Parlons bien, parlons rugby !

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Entretien avec Ian Bullerwell : arbitre du France-Roumanie disputé à Auch

Un anglais qui clame son amour de la France au détriment de son pays natal, ce n’est pas commun. De plus, un anglais, arbitre international de rugby venu à Auch un certain 24 mai 1990 pour siffler la défaite de la France face à la Roumanie, ça ne court pas non plus les rues. Alors quand cet anglais ne fait qu’un et qu’il vous jure, la main sur le cœur, que si l’Angleterre affrontait la France en finale lors de la prochaine coupe du monde de rugby, il soutiendrait corps et âme sa patrie d’adoption, on finit par se demander s’il n’en fait pas un peu trop.

Cet homme intriguant s’appelle Ian Bullerwell, or quelques années après l’arbitrage de ce match, il est revenu dans le Gers pour s’installer à Saint-Puy. La franchise, la détermination et la passion sont les mêmes que celles qui l’habitaient sur les terrains et qui lui ont toujours permis de gagner le respect des joueurs des plus grandes nations de rugby. C’est sûr, Ian Bullerwell est un homme entier et quand il aime, que ce soit le rugby, la France, ou plus encore le Gers, ce n’est pas à moitié. Que vous soyez gascons ou anglo-saxons, tenez-le-vous pour dit : ce gentleman préférera désormais toujours lever son verre de Côtes de Gascogne à la victoire du Quinze de France plutôt que sa pinte de bière à celle du Quinze de la Rose ! Et si une personne devait oser ne pas avoir la foi occitane, il suffirait de la ramener à la raison en lui présentant cet homme venu d’ailleurs. En effet, en quelques mots, il sait comment nous plonger dans l’amicale atmosphère qui règne sur la commune de Saint-Puy, nous faire saliver en décrivant les marchés des alentours, nous envoûter par ses visions des paysages environnants, nous transmettre son infini respect pour les agriculteurs du sud-ouest galopant sur leurs géantes machines au milieu des champs, nous emmener sur les courbes sinueuses et silencieuses des routes vallonnées qu’il dévale ou avale sur son vélo de course. Il a tant d’autres choses encore à partager !

En définitive, rencontrer Ian Bullerwell, ce n’est pas tant faire la connaissance d’un original anglais pas comme les autres que découvrir un fier gersois comme vous autres.

Alors, si votre cœur palpite dès qu’on parle de ballon ovale, n’hésitez pas à lire ses propos recueillis lors de notre entretien sur ce fameux match France-Roumanie ainsi que sur sa vie dans le rugby :

Comment êtes-vous devenu arbitre international de rugby ?

Mon plan de carrière sportive en tant que joueur de rugby s’est brutalement interrompu lorsque j’avais 28 ans. J’ai alors eu une très vilaine blessure au dos qui a nécessité une délicate opération chirurgicale. Une fois celle-ci subie, le docteur est venu me voir et m’a expliqué que si je continuais à jouer au rugby, j’avais de grandes chances de finir paralytique. J’ai alors rapidement passé mes diplômes d’entraineur mais au bout de deux ans, je ne ressentais toujours pas de grande satisfaction dans ce rôle. Cela ne m’amusait pas beaucoup car je n’éprouvais pas de réel plaisir à rester sur le côté, derrière la ligne de délimitation du terrain. Un soir, au bar du club, l’un des arbitres expérimentés de la fédération qui était venu superviser l’arbitre de notre match s’est assis à côté de moi et m’a demandé : « Avez-vous déjà pensé à devenir arbitre ? ». La réponse était non mais la question m’a interloqué. Je lui ai promis d’y réfléchir si bien que six ans plus tard, je me suis retrouvé dans la liste très sélective des trois arbitres internationaux de mon pays. À cette époque, ces arbitres étaient sélectionnés au sein des pays suivants : France, Écosse, Pays de Galles, Irlande et Angleterre. On était alors en charge d’arbitrer chacun trois matchs durant le Tournoi des Cinq Nations (passé à six nations, une fois l’Italie incorporée à cette compétition en l’an 2000). J’ai été arbitre international entre 1988 et la fin de la Coupe du Monde de 1991. Évidemment, il y a eu plusieurs étapes et beaucoup de matchs de moindres niveaux arbitrés avant d’en arriver là…

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce match à Auch et sur le souvenir du Gers que cela a inscrit dans votre mémoire ?

Parmi les matchs que j’ai eu le plaisir et l’honneur d’arbitrer, il y a effectivement eu le fameux France-Roumanie à Auch. Cela s’est passé le 24 mai 1990 et Jacques Fouroux, que je connaissais bien, était alors le sélectionneur du XV de France. Je me rappelle que la France, contre toute attente, avait perdu ce match sous une pluie battante 6 à 12. Philippe Dintrans était le capitaine ce jour-là. Bref, comme Jacques Fouroux était natif d’Auch et que ce match était tombé durant le week-end de l’Ascension, j’avais décidé de rester dans un hôtel au centre de la ville afin d’en profiter pour découvrir la région. À l’époque, les joueurs roumains étaient sous bonne garde à cause des événements politiques en Roumanie des suites de l’exécution de Nicolae Ceausescu survenue le 25 décembre 1989. Ils n’ont donc pas pu vraiment fêter leur victoire publiquement. Par contre, les joueurs français étaient venus nombreux à la réception d’après-match. Nous avons bu quelques bières ensemble. Je devrais plutôt dire que nous avons bu quelques bières et beaucoup d’excellents vins locaux et ce, jusqu’au petit matin. C’est donc après une courte nuit que le représentant local de la commission centrale des arbitres m’a emmené en voiture à la découverte des environs. Je me rappelle, entre autres choses, que nous étions passés par Condom et Valence-sur-Baïse avant de retourner à Auch. J’ai été immédiatement attiré par cette région. Oui, j’ai été frappé et enchanté par les paysages, les vallons, les couleurs qu’offre le Gers !

Avant votre venue à Auch, vous n’étiez pas déjà enclin à venir habiter en France ?

Avant de venir arbitrer ce match à Auch, je n’avais jamais vraiment imaginé m’installer en France, même si je suis tombé amoureux de votre pays dès mes vingt ans. Je venais chaque été mais en simple vacancier. Mais après cette découverte du Gers, je suis rentré en Angleterre avec un enthousiasme tout particulier pour cette région. Il faut dire que la réception après le match avait été vraiment fantastique. Je me rappelle encore de la nourriture, des vins…   Et les joueurs du Quinze de France présents ce jour-là : Serge Blanco, Jean Condom, Pierre Hontas, Philippe Dintrans… !

Je vois que vous vous rappelez de tous les joueurs que vous avez arbitrés…

Oui, à peu près tous, oui. Par exemple, nous sommes allés à Biarritz avec ma femme Suzanne il y a quelques années. Nous étions au bar d’un hôtel appelé Le Caritz dont Pascal Ondarts (41 sélections avec l’équipe de France en tant que pilier) était le propriétaire. Il était justement au bar lorsque nous sommes entrés. On s’est alors dévisagés avant d’engager la conversation. Je lui ai demandé : « Est-ce que vous me reconnaissez ? » Il m’a répondu : « Non, mais votre tête m’est pourtant familière. » Alors j’ai dit : « Si je vous dis France-Roumanie ? » Et là, il a répondu : « Vous ne semblez pas roumain… Vous deviez donc être l’arbitre du match, c’est ça ? Vous êtes irlandais ? » J’ai précisé que c’était bien ça, à l’exception du fait que j’étais anglais, non pas irlandais. Ensuite, on a bu de nombreux verres ensemble et eu une excellente conversation. Donc oui, je me rappelle toujours aujourd’hui de la plupart des joueurs. D’ailleurs, j’ai plusieurs histoires comme celle-ci survenues dans le Sud-Ouest, des rencontres dans des hôtels ou des bars basques tenus par d’anciens joueurs français. Ça se passe toujours très bien entre nous quand on est au bar. (Rires) Le monde du rugby est une grande fraternité.

Equipe de France France Roumanie auch 1990 (capture écran)

 

Au rugby, les règles sont nombreuses et parfois compliquées si bien que ni les joueurs, ni les supporters ne les connaissent toutes avec exactitude. En tant qu’arbitre, pensiez-vous que vous étiez un peu « l’homme savant » sur le terrain ?

En fait, je pense avoir bénéficié de ma propre expérience en tant que joueur d’un certain niveau pour pouvoir arbitrer correctement. Au-delà des règles, cela m’a notamment permis de toujours bien sentir le jeu et de savoir quand il fallait laisser jouer, quand il fallait intervenir. Ce n’est pas quelque chose que quelqu’un peut vous apprendre, c’est plutôt de l’ordre du sixième sens et du feeling. Il faut toujours avoir à l’esprit qu’une fois que l’on a sifflé, l’action s’arrête. Au contraire, si on attend un peu pour voir ce qu’il advient dans les secondes qui suivent la faute, on peut laisser un avantage se mener à son terme par exemple. Ce qu’attendent avant tout les joueurs de la part de l’arbitre, c’est que celui-ci contrôle le match avec une grande cohérence. Au-delà des règles, il faut donc qu’ils sentent clairement que vous contrôlez le match et que toutes vos décisions arbitrales soient cohérentes en faisant preuve de bon sens.

Pour finir, pouvez-vous partager la devise qui vous anime afin d’améliorer la vie au quotidien ?

Ma devise est simple : Il est bon d’être bon. Avant, notamment lorsque j’étais jeune, j’étais très impatient et facilement irritable. Je réagissais vite et de façon excessive. Mais au cours de ma vie, comme tout le monde sans doute, j’ai réalisé que la santé était importante ainsi que de prendre en considération les sentiments des autres personnes. C’est pourquoi, au cours de ma vie, j’ai mis en place plusieurs œuvres de charité ou récolté de l’argent pour de bonnes œuvres ou pour aider de grands sportifs en qui je croyais mais qui n’avaient pas l’argent nécessaire pour arriver tout en haut de leurs disciplines (ex : Greg Rutherford : champion olympique 2012, champion d’Europe 2014, champion du monde 2015 du saut en longueur). En fait mes deux parents m’ont élevé avec les valeurs gravitant autour de l’empathie, la solidarité, l’entraide, l’écoute et l’encouragement. Certes, j’ai mis un peu de temps à les intégrer mais je pense y être parvenu et n’en tirer que des bénéfices. Arrêtez-moi si je me trompe mais il me semble que les gersois sont eux aussi élevés avec le même genre de valeurs. Au fond, c’est sans doute la raison principale qui explique pourquoi je me sens si bien ici.

Equipe de Roumanie

 

Entretien traduit et photo par [email protected]

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