A Lectoure et alentours, l'été sera photographique

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Après une année 2020 un peu triste, voici une édition aussi enrichissante que baladeuse dans plusieurs lieux patrimoniaux de Lectoure et à deux pas

S’il est un lieu emblématique de la photographie plasticienne c’est évidemment le Centre d’Art et de Photographie de Lectoure. Véritable phare culturel de notre région. Il nous éclaire, nous inspire ou nous fait cheminer intérieurement et extérieurement. L’été photographique constitue un temps fort de la programmation du Centre d’art et de photographie de Lectoure. Labellisé « centre d’art contemporain d’intérêt national » en septembre 2020, le CAPL œuvre toute l’année dans son lieu à Lectoure en programmant expositions, résidences de création, projets d’actions culturelles et de médiation dans un esprit de découverte et d’expérimentation, de partage et de convivialité, avec la conviction profonde que l’art stimule l’esprit critique, la réflexion et constitue un puissant moteur d’interrogation et d’interpellation de la société et du monde.

Le festival convie les visiteurs à une déambulation entre plusieurs lieux patrimoniaux de Lectoure, invitant à une découverte de la ville tout en lenteur. Depuis l’été 2020, des projets artistiques se déploient aussi à l’air libre, dans l’espace public. Cette année, une exposition est aussi programmée dans le cloître de la célèbre collégiale de La Romieu. Une offre culturelle riche complète le programme d’expositions. Ces rendez-vous ponctuels activent les liens entre le CAPL, ses visiteurs d’ici et d’ailleurs et Lectoure, sa ville de 3 700 habitants en zone rurale. Soumise à de profondes mutations, la ruralité est devenue, avec la montée de la sensibilité environnementale, non seulement un environnement à défendre mais surtout un milieu de vie à protéger.

Réfléchir à la relation à notre lieu, revisiter la notion ambivalente de « nature » prend toute sa signification dans ce contexte. L’idée d’un monde fini, doté de ressources épuisables, est devenue une réalité incontournable. Cet enjeu à la fois environnemental et sociétal touche nos modes de vie, de penser et d’être au monde. Il nous pousse à mettre en place de nouveaux modèles et à reconsidérer la manière dont nous habitons le monde. Il introduit une compréhension enrichie du vivant, une forme d’association, d’alliance nous amenant à repenser radicalement notre rapport à la nature, entre sacralité et exploitation.

L’édition 2021 du festival prolonge ces réflexions, interroge la notion polysémique de nature qui, depuis des siècles, contribue et conditionne fortement notre rapport au monde. Partant de la relation qu’entretiennent les artistes aux territoires inconnus ou familiers, les lieux où ils vivent, les lieux qu’ils arpentent le temps d’un projet, cette édition propose de nouvelles pistes de réflexion qui disent beaucoup sur leur relation au vivant, au monde végétal, au monde animal, aux éléments, aux forces physiques, invisibles, intangibles.

Dans certaines langues, sur certains continents, chez les peuples dits « premiers », le mot nature n’existe pas. Il est incarné par un milieu partagé entre les humains et toutes les autres espèces. C’est un tissu d’êtres vivants – esprits, humains, animaux et végétaux. De notre point de vue occidental, la nature représente plutôt cette part du monde, extérieure à l’espace cultivé, indocile, non domestiquée que nous n’avons pas créée. Ce mot convoque le vivant que l’on a pris la peine d’étudier, de classifier pour mieux cerner et étouffer le sauvage.

À ce moment de l’histoire où les espaces dits « naturels » sont en péril, de plus en plus dégradés (pollutions, perturbations climatiques), où l’on observe une disparition accélérée de la faune, de la flore et que nos actions semblent parfois impuissantes, certaines formes de réappropriation des valeurs du sauvage sont très présentes dans le travail et la démarche de certains artistes, avec une attention, une manière d’être « branché » sur le vivant.

En cette période sombre et lourde, il semble indispensable et urgent pour bon nombre d’entre nous de faire place aux valeurs du sauvage, force vitale, espace de liberté, outil pour se reconnecter à son être profond.

À travers leurs œuvres, leurs démarches, leurs engagements, la dimension parfois collective des projets menés, ces artistes réinventent une présence active, singulière et personnelle au monde. Dans une forme de réappropriation de l’instinctuel, des valeurs du sauvage, les artistes conviés pour cette édition font un pas de côté, prennent des chemins de traverse générant un rapport sidéré et mouvant au vivant.

Cela se traduit parfois par une fascination pour les grands espaces, des territoires isolés et reculés qui alimentent la vision d’une nature perçue comme immaculée et pratiquée comme initiatique. On décèle aussi une attention à la notion de Genius Loci, l’esprit du lieu, son caractère indiciel, son atmosphère, sa spécificité géographique, géologique, historique, ses couches d’ancestralité. Les territoires, les lieux, espaces d’expérimentation, espaces traversés, font ressurgir la dimension historique, mémorielle et sensorielle inhérente à ces vastes territoires.

On constate aussi chez ces artistes un attrait puissant pour l’expérience physique du monde, à travers l’usage de la marche. La marche telle une médication pour préserver l’homme moderne des maux de nos sociétés occidentales contemporaines. Une nouvelle façon de se tenir debout, interstice de liberté dans un monde privé d’imprévu. La marche, propice à l’introspection, à la contemplation et qui modifie le rapport au temps, à l’espace mais aussi au travail artistique. L’approche in situ et la plongée au long cours dans les territoires deviennent parfois un mode opératoire pour aller au cœur de cette nature qui retient en elle les mémoires invisibles, les traces d’un passé réel ou mythique et ouvre les accès dérobés sur l’histoire et la géographie d’un territoire. On retrouve aussi la question des mythes, des rituels, du rapport archaïque aux objets, aux lieux, aux odeurs, comme lien privilégié entre espaces physiques et métaphysiques. Certains artistes font appel dans leur travail à cette part archaïque et vitale, soutien de notre vie intérieure, de notre part animale, instinctive et libre

Ainsi au Centre lui-même, le visiteur découvrira  « Azimuth », la marche photographique du Collectif Tendance Floue et ses invités...

Avec Bertrand Meunier, Grégoire Eloy, Gilles Coulon, Meyer, Antoine Bruy, Marion Poussier, Denis Bourges, Pascal Aimar, Alain Willaume, Patrick Tourneboeuf, Flore-Aël Surun, Mat Jacob, Kourtney Roy, Pascal Dolémieux, Michel Bousquet, Julien Magre, Stéphane Lavoué, Léa Habourdin, Frédéric Stucin, Marine Lanier, Clémentine Schneidermann, Mouna Saboni, Guillaume Chauvin, Yann Merlin, Gabrielle Duplantier, Olivier Culmann, Laure Flammarion et Nour Sabbagh, Bertrand Desprez, Julien Mignot, Thierry Ardouin et Yohanne Lamoulère

Aller sans but est le trait commun de l’aventure. Si le chemin est accessoire et la destination sans importance, restituer l’Azimut est la règle acceptée par tous. Un carnet Moleskine recueillant les notes est transmis de la main à la main comme un bâton de relais et constitue un fil rouge entre les photographes. Être en marche ici c’est savoir s’arrêter pour écrire, commenter, exprimer ses angoisses, partager ses rencontres et parfois consigner ses rêves. Le chemin se raconte en photographies et en mots. Les réseaux sociaux sont les témoins quotidiens de leur avancée : chaque jour une photographie est publiée sur un fil Instagram et commentée par son auteur. Des cahiers auto-publiés, quasi en temps réel, participent au partage et ancrent le projet dans sa temporalité.

Un pas plus loin, à l’école Bladé, une double exposition :

Au rez-de-chaussée, Christophe Goussard et Charles-Frédérick Ouellet présentent Entre fleuve et rivière (2019), projet photographique mené en résidence au Pays Basque et dans les provinces du Québec et du Labrador. Un dialogue entre deux photographes, deux écritures photographiques, une immersion dans les paysages, une manière de se retrouver soi, d’être au monde dans une marche solitaire. Un va-et-vient entre deux territoires, une quête des traces immatérielles, des preuves fictives ou réelles, des forces originelles. Les deux photographes ont chacun découvert le territoire de l’autre. Il s’agit d’une envie d’explorer une histoire commune à ces deux régions, celle des pêcheurs de baleine venus puiser les ressources du golfe du Saint-Laurent. Il est question de chasse à la baleine, de la traite des fourrures mais aussi de l’emprise que les fleuves Adour et Saint-Laurent exercent sur les habitants qui peuplent leurs berges. Dans l’édition, les poèmes en prose et en langue basque d’Itxaro Borda invitent à un troisième regard sur ces images.

Au premier étage, c’est François Méchain qui nous offre son « aventure canadienne », un héritage photographique et topologique de plusieurs œuvres réalisées au Canada entre 1990 et 2007 dans le cadre de commandes. Il est question d’in situ et d’une relation quasi symbiotique entre l’in situ et sa reproduction photographique, deux moments d’une même œuvre, photo-sculpture. On note un grand souci de composition dans ces in situ constitués de déchets de foresterie et soumis inévitablement à cette loi d’entropie qui condamne énergie et matière à l’usure et à la dégradation. Dans ces grands espaces canadiens, c’est le corps de l’artiste qui regarde et prend la mesure du monde. La nature n’est plus un modèle mais un moyen, un outil, un matériau, un signifiant. François Méchain, tel Sisyphe, met en scène la nature face à elle-même, nous forçant à capter toute la mesure de ce que nous avons sous les yeux. On retrouve aussi dans l’exposition les fac-similés des carnets de croquis ainsi qu’un film documentaire de Vladimir Vatsev réalisé quelques semaines avant le décès de François Méchain en 2019. On retrouve aussi dans l’exposition les fac-similés des carnets de croquis ainsi qu’un film documentaire de Vladimir Vatsev réalisé quelques semaines avant le décès de François Méchain en 2019.

A la Cerisaie, c’est Mythos, la maison sans nom de Nia Diedla

Nía Diedla, nourrie de l’esprit du lieu, continue sa course sur le fil d’une autobiographie réinventée. Avec l’installation Mythos / La maison sans nom (2021), elle s’interroge sur la maison, la maison mythique, celle de son enfance. Qu’est-ce que la maison ? Est-ce que ce sont nos racines ? Est-ce que c’est l’arbre que l’on porte en soi ? À partir de constellations d’images, de mots, d’objets, films, bandes sonores, elle propose l’histoire d’une maison voyageuse, d’une maison nomade habitée par une femme coupée en deux par son exil pourtant volontaire. Elle dessine une géographie en mue permanente, un lieu entrouvert, suspendu dans le temps, un lieu chargé d’une mythologie propre, celle de l’enfance et de son souvenir réel ou inventé, un lieu où le passé et le présent habitent une même maison. Pour cette conteuse-monteuse, un peu chamane, un peu sorcière, adepte de poésie, de métaphores, d’analogies et de symboles, il est question d’exil, de racine, des cycles de vie et d’une plongée dans ses territoires intimes.

Ailleurs, à la Halle aux Grains, on partagera notre regard entre plusieurs travaux de plusieurs artistes: Julie C. Fortier, Marine Lanier, Ariane Michel,Thomas Cartron, Laurent Martin et Sylvain Wavrant

Julie C. Fortier d’abord avec son double travail : Et les fauves ont surgi de la montagne et La rivière s’est brisée
À la halle aux grains, on est aspiré par un dispositif scénographique complexe, parfois ouvert, parfois immersif. à l’entrée du lieu, une expérience polysensorielle se met en place avec la réactivation d’une large installation olfactive, Et les fauves ont surgi de la montagne (2018) de Julie C. Fortier complétée par une seconde installation, au sol, La rivière s’est brisée (2018). Un long collier brisé, dont les perles sont éparpillées au sol et qui dessine une sorte de rivière sinueuse serpentant entre les manteaux. La québécoise Julie C. Fortier explore des territoires odorants peu traversés. Une déambulation dans laquelle la dimension « tactile » fait écho à la dimension olfactive. 

Les Contrebandiers et Le Soleil des loups de Marine Lanier. Au loin apparaissent et cohabitent sur deux grands murs plusieurs suites photographiques de Marine Lanier. Avec Le Soleil des loups (2018), un corpus d’images baigne dans une lumière d’éclipse, sans début et sans fin. Un rapport à la robinsonnade se dessine et dévoile la vie sauvage de deux enfants, en transition et transformation vers l’adolescence sur le relief inversé d’un plateau volcanique devenu terrain de jeu, espace initiatique et lieu de toutes les transformations et expériences. Se mêlent au Soleil des loups quelques images d’une série plus ancienne, Construire un feu (2010). Les Contrebandiers (2020 – 2021) évoque la figure mythique, controversée, marginale du contrebandier, emprunte de légendes et de mythes

Rêve de cheval de  Ariane Michel. Pour la plasticienne Ariane Michel, la notion de « nature » du point de vue occidental aurait laissé l’être humain au-dehors. Son travail artistique s’apparente à celui d’une chamane dans la lignée des mouvements éco-féministes initiés dans les années 1970, comme Starhawk. Dans ses films, mettant en scène des animaux mais aussi des pierres, des rochers, des végétaux, voire même la force des éléments (vent, pluie…), il s’agit de retrouver les fondements de nos perceptions, de notre imaginaire et de proposer aux visiteurs une expérience de déterritorialisation de la perception. 

Anima Obscura de Thomas Cartron, Laurent Martin et Sylvain Wavrant. Thomas Cartron et Sylvain Wavrant, tous deux plasticiens et directeurs artistiques de l’association rouennaise Nos Années Sauvages, réactivent les œuvres réalisées pendant la résidence de création Anima Obscura à l’automne 2020 au Centre d’art et de photographie de Lectoure. Le plasticien Laurent Martin, l’un des membres actifs de l’association, les accompagne et imagine une scénographie labyrinthique et rocailleuse pour le projet qui prend comme point de départ le mythe de Diane et Actéon. Animaux naturalisés, images argentiques tirées sur peaux d’animaux, fresque dessinée au fusain, installation filmique et sonore… Un projet qui interroge ce qu’est devenu notre rapport à un monde sauvage dont nous cherchons sans cesse à nous distancier.

Poursuivons avec le travail Tropiques de Julien Coquetin aux allées Montmorency à Lectoure et dans le cloître de la collégiale de La Romieu…
Le projet Tropiques (2020) du photographe Julien Coquentin, un livre composé de photographies et de textes, se déploie ici au format exposition que l’on peut découvrir décliné en deux chapitres, dans l’espace public, aux allées Montmorency à Lectoure et dans le cloître de la collégiale de La Romieu. Julien Coquentin transforme souvent les territoires lointains, les « ailleurs » en territoire intime. Ici, il appréhende de manière sensitive le territoire de La Réunion, ce milieu tropical où il a vécu en famille pendant plusieurs années. 

En marge de toutes ces expositions, le CAPL nous propose toute une série d’événements, de rencontres, une façon de prolonger le regard par d'autres enrichissements. Il y en a pour tout le monde, pour les plus philosophes avec le philosophe Bernard Benattar ; pour ceux qui veulent approfondir leur regard sur Lectoure ou La Romieu avec des visites commentées et décalées des expositions et des lieux de la ville . mais aussi des stages photos, des ateliers pour les enfants, des visites contées…..

Le premier rendez-vous est samedi 10 juillet pour l'ouverture officielle. Des temps forts toute la journéer et aux quatre coins de la ville:

  •  Enregistrement live de Portfolio.  Samedi 10 juillet de 11h à 12h à la halle aux grains. Philippe Guionie, directeur de la Résidence 1+2, présente en direct l’émission Portfolio, consacrée au deuxième volet du projet Les Contrebandiers de Marine Lanier, qu’elle mènera en 2021 et 2022 en Occitanie. En présence de l’artiste et des partenaires.
  • Conférence de Nicole Vitré. Samedi 10 juillet de 14h30 à 15h30 dans le préau de l’école Bladé. Nicole Vitré, professeure agrégée d’arts plastiques, propose une conférence sur l’œuvre de François Méchain, et plus spécifiquement sur les travaux de l’exposition Une aventure canadienne.
  • Rencontre avec Émilie Flory. Samedi 10 juillet de 16h à 17h dans le préau de l’école Bladé. Émilie Flory, commissaire d’exposition associée au projet Entre fleuve et rivière, échange avec Christophe Goussard, photographe.
  • Vernissage à Lectoure. Samedi 10 juillet à partir de 20h sur la promenade du Bastion. Vernissage en présence des artistes. En partenariat avec le Bastion, café, restaurant et librairie à Lectoure et avec le Cooking Truck.

Mais ce n'est pas tout! Durant tout l'été, les moments et les prétextes de rencontres se suivent et se succèdent. L’agenda complet est ici

Pas de doute, l’été photographique 2021 est à ne pas manquer !

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