Les plus valides gagnent la salle du réfectoire, d'autres poussés dans leur fauteuil mais tous dans la bonne humeur à la perspective d'un moment de détente, l'après-midi de loto.
Un moment de détente car on va se rencontrer et discuter avant de jouer.
« Tiens, mais toi tu es là ? Je ne le savais pas ! » Et voilà le dialogue qui s'engage.
On pose ses cartons sur la table qu'on a choisis soigneusement.
« Jette un œil sur les miens, » me dit mon voisin de table, car je n'y vois pas très bien. »
« Ne t'inquiète pas, j'aurai un œil sur les tiens et sur les miens ! »
L'animatrice Charlotte commence à annoncer les numéros du loto pour le premier jeu, une quine.
32, 58, 72, 93 ...
« Quine ! » crie une petite voix. C'est le moment de la vérification.
« C'est bon, la quine est gagnée ! ». Le lot est apporté à la mamie qui ravie le range soigneusement avant de revenir à ses cartons.
Après une autre quine, la tension monte car c'est le carton plein !
Celui qui gagne remporte le gros lot.
« Carton plein ! »
« Déjà ! J'étais à deux chiffres du carton plein ! » entend-on.. « Et moi, il me manquait le 92 ! »
L'après-midi se poursuit dans la joie et la bonne humeur et se termine par un goûter qui permet de poursuivre les échanges.
Les lots gagnés – même s'ils font plaisir aux gagnants - ne sont pas ce qui compte le plus pour les participants.
Le plus important , c'est que le loto a rempli son rôle de vecteur de communication entre les résidents et avec le personnel.
En repartant, je croise mon ami Ernest venu voir sa sœur qui m'interpelle :
« Pierrot, tu te rappelles des lotos du parti communiste ?
- Oui, je me souviens bien des parties au 1er étage du café d'Yvette. Nous, les dirigeants du rugby, nous nous préparions et nous entendions les poules qui caquetaient, les oies qui cancanaient, un coq qui se mettait à chanter car je me souviens que les lots étaient surtout de la volaille.
- Oui, c'est vrai, c'était des lots qui faisaient plaisir mais c'était aussi une façon d'économiser car on pouvait marchander le prix ou même obtenir la volaille gratuitement en échange d'un petit travail exécuté à la ferme.
Il y avait des œufs à gagner mais aussi du vin et quand nous passions dans la salle du café avec les lots à la main, certains clients nous disaient : « Ce que vous portez, c'est pour les rouges ! »
Les cartons étaient étalés sur une table en entrant et les gens choisissaient leurs cartons gagnants.
Moi je prenais des cartons avec le 9 le mois de ma naissance, le 12 le jour de mon mariage et le 6 le jour de la naissance du gosse !
Il m'est arrivé de gagner une paire de poulets et une douzaine d'oeufs ! La patronne était contente et m'avait demandé de repartir au loto le samedi d'après.
Mais je n'ai plus jamais gagné !
On s'installait sur les bancs autour des longues tables.
On choisissait sa place car on ne s'asseyait pas à côté de n'importe qui ! Des histoires de vieilles rancunes...
Le debisaïre - l'annonceur des numéros - n'était pas d'ici. C'était un peintre parisien.
Il avait un accent. Je demandais souvent « tableau » pour qu'on inscrive le chiffre sur le tableau car je ne comprenais pas toujours ce qu'il disait !
Ce qui était pénible, en plus de son accent, c'était qu'il commentait chaque numéro !
« Le 11, les jambes du peintre, le 32, le département, 78, le numéro de ma voiture, 22 vla les flics...
C'était agaçant surtout avec cet accent parisien !
A l'époque, on marquait les numéros avec du maïs et c'était à la fin de la soirée, de grandes parties de jets de maïs !
On raconte qu'Yvette ramassait tous les grains, les stockait et les donnait à une gaveuse d'oie qui lui offrait ainsi son oie de l'année !
Ces lotos ont duré longtemps.
Aujourd'hui, on ne se déplace plus que pour des lots intéressants.
Tu sais ce qui a tué le loto ?
Ce sont ceux qui ont installé des grandes tentes au foirail où on pouvait gagner une voiture !
Mais il fallait voir le prix des cartons ! Ce n'était pas dans mes moyens et j'ai arrêté le loto ! »
Aujourd'hui en effet, le loto n'est plus ce qu'il était...sauf à l'EHPAD de Vic-Fezensac !
Pierre DUPOUY