Le curage de la mare était dans une vie d'agriculteur un évenement marquant.
En effet, on ne faisait pas cela toutes les semaines mais tous les ans ou tous les deux ou trois ans, cela dépendait de la mesure de vase que l'on trouvait lorsqu'on plongeait un bâton dans la mare.
Chez moi, la mare était dépendante de la fontaine qui recevait l'eau des collines du Peyret très calcaires, l'eau était très pure et coulait de manière continuelle même en période de sécheresse.
Cette source coulait dans un bac en pierre construit il y a fort longtemps.
Derrière était planté un buis qui faisait de l'ombre et permettait de conserver la fraîcheur de l'eau.
Cette fontaine remplissait donc la mare toute proche dont le bassin n'était pas très grand, quelques mètres de largeur et de longueur.
Cette mare était un motif de querelle entre ma grand-mère et mon grand-père.
Ma grand-mère lâchait le matin ses vingt canards qui se prépipitaient dans la mare et commençaient à y plonger puis à gratter et soulever la vase pour y trouver des vers.
Quand ces vingt canards avaient fait leur inspection sous-matine, l'eau était très trouble !
Arrivait deux heures après mon grand-père avec son troupeau de bétail rentrant du pré. De loin, il apercevait l'eau trouble et rouspétait.
Les bêtes acceptaient tout de même de boire l'eau avant de regagner l'étable et l'explication se faisait plus tard.
Une discussion avait lieu sur la possibilité d'écarter les canards une fois dedans à l'aide d'une longue gaule que lui avait procurée mon grand-père.
Ma grand-mère ne les chassait guère contrairement à mon grand-père qui finit un jour dans la mare après avoir tenté de récupérer un récalcitrant !
C'était une matinée de décembre dont il se souvint.
Quand était arrivé le bon moment de curer la mare - c'est-à-dire enlever la boue, la terre, tout ce que la pluie avait précipité dans le bassin - on se procurait deux chariots, des charrettes spéciales fermées de tous les côtés montées sur de grandes roues et d'un grand cubage.
Les chariots étaient culbutants c'est-à-dire que lorsqu'on levait l'avant, ils se redressaient et on pouvait verser le contenant.
On se dotait aussi de pelles. On invitait le voisin à cette manifestation. Cela ne le réjouissait guère mais il acceptait tout de même.
Il fallait d'abord vider la mare de l'eau stagnante. Par un petit tuyau, on amenait l'eau dans une autre mare plus basse. L'eau coulait dans un ruisselet qui contenait une culture de cresson : il fallait donc que le débit soit faible pour ne pas abîmer la cressonnière.
Quand la mare était vidée, on la laissait sécher pendant quelques jours.
Puis le curage commençait, on jetait des pelletées de terre dans le chariot. C'était un travail très dur car il fallait décoller la boue.
On avait une galère, à savoir une grande pelle très large avec des bords à l'arrière et sur le côté qui était tirée par les bœufs.
On la passait plusieurs fois selon la quantité de boue contenue dans la mare.
On portait ensuite cette boue dans un champ où on savait que l'année suivante on ferait une culture fructueuse car cette boue jouerait le rôle d'un engrais.
C'était en principe du blé que l'on plantait.
Ces travaux étaient parfois interrompus pour aller boire un petit verre de blanc.
Ma grand-mère qui savait que c'était une tâche difficile préparait des gâteaux et pendant deux jours on savait qu'il y aurait des gâteaux sur la table.
L'eau de la fontaine était potable... selon l'affirmation des ancêtres qui avaient toujours bu cette eau et se portaient bien.
Mais cette eau n'avait jamais été analysée.
Elle ne le serait peut-être plus aujourd'hui mais on était à une époque où l'on ne mettait pratiquement rien dans les champs.
Quand la mare était remplie de nouveau, mon grand-père priait pour qu'elle reste longtemps propre comme elle l'était.
Quand arrivait la période du gavage, il soupirait d'aise : « Elle va enfermer ses canards pour les gaver, on va être tranquilles un moment ! »
Pierre DUPOUY