"Alugo, alugo !"
Dans la maison récemment équipée de l'électricité, c’était ce que criait celui qui se trouvait dans l’obscurité.
Il appelait ainsi celui qui se trouvait près de l’interrupteur.... car il y en avait un seul dans la pièce !
Remontons un peu l'histoire de l'éclairage dans nos campagnes...
J'ai connu différents modes d'éclairage.
Il y eut l'époque des lampes à pétrole.
Le pétrole était le carburant pour s’éclairer. On l'achetait chez M. Foucaud qui tenait une station service.
On l’achetait par bidons de 5 litres dotés d’un robinet qui permettait de verser le pétrole dans les récipients sans trop en mettre à côté !
Dans une maison, on trouvait plusieurs lampes à pétrole.
Le lampion était une petite lampe qui ne nécessitait pas beaucoup de pétrole. Une petite mèche sortait d’un bec.
Ma grand-mère le posait sur une étagère au coin du feu, le lampion éclairait bien timidement ses mains qui jonglaient avec de multiples aiguilles pour tricoter des chaussettes.
Elle restait là jusqu’à ce que le lampion s’éteigne.
Elle rangeait alors ses pelotes et ses aiguilles dans un sac en jute.
Elle prenait la pierre qu’elle avait fait chauffer près du feu, allumait une bougie et partait dans l’escalier.
La bougie était aussi un élément d’éclairage.
Il fallait qu’elle dure le plus longtemps possible, on la soufflait et on la rallumait pour ne pas gaspiller la cire.
Il y avait chez moi un gros cierge que ma grand-mère sortait les soirs d’orage et plaçait sur la table. Il éclairait mais était aussi supposé chasser l'orage...
C’était une croyance qui faisait rire mon grand-père.
L’autre lampe à pétrole était une grosse lampe dotée d’un gros réservoir et d’un abat-jour.
Elle était installée pour éclairer toute la famille lors du repas.
On pouvait l’orienter, par exemple pour éclairer mes cahiers quand je faisais les devoirs ou quand mon grand-père et Petit Ton jouaient aux dames.
Elle consommait beaucoup de pétrole et ma grand-mère ne manquait pas de souligner que cette semaine elle avait dû la remplir deux fois !
La lumière de cette lampe était toutefois chiche.
Dans les fermes, une lampe était importante, c’était la lampe-tempête.
C’était une lampe avec un réservoir de pétrole et une mèche plate qui sortait d’un bec.
La lampe était grillagée pour la protéger des chocs.
Elle servait à l’étable le matin de bonne heure quand le jour n'était pas encore levé et le soir quand on allait vérifier que tout allait bien.
Elle servait aussi quand on allait aux escargots avec mon grand-père, je tenais la lampe et lui ramassait les escargots qu’il repérait de très loin.
On l'utilisait encore quand on allait "a rata", c’est-à-dire quand on allait attraper les moineaux dans des filets.
On mettait la lampe dans un coin pour ne pas les effrayer.
On s’en servait aussi au moment des vendanges quand on pressait le raisin.
Quelques temps après, arriva le carbure, cette pierre qu’on achetait au kilo et que l’on mettait dans une boîte étanche car il se délitait facilement.
Le soir, on prenait deux ou trois pierres que l’on mettait dans la lampe à acétylène.
Dans le bac du haut, on mettait de l’eau, on fermait les deux éléments pour qu’il n’y ait pas de fuite de gaz puis on lâchait un peu d’eau qui tombait sur le carbure et le gaz sortait, on allumait à ce moment-là le bec, un bec qu'il fallait changer souvent.
On posait la lampe à carbure sur la table. L'éclairage qu'elle diffusait était beaucoup plus important que celui de la lampe à pétrole.
Je me souviens aussi d’un charron qui venait à la journée et ne finissait qu’à la tombée du jour.
Il préparait alors sa lampe à carbure qu’il accrochait à la fourche de son vélo pour rentrer chez lui.
Après le carbure, vint le gaz butane : un tuyau sortait d’une bouteille de gaz et allait à un bec qui donnait un éclairage assez intense.
Une bouteille de gaz durait longtemps.
Après la guerre arriva enfin l’électricité.
Nous n’avions pas eu l’électricité avant car les paysans refusaient que l’on plante des piquets dans leurs champs.
Ce fut une révolution !
On avait mobilisé le spécialiste du secteur pour installer des lampes dans toutes les pièces et un interrupteur.
Dans la chambre, on allumait avec un fil suspendu au-dessus du lit ce qui permettait d’éteindre et d'allumer sans quitter la chaleur du lit !.
Le premier soir où l’on eut l'électricité, on alluma toutes les pièces, ce fut un moment extraordinaire.
L’arrivée de l’électricité entraîna un premier achat, un poste de radio car nous n’avions comme source d’information sonore que le poste à galène qui ne fonctionnait pas très bien.
On n’économisait pas l’électricité et la radio fonctionnait toute la journée.
Nous écoutions - entre autres émissions - "le bal champêtre" de Jean Bentaberry sur les ondes de radio Toulouse!
On acheta ensuite une cuisinière électrique, ce qui était un luxe comme le disait ma grand-mère qui pensait qu’on pouvait continuer à cuisiner au bois.
L’électricité fut une révolution non seulement par le confort d'éclairage qu'elle apporta mais aussi parce qu'elle permit l'arrivée de la radio et avec elle une source d'information extraordinaire.
Une petite anecdote pour terminer :
Ma grand-mère partait donc avec sa bougie se coucher, elle laissait les allumettes dans le bougeoir.
Nous avions une pie, Margot, qu’on avait apprivoisée mais qui comme toute pie qui se respecte, était voleuse.
Elle volait les allumettes et elle avait trouvé un trou dans l’édredon dans lequel elle glissait les allumettes.
Ma grand-mère la surprit un jour en train de se constituer une réserve et comprit alors pourquoi ses allumettes disparaissaient !
Pierre DUPOUY