C’est une grève qui passe quasi inaperçue depuis dix semaines, mais qui pourtant gagne progressivement tout le pays. Le 15 avril, les vingt-cinq services d’accueil des urgences de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris ont appelé à la grève illimitée en raison de l’épuisement du personnel, confronté à des conditions de travail inacceptables.
Un appel qui s’est répandu tel un écho dans tout l’Hexagone et qui, selon le Collectif inter-urgences, touche aujourd’hui soixante-cinq services. Car comme disait La Fontaine, s’ils n’en mouraient pas tous, tous étaient frappés. Mardi 28 mai, les urgentistes ont appelé à un débrayage symbolique pendant cinq minutes devant les hôpitaux.
Nombre croissant de passages dans ces services - 10 millions en 1996, près de 21 millions en 2016 -, heures d’attente pour les patients dans des couloirs saturés en permanence, et tensions pouvant déboucher sur des agressions à l’encontre du personnel soignant… il est clairement évident que les urgences filent un mauvais coton.
Lorsqu’on en vient à « filer un mauvais coton », c’est que l’on est dans une situation délicate, ou que la santé se dégrade. Au XVIIe siècle, on parlait de «jeter un vilain coton » quand la situation financière se dégradait au point d'en perdre tous ses biens. En référence aux étoffes qui, à l’usage, boulochaient jusqu’à se déchirer.
Deux siècles plus tard, l’expression s’emploie pour parler de ruiner également sa santé, et le « vilain » coton devient « mauvais ». À cette époque aussi, avec la multiplication des filatures, on finira par remplacer l’idée de «jeter » par celle de « filer ». À partir de là, on filera donc du mauvais coton.
Au bord de la rupture, les représentants du collectif ont appelé l’ensemble des services des urgences à une manifestation nationale le 6 juin à Paris. Leurs revendications portent sur l’arrêt immédiat des fermetures des services des urgences, y compris la nuit, une augmentation salariale de 300 € net par mois, ainsi qu’une augmentation des effectifs. Parfaitement résumées dans leur slogan : « Donnez-nous les moyens d’être humains » !
De son côté, la ministre de la Santé affirme « entendre la fatigue et l’agacement des urgentistes » - là où l’on pourrait parler plutôt d’épuisement et d’exaspération - mais elle n’a « pas de solution miracle » (sic). Et d’enchaîner : « Il y aura dans les années qui viennent 400 urgentistes formés par an qui vont se déployer sur le territoire, donc cette période de tension devrait s'apaiser dans les années qui viennent ».
"Les années qui viennent", ça se chiffre à combien de morts dans les services d’urgence des hôpitaux ?...
Illustration Pixabay.com