Peut-on parler aujourd'hui de vendanges quand on voit dans les vignobles se déplacer une énorme machine au moteur qui ronfle, que l'on entend des bruits de battage et que l'on aperçoit, au bout du sillon, un autre attelage avec une remorque qui recevra la collecte de la machine à vendanger?
Un seul homme travaille, le propriétaire des vignes.
Ces images de paysages d'automne aux magnifiques couleurs avec ces gens au pied des vignes en train de couper les grappes n'existent plus.
Autrefois, ils étaient 4 ou 5 à travailler voire une dizaine si la vigne était plus importante.
On faisait venir à ce moment-là des ouvriers espagnols, généralement des ouvrières qui parfois restaient au pays car elles y avaient trouvé un mari.
C'est généralement le matin que les gens avaient rendez-vous à la vigne où le propriétaire les attendait avec sa charrette tirée par des boeufs chargée de comportes.
Les comportes étaient des cuves en bois pour récupérer la récolte de la journée.
On distribuait les baquets, les ciseaux et chacun prenait son sillon.
On faisait parfois la course à celui qui finirait le premier son sillon.
Mais il arrivait que le propriétaire mette en garde les ouvriers pour certains plants comme celui du noir : « Faites attention, les grains de ces plants tombent si vous les secouez trop, alors ne les brutalisez pas ! »
On faisait des pauses et on en profitait pour s'amuser un peu en barbouillant de jus de raisin par exemple la figure d'une petite vendangeuse !
Quand le bac était plein, on appelait le porteur qui n'avait pas de hotte mais portait le baquet à la main. Il allait déverser dans la trémie du fouloir les grappes et il tournait la roue pour écraser les raisins. Le raisin rouge était en effet foulé sur place.
C'était un travail pénible car quand le nombre de vendangeurs était important, le rythme était soutenu !
Le moment de convivialité était le repas.
On s'installait sous un énorme noyer à l'ombre par terre et la maîtresse de maison apportait du pâté, de la confiture, du miel, du fromage, du rôti de porc et parfois des saucisses à griller sur un petit feu.
A midi moins le quart, il fallait aller acheter le pain, une miche, un pain de deux kilos qui sortait du four et qui craquait sous la dent.
On disait à celui qui était chargé de la tâche : « N'oublie pas de prendre chez l'épicier les deux boîtes de pilchards ! »
Les pilchards étaient des sardines salées qui faisaient partie des menus des vendanges.
Pour le dessert, on cueillait sur place une belle grappe dorée.
Il y avait dans les vignes toujours 4 ou 5 sillons de raisin dit « de table » comme le chasselas.
On allait aussi dans le chemin cueillir les fruits d'un figuier, d'un noisetier, d'un amandier ou d'un pommier plantés par le propriétaire.
Le repas terminé, on avait droit à une petite sieste plus ou moins longue selon le travail effectué le matin. Au signal, on reprenait le baquet jusqu'à ce que le soleil disparaisse à l'horizon.
Ce n'est qu'à ce moment-là que l'on rentrait.
Le propriétaire repartait avec sa charrette et ses comportes.
Il vidait les comportes de rouge dans l'énorme cuve ventrue puis dans des barriques par un système de pompage.
Il plaçait le raisin blanc dans le pressoir.
On mettait en route la machine à presser : un grosse barre de bois tirait sur une crémaillère faisant descendre un plateau qui finissait d'écraser les raisins et d'ôter le jus.
Le blanc était mis directement dans un grand tonneau qui auparavant avait été nettoyé par le biais d'une trappe dans laquelle s'engouffraient les enfants – il ne fallait pas être très gros pour pénétrer dans le tonneau !
Les enfants grattaient le tartre contre les douves, tartre qu'on donnait au chiffonnier.
Avant, on introduisait dans le tonneau une bougie : si elle s'éteignait, c'est qu'il y avait encore des gaz à l'intérieur et il fallait attendre plusieurs jours.
Le soir, dans la cuisine, un bon repas attendait les vendangeurs : une bonne soupe aux choux avec des morceaux de confit puis du poulet sauté avec des frites, le tout à la graisse d'oie.
Le plus souvent, une énorme marmite de châtaignes cuites à l'eau et parfumées avec une branche de figuier clôturait le repas.
La journée n'était pas encore terminée, avec la lampe-tempête, il fallait revenir au chai "retailler " le marc, c'est-à-dire relever tout ce qui était sorti du pressoir.
On refaisait un tas et on recommençait à pousser la lourde barre.
Ce travail supplémentaire, quand on avançait dans la période des vendanges, était récompensé par un verre de bourret...
Du bourret qui existe toujours aujourd'hui mais qui n'a pas la même saveur que celui que l'on dégustait après la journée de travail...
Pierre DUPOUY