Quand on ne se souhaitait pas la bonne année par voie numérique...

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De nos jours les moyens de communication permettent de souhaiter la bonne année le 1er janvier à minuit pile sans plume ni encrier !

Il fut un temps où la carte de voeux était le seul moyen de contacter la famille, ce n’était d’ailleurs souvent qu’à cette époque-là qu’on lui écrivait un petit mot !

Ce petit mot, je peux vous en parler car dès que je sus écrire en pleins et déliés avec une plume gauloise, j’ai subi la corvée des cartes de Nouvel An !

D’abord, il fallait aller au village acheter chez l’épicier les fameuses cartes postales.

On poussait la porte de l’épicerie et on criait : « Gaston ! C’est pour les cartes du Nouvel An ! »

On attendait alors un grand « écharouille » (fracas ), c’était Gaston que l’on tirait de son travail de mécanicien qui jetait à terre un vélo de colère !

Gaston était un homme extraordinaire, il réparait les vélos – il avait ce matin-là un problème avec un dérailleur -, il réparait aussi les marmites en terre qui étaient fendues et qui grâce à lui reprenaient du service, il remettait aussi en état les casseroles en étain et réalisait tout un tas d’autres petits travaux…

Les cartes postales, ce n’était pas de son ressort mais il remplaçait l’épicière qui aidait à la boulangerie.

Il essuyait des mains pleines de cambouis à sa tenue de travail et il attrapait sur une étagère au-dessus des boîtes de Phoscao ( poudre chocolatée pour le petit-déjeuner) un grand classeur qu’il ouvrait sur la grande table de vente.

Avant d’ouvrir, il nous mettait en garde : « Surtout, on ne touche pas, on touche avec les yeux !

Pendant que je tourne les pages, vous observez les images et vous essayez de les garder en mémoire car il n’y aura qu’un deuxième passage! »

Commençait alors un défilé de sapins, de champs enneigés, de Pères Noël, de luges, quelques photos de skieurs, de chiens tirant un traîneau…

A la fin, se trouvaient les plus belles images, celles représentant de la neige avec du verre pilé, ce qui donnait aux cartes un vif éclat.

Mais ces cartes-là, nous ne les achetions pas car elles coûtaient le double des autres.

Nous avions reçu des consignes : « Vous n’achetez que des cartes de vœux traditionnelles ! »

Gaston reprenait son classeur, nous désignions celles que nous avions choisies et il décrochait avec l’ongle de son pouce les cartes enveloppées dans du papier de soie.

Nous réglions et avant que nous ne quittions la boutique, il nous disait : « Dites bien à vos parents que je vous ai offert les enveloppes. »

Il y avait toujours un garnement pour lui dire : « Et les timbres, vous ne les donnez pas ? », ce qui avait pour effet de le mettre dans une colère noire et il retournait à sa mécanique en bougonnant.

On profitait de ce passage au village pour souhaiter la bonne année aux petites vieilles du village, au boulanger, au prêtre et à l’instituteur, en formulant l’espoir d’avoir moins de retenues à l’école !

Nous rentrions avec les cartes postales.

Avait alors lieu la séance d’écriture des cartes.

Ma grand-mère déployait sur la toile cirée de la table du papier journal, elle ouvrait le flacon d'encre Waterman, sortait les porte-plumes dont elle avait changé la plume Sergent Major contre une plume qui exécutait mieux les pleins et les déliés et enfin un vieux cahier sur lequel était inscrite la liste des récipiendaires des cartes.

Elle avait au préalable épluché la liste et barré les noms des personnes décédées et de celles auxquelles on ne parlait plus en raison de quelques fâcheries.

Il nous fallait alors écrire une formule toute faite qu’elle avait préparée : « A l’occasion de la nouvelle année, nous vous présentons nos vœux les plus sincères de bonheur et de santé. » Il fallait terminer par « bons baisers ».

Cette formule-là, nous ne l’utilisions que pour les destinataires « lambda », des oncles, des tantes, des cousins que nous ne connaissions parfois même pas.

D’autres que nous connaissions bien nous glissaient parfois dans l’enveloppe de retour de vœux un petit billet.

Ceux-là, il fallait s’intéresser à eux !

C’est pourquoi nous écrivions : « Chère tatie, cher tonton, nous avons appris avec plaisir que vous aviez pu acheter le grand bois situé devant chez vous. Quelle chance ! Vous allez pouvoir vous chauffer pendant des années.

Nous avons appris aussi que votre élevage de canards n’avait pas été touché par la maladie.

Nous vous adressons à tous vos meilleurs vœux, santé et prospérité. Bons baisers »

Il y avait aussi le cousin facteur parti en région parisienne pour un séjour imposé :

« Cher Jacques, nous espérons que les pavés parisiens sont moins usés que ceux de nos chemins.

Tu es dans la grande ville mais tu préfèrerais certainement cheminer dans les collines de Vic-Fezensac.

Nous savons que tu seras bientôt de retour. Meilleurs vœux pour cette nouvelle année. »

Il y avait aussi un papi, lointain parent nommé Lucien. C’était un chasseur à qui nous souhaitions de bonnes journées de chasse dans sa palombière.

Cela nous valait un petit billet dans l’enveloppe de retour de vœux !

On donnait ce paquet de lettres au facteur qui les jetait rageusement dans son sac de cuir.

Pourquoi rageusement ? Parce que quand il arrivait au bureau de poste de Riguepeu, il devait aider la postière à faire le tri de lettres, ce qui retardait son départ à  la chasse à la palombe !

Ces cartes de Nouvel An étaient un lien avec des parents, des amis que l’on ne voyait pas souvent.

C’était une façon de garder le contact.

Aujourd’hui, les mails, les appels téléphoniques, les textos ne sont que des mots qui s’envolent et ne demeurent pas comme ceux que nous écrivions soigneusement sur les cartes et qui étaient chargés de chaleur humaine....

Alors, pourquoi ne pas remettre à l'honneur les traditionnelles cartes de voeux? Si si, on en trouve toujours... Et même si vous ne les écrivez pas à la plume, gageons qu'elles surprendront et raviront vos destinataires !

Pierre DUPOUY

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