Petite parenthèse

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Rouler une pelle

D’accord, on a bien assimilé les gestes de prudence face à l’ennemi invisible qui terrorise la planète. Lavage de mains en bonne et due forme, masque, gel, respect des distances… Plus question de toucher qui que ce soit, ou quoi que ce soit, sans protection.

Mais, psychologiquement, difficile de raisonner nos cerveaux, d’humeur particulièrement primesautière.

De mémoire, jamais un printemps n’avait été aussi radieux. Les températures grimpent, la sève échauffe la végétation, tandis que les corps et les esprits languissent, privés du plaisir terriblement humain de se serrer, mieux, de s’étreindre, de respirer longuement chevelure et nuque de la personne aimée, retrouver sa chaleur…

Alors que pointent déjà l’été et ses promesses d’amourette d’un jour ou d’amour toujours, comment envisager ne serait-ce qu’un rapprochement physique, un effleurement de doigts, de lèvres ?… Quant à rouler une pelle, n’y pensons même pas !

Particulièrement moche pour désigner ce que le monde entier nous envie, sous le terme de French kiss, l’expression mérite pourtant que l’on s’y penche avec indulgence, même si, au premier abord, on s’imagine manches retroussées, manipulant ardûment l’outillage de jardin. Pas super sexy.

Pour certains, la « pelle » serait issue du verbe « peloter », tel qu’on l’utilisait au jeu de paume. Pour s’exercer et s’échauffer, les joueurs « pelotaient » avant d’engager la partie. Au sens figuré, « peloter » consistait à s’amuser de légers divertissements, en attendant mieux.

D’autres ajoutent qu’elle serait dérivée de « patiner » (devenu avec le temps «peloter»), qui, au début du 20e siècle, signifiait en argot caresser longuement afin d’émoustiller. D’où l’expression assimilée : «rouler un patin».

Alors que le plastique tendait à disparaître progressivement de nos vies, voilà donc qu’il opère un retour en force avec l’apparition du coronavirus : plaques de plexiglas, rideau de cellophane, gants, etc.

À New-York, un jeune photographe, tombé amoureux de sa voisine en plein confinement, a traversé la rue dans une bulle de plastique géante, bouquet de fleurs à la main. Ingénieux et attendrissant, mais bien loin de remplacer ce que, sous d’autres latitudes, les Néerlandais appellent le huidhonger : la faim de contact physique.

Vivement que les masques tombent.

Illustration : Les Amants, Magritte (flickr.com)

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