C’est dans sa maison de La Sauvetat qu'Osmond Kellogg Mairs, peintre britannique et gersois d’adoption, m’a gentiment accueilli afin de réaliser un entretien avec lui. Ayant en effet eu vent du fait qu’il se rendrait à Auch le 18 novembre prochain pour faire don d’une de ses toiles au Centre contre le Cancer dans le Gers, j’ai voulu en savoir plus sur lui, sur son art et sur cette peinture en particulier. Là-bas, il remettra sa toile en mains propres à la Présidente de la Ligue contre le Cancer du Gers, Madame Nadia Benoit. Comme tout anglais qui se respecte, Osmond s’est montré très affable et souriant avec moi en dépit d’un très sérieux mal de dos : le fameux flegme britannique, sans doute. Il m’a donc invité à entrer dans sa maison-musée où peintures, objets mécaniques, bibelots, souvenirs et décorations originales se disputent la moindre parcelle d’espace dans un maelström de couleurs chamarrées. Ainsi mon corps, soudainement si encombrant, est néanmoins parvenu sans casse à suivre Osmond jusqu’à son atelier où nous avons pu discuter de ses influences, de ses techniques, de la lumière unique du Gers et de cette fameuse toile offerte au Centre de Lutte contre le Cancer d’Auch.
1) Pour commencer Osmond, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre enfance ?
Mon père était hollandais, ma mère était franco-américaine. Pour ma part, j’ai vu le jour en Afrique du Sud. Mes parents ont toujours été bons avec moi, j’ai donc eu une enfance agréable. J’ai notamment été à l’école en France et en Irlande. Ma mère vient de la famille américaine Kellogg, bien connue pour ses corn-flakes, ces fameux grains de maïs cuits qui accompagnent beaucoup d’entre nous au petit-déjeuner. Mon père était un ingénieur de haut niveau. Ceci dit, mon nom laisse parfois à penser que j’ai été un enfant gâté pourri, or cela n’a pas été le cas. J’ai été envoyé en pension dès l’âge de six ans et j’ai toujours dû faire mes preuves ainsi que me faire une place, au même titre que les autres.
2) Avez-vous eu une éducation artistique avant de vous lancer pleinement dans la peinture ?
En fait, j’ai toujours aimé peindre les paysages lors de mes voyages avec mes parents. Très tôt, je me suis aussi mis à dessiner mes propres cartes de vœu. Très vite, j’ai donc su que plus tard, je suivrai une voie artistique. Malgré cela, j’ai d’abord travaillé quelques temps au Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth situé dans la bien connue Downing Street. Ensuite, j’ai été envoyé à Nairobi, au Kenya, pour m’occuper des affaires entre ce pays et l’Angleterre mais j’ai trouvé ce monde très protocolaire, superficiel et trop mondain pour envisager de faire une carrière dans la diplomatie internationale. J’ai donc décidé de rentrer en Angleterre afin d’étudier sérieusement la peinture à l’University of the Arts London.
3) Quand j’observe vos toiles, je ne reconnais pas un peintre mais des peintres. Vous semblez vous amuser des thèmes, des styles et des époques. Pouvez-vous nous indiquer quelques-unes de vos influences ?
En effet, ma peinture s’est imprégnée de plusieurs écoles et de nombreux artistes, notamment les surréalistes. Je sais que cela ne se voit pas forcément mais sur certaines toiles, l’association est assez évidente. J’admire beaucoup Joan Miro, Paul Cézanne, Alberto Giacometti, Wassily Kandinsky, Marc Chagall... D’ailleurs, j’ai rencontré Chagall en 1978, lorsque mon ami, le révérend doyen Walter Hussey, a voulu faire installer un de ses vitraux (le célèbre vitrail David aux teintes rouges rubis) dans la cathédrale de Chichester. Comme je parlais à la fois anglais et français, j’ai servi d’intermédiaire pour les négociations qui ont duré quelques mois. Par rapport à votre question sur mes influences, peut-être que Chagall a au moins eu une partie de la réponse puisqu’un jour il m’a dit ceci : « Tu es un peu comme moi, Osmond : tes peintures viennent de ton cœur, pas de ta tête. » Mon influence principale est probablement mon cœur, en effet. Ceci dit, les peintres plus anciens comme les primitifs italiens qui ont précédé Raphaël m’ont toujours fasciné. Idem avec l’école hollandaise et surtout Johaness Vermeer qui m’ont sans nul doute influencé. En tant qu’anglais et ayant étudié à Londres, on peut ajouter le mouvement des préraphaélites qui appréciaient comme moi les couleurs vives, les formes géométriques, les portraits lovés dans la nature et les scènes religieuses. Et puis, bien sûr, John Constable et Joseph Turner m’ont beaucoup impressionné. Avec toutes ces influences et d’autres que j’oublie, mon œuvre apparait hétéroclite, j’en conviens. En fait, je n’ai jamais eu de périodes comme on en trouve chez Picasso ou Renoir. Chez moi, ça varie d’un jour à l’autre. Mon amie, la sculptrice anglaise Barbara Hepworth, m’a dit un jour en regardant mes peintures : « Osmond, tu as une peinture pour chaque jour de l’année ! » De cette façon, j’espère peut-être ne pas lasser les gens en peignant toujours la même toile (sourire).
4) Sachant que vous aimez particulièrement les peintres surréalistes, quel est votre rapport aux rêves et leur importance dans vos créations ?
C’est vrai que je suis très sensible aux rêves. Lorsque je fais un rêve dont la puissance me marque au point de me réveiller, je me lève aussitôt sans même prendre gare à l’heure et je me mets à peindre avec ce souvenir onirique encore vif à l’esprit. Ce n’est pas que j’ai peur de l’oublier mais en peignant immédiatement, j’ai plus de chance que ce rêve soit encore prégnant et significatif pour moi. J’en conserve ainsi l’énergie que je peux transférer de mon bras à la toile. C’est très dur de vous expliquer la nécessité de ce procédé fortement lié à l’immédiateté ; je crains que la plupart des gens ne le comprennent pas.
5) Pouvez-vous nous dire un mot de cette peinture dont vous allez faire don au Centre contre le Cancer d’Auch ?
Bien sûr ! Cette peinture a justement été peinte de la façon dont je viens de parler. C’était un matin, très tôt. Et donc, au lever du lit, juste après un rêve, je m'y suis attelé. Cette toile a un rapport direct avec ce centre de lutte contre le cancer car elle représente l’un des appareils médicaux d’irradiation qui permet de soigner certains cancers, notamment en oncologie. Je me suis pris d’une forme de passion pour ces machines à cause de leurs noms magnifiques ; celle que j’ai peinte s’appelle Varian. C’est beau comme nom, non ? Je crois que Varian, est le nom de l’énergie ou du rayon qui provient de cet appareil. Il existe une autre machine qui émet des couleurs alors que le patient est allongé dans la machine. On peut voir ces couleurs tourbillonnantes grâce à un écran. Malgré le contexte, c’est assez fabuleux à voir. Je sais tout cela car j’avais un ami atteint d’un cancer que j’accompagnais à Toulouse pour son traitement, en partie basé sur la radiothérapie et la radiochirurgie stéréotaxique. De grands mots qui font un peu peur… Il devait passer de machine en machine et celle-ci, la Varian, a retenu mon attention. J’avais déjà fait une peinture inspirée par cette machine au début des années 90 mais j’ai décidé d’en faire une plus grande pour ce centre contre le cancer. Vous savez, là-bas, ils font un travail remarquable, non seulement au niveau médical, mais aussi en proposant des activités artistiques aux patients. Ils ont même un atelier de maquillage pour apprendre aux patients défigurés comment en limiter l’impact visuel et un autre consacré aux perruques pour ceux qui perdent leurs cheveux. C’est formidable !
6) Je reviens à votre art. Certaines de vos toiles où les couleurs ne se mélangent pas me rappellent la technique des fauvistes comme Derain, Vlaminck ou Matisse. Sur d’autres toiles au contraire, les couleurs se brouillent, on ne discerne plus l’une ou l’autre. Quelles différentes techniques utilisez-vous pour peindre ?
J’utilise surtout de la peinture à l’huile mais j’aime bien aussi faire des aquarelles. Je peins souvent à la brosse et au couteau. J’utilise même un couteau spécial que je fais fabriquer ; il est à la fois courbe pour me permettre de prendre un peu de peinture avec, et souple, pour que je puisse ensuite faire pression afin d’obtenir un effet pointilliste sur la toile. Ainsi, vous avez raison, j’obtiens le même résultat visuel que celui inventé par Georges Seurat et proche des fauvistes avec sa technique dite divisionniste où il procédait, grâce au contraste simultané des couleurs, à des effets de lumières en déposant de petites touches de peintures les unes à côté des autres. Sinon, j’aime peindre de façon totalement abstraite tout en restant géométrique, avec des segments de lignes bien droits, bien définis. En tant que peintre caméléon, je m’autorise tous les possibles. Par exemple, si je veux une couleur très spécifique qui n’existe que dans ma tête, je cherche à m’en approcher le plus possible en mélangeant les couleurs préexistantes que j’ai sous la main. Une fois que je suis parvenu au plus près de cette couleur « idéale », j’ajoute du sable afin de lui donner plus de rugosité. Il m’arrive aussi de mêler différentes huiles avec la peinture pour rendre celle-ci plus ou moins fine sur la toile, notamment lorsque je peins des nus et veux imiter la texture de la peau. Ce n’est pas facile de créer la couleur ou la texture que l’on a en tête. C’est comme tous les métiers de passion : le faire bien exige du temps et de l’exigence.
7) Avez-vous une sorte de routine ou une méthode personnelle pour vous mettre dans de bonnes conditions créatives, pour trouver l’inspiration ?
Oui. Cela va vous paraître un peu étrange, je suppose… Je prie la « partie supérieure » de ma personne chaque matin afin qu’elle me donne une ligne directrice. Je m’inspire du mouvement quaker (ce mouvement religieux issu de la Réforme protestante n’a ni clergé, ni rite, ni sacrement. Bien que la Bible ait un rôle primordial, d’autres sources de « Vérité » venant d’autres religions ou d’autres chemins spirituels sont tout à fait tolérés. L’expérience directe de la relation avec Dieu ou avec le Divin y est donc valorisée). En fait, pour moi, c’est surtout une forme de méditation et je me fiche de la religion de chacun, ça n’a pas grande importance à mes yeux. Je parle donc plutôt de ma « partie supérieure » que j’estime être Dieu et à laquelle je demande chaque jour de guider mes pensées artistiques afin de peindre. Et en générale, cela marche ! Chaque matin, je m’assoie et je médite pendant 10 ou 15 minutes en lisant un petit livre de réflexions que j’ai depuis mes ans.
8) Et le Gers dans tout ça, qu’apporte-il à votre peinture ?
Sachant que les couleurs sont très importantes pour moi, car je m’exprime par leur biais, je prête une attention toute particulière à la lumière naturelle. Et ici, dans le Gers, je suis servi au niveau des lumières naturelles ! Avant La Sauvetat, je vivais à Castelnau où j’ai passé de nombreux matins et de nombreuses soirées à contempler les levers et couchers du soleil au-dessus des Pyrénées. Je n’ai jamais vu de telles lumières ailleurs que dans le Gers ! Ayant ici aussi une vue dégagée magnifique, je fais la même chose pour peindre des paysages ou des champs gersois colorés et lumineux. Pour un peintre, le Gers, c’est le rêve !
9) Je sais que vous avez exposé à travers le monde mais l’avez-vous déjà fait dans le Gers ? Et peut-on espérer voir vos œuvres affichées bientôt dans notre département ?
Oui, j’ai exposé quelques toiles en 2002 et en septembre de l’année dernière dans la salle de l’Office de tourisme de Lectoure. En plus d'être bien placée, cette salle est un très beau lieu pour y montrer son travail. J’avais eu l’heureuse surprise et le grand honneur d’y vendre quasiment toutes mes peintures présentes, notamment au cours de la Journée du patrimoine. Je vais donc renouveler l’expérience au même endroit en 2023.
Entretien traduit par [email protected]