Feuilleton par Claire Adélaïde Montiel
Peu de mathématiciens peuvent se vanter d’être aussi connus dans le monde entier que Pierre Fermat. Dans la région, nous connaissons sa maison natale à Beaumont-de-Lomagne. Le lycée de Toulouse, des rues et plusieurs établissements solaires portent son nom. Il doit sa popularité à sa célèbre conjecture : « L’équation Xn +Yn=Zn n’a pas de solution dans l’ensemble des nombres entiers naturels non nuls si n'est un entier égal ou supérieur à 3 ». Improprement désignée par ses admirateurs comme « le dernier théorème » ou encore « le grand théorème de Fermat », elle a passionné nombre de mathématiciens pendant 356 ans et a valu à son auteur un statut de vedette dans les journaux du monde entier avant d’être enfin démontrée par l’anglais Andrew Wiles en 1994 et d’accéder ainsi, légitimement cette fois, au statut de théorème.
Du fait du battage médiatique dont il a fait l’objet, chacun croit connaître Pierre Fermat ou de Fermat comme on voudra le nommer. Aussi est-on surpris de découvrir à quel point il s’est comporté, toute sa vie durant, comme un homme énigmatique, voire même secret.
Nous allons le percer à jour pour vous, amis lecteurs. Menons l’enquête.
L'indémontrable théorème
Été 1993. Le 23 juin, suite à la série de trois conférences données à Cambridge par le mathématicien anglais, Andrew Wiles, les journaux du monde entier s’emballent. La conjecture de Fermat improprement nommée Le dernier théorème car elle est la dernière énigme laissée par le mathématicien à n’avoir été ni prouvée, ni invalidée par le monde mathématique, quitte la sphère des publications scientifiques pour faire la une de la presse destinée au grand public. Des dizaines de journalistes de toutes les nationalités saluent cette extraordinaire nouvelle que personne n’attendait plus : après plus de 350 ans, la célèbre conjecture jusque-là réputée indémontrable devient enfin un théorème.
L’évènement fait les titres de la presse internationale. Désormais Pierre Fermat n’est plus la seule vedette de ce feuilleton tricentenaire. Un mathématicien britannique de 40 ans spécialiste de la théorie des nombres, professeur à l’université de Princeton, partage sa célébrité. Le grand jeune homme réservé parle en termes touchants de sa passion pour cette énigme découverte dans l’enfance dont il a fini par venir à bout après de nombreuses années de recherche obstinée. Puis, coup de tonnerre dans ce ciel serein, on annonce l’invalidation de sa démonstration. Quand la science se trompe, titre, en janvier 1994, le magazine Ça m’intéresse se faisant l’écho du désenchantement qui a gagné le monde médiatique.
Il faudra attendre octobre 1994 pour qu’après de longs mois, Andrew Wiles, avec le concours de son étudiant, le mathématicien Richard Taylor, valide enfin sa démonstration. Désormais, on ne parlera plus de conjecture de Fermat mais de théorème de Fermat-Wiles.
Qu’est-ce qu’une conjecture ?
Une conjecture, c est "un énoncé mathématique dont [les chercheurs] ne savent s’il est vrai ou faux; ils sont amenés à en proposer régulièrement dans leurs recherches lorsqu’ils sont intimement convaincus de la véracité de l’énoncé… Et une conjecture reste une conjecture tant qu’on ne l’a pas démontrée" (1)
Les mathématiciens connaissent bien le terme. " Énoncer publiquement une conjecture est un acte majeur par lequel un mathématicien s’engage et décide de mettre une question sur le devant de la scène pour encourager ses collègues à y réfléchir". (2)
Maudite marge !
Remarquons cependant que la fameuse conjecture, terme qui n’était pas en usage au temps de Fermat, n’a pas fait partie des défis que celui-ci lançait en direction des savants de l’Europe auxquels ils ne se faisait pas faute, - c’était une pratique courante à son époque - de soumettre des problèmes épineux. C’est bien d’un théorème dont il fait état sous forme d’une annotation dans la marge de son Arithmétique de Diophante (3) qui, sous sa forme actuelle exprime que l’équation indéterminée xn+yn=zn n’admet aucune solution en nombres entiers x, y, z non nuls si n'est supérieur à 2 »
Puis il conclut de sa plus belle plume : « et j’en ai trouvé une démonstration merveilleuse, mais la marge est trop étroite pour la contenir ».
« Maudite marge ! » tempête la journaliste Catherine Portevin dans l’article "356 ans de réflexion" paru dans Télérama en date d’août 1993.
L’épopée de la conjecture
Fermat a-t-il démontré la conjecture ? On pourrait en douter au vu des notions mathématiques datant des XIXe et XXe siècles auxquelles Andrew Wiles a fait appel pour mettre en place sa démonstration, notions auxquelles, bien évidemment Pierre Fermat n’avait pas accès.
De nombreuses tentatives de résolution du fameux « théorème » ont fleuri, pendant trois siècles et demi, dans les écrits des mathématiciens les plus éminents sans fournir autre chose que des démonstrations partielles. Fermat lui-même n’a laissé des notes que pour n=3 et n=4. On n’a découvert nulle trace d’une démonstration générale.
On ne peut pas pour autant, accuser notre mathématicien de duplicité puisque cette annotation n’était destinée qu’à lui-même.
On peut donc imaginer que sa remarque marginale, fût-elle erronée, correspond à sa certitude d’avoir trouvé une solution générale, ce que, en l’état de nos connaissances, rien ne nous autorise à valider.
Heureuse marge ! (4)
L’énigme laissée en suspens a fait l’effet d’un formidable catalyseur pour le monde mathématique. « Certaines conjectures résistent ainsi des siècles aux tentatives conjuguées des génies successifs. La recherche des solutions devient un incroyable effort collectif s’apparentant à un relais à travers les siècles. Un seul mathématicien parcourt le « dernier mètre » mais avec le témoin transmis par ses prédécesseurs. (5)»
C’est bien ce qui s’est produit avec le dernier théorème de Fermat qui, prenant « sa source dans les mathématiques de la Grèce antique… fait le lien entre les fondements des mathématiques établies par Pythagore et les concepts les plus avancés des mathématiques modernes »(6) .
« Les méthodes d’arithmétiques modulaires élaborées par Wiles pour démontrer son résultat se sont révélées très fécondes dans le cadre du programme de Langlands » (7) qui s’efforce de relier des secteurs mathématiques jusqu’alors disjoints.
De sorte que l’indémontrable théorème enfin démontré par Wiles-Taylor s’est avéré ouvrir de nouveaux horizons pour la mathématique contemporaine.
Heureuse marge !
Rencontre à Beaumont-de-Lomagne, en octobre 1995, avec Andrew Wiles et les mathématiciens toulousains parmi lesquels à gauche Maryvonne Spiesser et Jean Baptiste Hiriart-Urruty, au centre Guy Tjernanian et Jean Cassinet, fondateur de l'association Fermat Science.
(1)J.B. Hiriart-Urruty, professeur de mathématiques à l’université de Toulouse, créateur du Prix Fermat, prix international de mathématiques dans : "A-ton résolu la conjecture de M. de Fermat". - La Dépêche du Midi -1° août 1993
(2) CNRS Le Journal N° 299, p. 33
(3) Diophanti AlexandriNi arithmeticorum libri sex édition greco-latine par Bachet de Méziriac 1621. Samuel Fermat fera à son tour éditer cet ouvrage en 1670. livre enrichi des 48 « observations » de Pierre Fermat
(4) Catherine Portevin : 356 ans de réflexion dans Télérama - août 1993
(5) CNRS Le Journal N° 299, p. 34
(6) Simon Singh : le dernier théorème de Fermat - Éditions JC Lattès
(7) Laurent Clozel, mathématicien français, École Normale Supérieure