion des idéologies.
Alors que la Raison et notre intérêt bien compris devraient nous conduire vers une sobriété heureuse et plus de coopération internationale. Il faut encore y croire !