«Soleil Battant» de Clara et Laura Laperrousaz

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Dans le cadre du festival Indépendance et création, vendredi dernier, à Auch, puis à Cazaubon-Barbotan les Thermes, en avant-première, les réalisatrices Clara et Laura Laperrousaz  ont présenté leur film  « Soleil Battant ».

Par la suite Clara et Laura se sont exprimées en détaillant  leur aventure cinématographique et en apportant des précisions sur leur film.

Après un bref rappel du synopsis qui se résume ainsi : Pour les vacances, Gabriel et Iris retournent dans une maison de famille au Portugal avec leurs filles Emma et Zoé, d’irrésistibles jumelles de 6 ans. Au cœur d’un paysage solaire, des baignades et des rires des petites, le passé du couple se réveille. Emma est dépassée par un secret trop grand pour elle, qu’elle n’a pas le droit de partager avec sa jumelle.

Les deux réalisatrices ont commenté  L’Eden puis la chute

« Nous avons choisi de situer notre film dans un véritable Eden pour en faire le lieu de la chute. Le cadre est idyllique et sauvage. Iris, Gabriel, Emma et Zoé sont plongés dans une chaleur qui les pousse à entretenir un rapport très sensoriel à leurs corps et aux éléments – danses, jeux dans la rivière, promenades au crépuscule, souffles et étreintes. La langueur et la joie alternent quand la blessure se rouvre, infuse et vient hanter chacun des personnages. Les symptômes, les tensions et le malaise s’installent jusqu’à ce qu’ils éclatent dans l’ardeur de l’été portugais. « Soleil battant » montre la chute et la reconstruction d’une famille. C’est un film sur la pulsion de vie, un film lumineux, plein d’amour. »

Vous êtes deux sœurs coréalisatrices,  pouvez-vous nous apporter des précisions sur votre entente et votre méthode de travail ?  

« Travailler à deux, nous est apparu il y a quelques années, comme une évidence. Nous partageons une même vision dès l’origine d’un projet et tout au long du processus de fabrication. Nous avons une telle connaissance de l’autre, de ses références, de la matière affective qui la constitue qu’il nous est possible de communiquer presque sans mots, d’avoir des intuitions communes sur le plateau sans avoir à batailler, ce qui est un précieux gain de temps. La répartition est égale, l’une comme l’autre peut aller parler aux acteurs, au chef opérateur ou au machiniste à la fin d’une prise, en sachant que le discours porté sera le même et que ce n’est pas un redoublement mais une façon de creuser une idée, un désir, une intention. On est habitées par les mêmes obsessions et le fait d’être sœurs nous autorise à exiger beaucoup l’une de l’autre, à chercher sans cesse les outils pour raconter une histoire. »

Sur l’origine du film Clara et Laura ont apporté les précisions suivantes :

« Nous avions bien sûr une nécessité très forte à faire ce film, à parler de cette famille qui a été touchée par une tragédie. Nous avons décidé tôt dans l’écriture de prendre à bras le corps ce sujet en nous plaçant à notre propre niveau et de partir de ce qu’on avait vécu. Partir de l’intime, de ce qu’on connaissait si bien, c’est-à-dire de ce que pouvait représenter pour des enfants le fait d’être l’une après l’autre investies du passé familial, nous semblait plus juste que de démarrer le récit avant la naissance des jumelles. Pour autant, nous sommes très attachées au principe de circulation du point de vue dans ce film. Nous avons choisi d’avoir quatre personnages principaux : les petites filles et leurs parents. Nous voulions contacter les failles, les désirs et les peurs qui les animent au fur et à mesure de ce qu’ils vivent, apprennent, disent et taisent. Nous avons essayé de rentrer dans la singularité de chacun des membres de cette famille. »

Avez-vous rencontré des difficultés pour faire ce film avec des enfants ?

« Nous avions déjà réalisé un moyen-métrage avec une enfant de 4 ans, ce qui nous a permis de tester des choses et de confirmer notre désir d’écrire un long-métrage dans lequel deux sœurs de 6 ans auraient une place si grande. L’un des enjeux du film a été pour nous de donner à ces deux petites filles un rôle moteur. Emma et Zoé cherchent à comprendre ce monde d’adultes, elles poussent la narration et provoquent les événements. Les fantômes d’histoires – ou les histoires de fantômes – donnent lieu à des distorsions enfantines, ce qui forme un terreau de fiction très riche. Nous avons fait un long casting et rencontré beaucoup de petites filles avant d’avoir un coup de cœur pour les jumelles. Nous avons transformé le scénario qui initialement était écrit pour des sœurs d’âges différents. Il nous a tout à coup semblé plus frappant de créer une scission au sein d’un bloc gémellaire : alors que leur ressemblance est troublante au point de provoquer à l’image un effet miroir, Emma et Zoé ne portent pas le secret familial au même moment ni de la même manière. Les personnalités différentes et très marquées dès les premiers essais filmés d’Océane et Margaux rejoignaient ce qui nous intéressait dans la caractérisation et les trajectoires des personnages d’Emma et Zoé. Il était amusant et touchant pour nous de constater que celle qui interprète Emma voulait en savoir toujours plus sur son rôle. Elle nous interrogeait sur ce qui avait été tourné en son absence, et nous a demandé un scénario alors qu’elle ne savait pas lire. Tandis que celle qui incarne Zoé était encore vraiment dans l’enfance et bien plus concernée par ses jeux avec Clément Roussier qui interprète le rôle du père, Gabriel.

Le rapport des sœurs, leur complicité, et plus particulièrement le personnage de Zoé qui est source de comique nous a permis de ménager des moments légers à l’intérieur de la narration. Le film fonctionne avec des leviers émotionnels assumés, il était essentiel d’accorder aussi une place à la comédie pour créer des ruptures de ton. Nous avions besoin que le rire et la fantaisie puissent parcourir les séquences à travers jeux, danses et bêtises des petites. Nous avions à cœur de créer un lien fort avec Océane et Margaux en amont du tournage pour qu’une vraie confiance s’instaure. Nous leur avons raconté une version de l’histoire du film correspondant à leur âge, afin qu’elles comprennent les enjeux des personnages et puissent se les approprier. Nous avions fait lire le scénario à des pédopsychiatres pour valider notre protocole de travail. Pendant le tournage, tout était pensé et calé en fonction des enfants qui ne sont là qu’un nombre d’heures très limité sur le plateau. C’est une sérieuse contrainte ! A ça s’ajoute le fait qu’il est impossible avec des enfants aussi jeunes de faire des répétitions qui les fatigueraient. Nous expliquions donc précisément toutes les scènes aux filles, le moment auquel cela se référait dans le récit, pour qu’elles aient toujours leurs repères. Nous ne voulions surtout pas qu’elles apprennent leur texte, afin d’éviter qu’une petite musique ne s’installe et qu’on ne perde en naturel. Nous avons écarté les enfants « acteurs » au cours du casting pour fuir tout automatisme ou un rapport biaisé à la caméra. Pendant les prises des jumelles, on fonctionnait avec pour méthode le phrase à phrase ce qui les déchargeait de l’inquiétude d’un éventuel blanc, et nous semblait mettre plus de vie dans leurs dialogues alors même que tout était très écrit. Nous avons coupé et adapté de nombreuses séquences et cherché constamment des solutions de mise en scène pour alléger au maximum ce que peut être un tournage pour des enfants de 6 ans. Il a fallu être extrêmement souples et inventives.

Vous avez  choisi  comme actrice  Ana Girardot dans le rôle d’Iris. Pouvez-vous apporté des précisions sur votre choix ?

« Le personnage d’Iris cache une fêlure. Il nous a semblé intéressant de choisir Ana Girardot dont le visage ne porte pas immédiatement une forme de tragique, mais au contraire une grande fraîcheur. Cela ancrait l’idée qu’Iris s’était tournée vers la vie après le drame. Sa façon de réagir au deuil a été de donner naissance aux jumelles et d’entretenir avec elles une maternité douce et lumineuse.

Nous voulions retarder la découverte du secret du couple afin qu’il puisse jouer comme un élément surprenant. Ce qui nous émeut chez Iris, c’est qu’elle se croit et veut se montrer aux siens plus solide qu’elle n’est. Nous désirions mettre en scène sa reconstruction qui passe par des avancées, des hoquets et une chute quand Iris voit s’effriter son système de défense établissant une continuité, une communication entre vie et mort.

Ana nous avait séduites par sa délicatesse et sa grâce, et nous avons voulu lui proposer de s’investir avec nous dans un rôle très différent de ce qu’on l’avait vue faire. Nous l’avons poussée à endosser et à explorer une part d’obscurité, une béance. Nous avions fait plusieurs sessions de lecture avec Ana à partir d’un an et demi avant le tournage afin de nourrir et laisser grandir en elle le personnage d’Iris.

C’était bouleversant de construire avec Ana la maternité de cette femme : les gestes, les comportements, les réflexes, les erreurs d’Iris, entre tendresse et douleur viscérale.

Ana a une force intuitive étonnante et un grand pouvoir de concentration. Nous lui parlions énormément avant, pendant et après les prises. Ana avait une écoute très attentive qui lui permettait de recevoir et de transformer sur le plateau nos désirs, nos directions, en émotions. Nous nous sommes montrées très exigeantes car nous sentions la puissance qu’elle pouvait atteindre.

Ana a été disponible et généreuse vis à vis des petites filles et une intimité s’est tissée entre elles ce qui était essentiel pour nous et pour le film. »

Et pour Clément Roussier dans le rôle de Gabriel ?

« Gabriel et Iris ont des trajectoires croisées. Quand le film s’ouvre, c’est la jeune femme qui fait tenir la famille, alors que par la suite Gabriel en devient le pilier. Avec Gabriel, nous suivons un homme qui va sortir de son angoisse et « recouvrer la parole » au moment où Iris la perd et se referme. Sous l’impulsion d’Iris, qui le confronte à ses blocages, Gabriel se délivre du tabou du deuil. Nous le voyons dépasser le silence qu’il avait instauré autour de l’accident. Nous avons confié ce rôle à Clément Roussier, avec qui nous avions travaillé de nombreuses fois, connaissant sa finesse de jeu, son intelligence et son don pour les langues. C’est un acteur qui a une palette très large et que nous avons souhaité emmener vers un personnage qu’il n’avait jamais incarné, un Gabriel pouvant aussi bien être un père rock, un compagnon aimant, un médecin rassurant qu’un homme torturé par ses souvenirs. Cette violence, il était nécessaire pour nous de l’exprimer graduellement dans un malaise latent, une colère froide, ou sous la forme éruptive d’une bataille.

Nous avons eu avec Clément des conversations très riches notamment autour de ce qu’il nommait « la nuit de Gabriel » faisant référence au désespoir de ce père. Clément a particulièrement bien saisi l’humour et la provocation que manie Gabriel, il a su rendre au personnage son côté complexe et humain en lui donnant toutes les tonalités que nous recherchions. Et il a été absolument formidable avec les petites filles. »

Et leur couple à l’écran ?

« Nous souhaitions interroger la matière du couple d’Iris et Gabriel, la façon dont ils sont agrippés l’un à l’autre pour s’en sortir et continuent à s’aimer après une tragédie.

Cela nous passionnait de fouiller ce que cela a construit entre eux. Ce que cela détermine pour chacun comme rapport à la vie, au deuil, à la culpabilité, au désir, à la sexualité. Ce que cela définit dans leur lien à Emma et Zoé et dessine comme répartition des rôles. La fragilité sensuelle d’Ana et la part animale de Clément se sont rencontrées à l’écran pour donner corps à la tendresse, l’érotisme et la violence qui habitent Iris et Gabriel.

Et pour Agathe Bonitzer dans le rôle de Judith?

« Nous avions depuis longtemps envie de travailler avec Agathe Bonitzer qui nous a conquises par sa vivacité. C’était un vrai plaisir de diriger Agathe qui analyse et comprend très vite les intentions de la mise en scène, elle a été capable d’apprendre et de s’approprier un texte en portugais en quelques heures, ou de distinguer les jumelles l’une de l’autre avant même de les rencontrer.  Le personnage de Judith agit comme contrepoint, venant remettre en cause le système de repères et d’interdits dans lequel Emma et Zoé sont élevées. Judith est là aussi pour sonder la part cachée de sa sœur Iris. C’était très stimulant d’emmener Agathe vers un registre mêlant légèreté, possessivité et provocation. Cette force de vie est sa réponse à la fracture opérée par l’accident. On découvre l’autre visage de Judith dans la scène où Miguel apparaît. On a alors tout à coup accès au hors-champ immense de ce qu’a pu être l’existence de ce couple après le drame, leur dévastation.

Quant à Paulo Calatré a selon nous une intensité et une présence telles qu’en l’espace d’une séquence il donne la mesure du personnage ayant fait basculer la vie de tous.

Vous avez tourné « Soleil Battant au Portugal, pourquoi ?

« Tourner ce film au Portugal est arrivé tard dans le processus mais nous tient particulièrement à cœur. Ce pays nous a véritablement subjuguées et nous avons adoré y préparer et tourner notre premier long-métrage. Nous avons choisi de réécrire le scénario pour faire de ce retour aux racines du père la découverte d’un pays pour les jumelles. La coupure de Gabriel avec ses origines à cause de l’accident est d’autant plus violente qu’il s’agit d’une terre étrangère et d’une autre langue qu’il n’a pas souhaité apprendre à ses filles.

Cela nous semblait renforcer la narration et donner une profondeur au passé de cette famille.

Solliciter Teresa Madruga, l’actrice de « Dans la Ville blanche », « Tabou », ou « Les Mille et une nuits, volume 2 : le Désolé », signifiait beaucoup dans notre cinéphilie. Nous avons depuis longtemps une grande admiration pour elle. Cela venait aussi s’inscrire comme un heureux hasard dans notre recherche de sens et de justesse par rapport à l’ancrage en Alentejo car Teresa a vraiment l’accent de cette région, où elle vit.

De même, la séquence des chants traditionnels a cappella est née d’une scène que l’on a vécue lors d’un déjeuner pendant la préparation de « Soleil battant ». De vieux habitués se sont soudain mis à chanter avec une puissance qui nous a prises aux tripes. Il était impossible pour nous de repartir d’Alentejo sans avoir rendu hommage à ces voix et nous avons imaginé une séquence les intégrant au récit. »

Lors de la présentation du film à Auch et Barbotan, le public vous a posé la question : «  Ce film est-il intimiste ? »

« C’est aussi un film de paysages. Nous avions en tête depuis le début de l’écriture du scénario de mettre en scène un film intimiste, traversé par les émotions de ses personnages en huis clos ou presque. Mais nous avions aussi le désir très fort de donner à ce drame familial la dimension d’un film de paysages.

Nous avons tout de suite opté pour le cinémascope, capable de capturer l’immensité fauve des plaines et des vallées d’Alentejo.

Pour nous ces paysages, dont la beauté solaire a aussi une charge inquiétante, ouvrent l’imaginaire. Ils sont porteurs d’une dramaturgie et d’une symbolique qui influencent les personnages. Par exemple, le motif de l’eau court à travers tout le film pour qu’ait lieu une mutation positive, l’achèvement d’un cycle, la libération de cette famille.  Le Portugal et la référence au Western : du Technicolor à la musique. La référence au Western a été déterminante. Sur le plan visuel, il s’agit bien sûr de nos choix concernant les décors.

Les extérieurs avec leurs paysages à perte de vue qui écrasent et perdent les hommes, le portail à bétail en fer bleu, la chaise à bascule sur la terrasse, le corral et ses chevaux.

Les intérieurs avec leur cheminée surmontée de trophées de chasses, les couvertures à carreaux bruns et les armes accrochées partout dans la maison.

 L’influence du Western se retrouve aussi dans le côté Technicolor de « Soleil battant ». Nous avons cherché à pousser les couleurs en terme de contraste et de saturation, mais aussi de brillance. Nous désirions avoir une image chaude même si elle reste toujours douce sur les peaux, jusque dans les extérieurs.

Ça a été par exemple un vrai plaisir de cinéma de penser à « La prisonnière du désert » en construisant le plan séquence dans lequel les silhouettes sombres d’Iris et Gabriel – occupés à regarder jouer les filles – se découpent sur les collines dorées.

Le Western et le Portugal nous ont alimentées en termes de son également.

Nous avons longuement travaillé sur le montage son et le mixage avec Obsidienne Studio qui avait déjà accompagné notre dernier moyen-métrage.

Nous avons bâti un langage commun qui a permis d’explorer la dimension sensorielle et sauvage du film et de faire vivre ces territoires à la conquête desquels partent les petites filles. » 

Au sujet de la musique les deux réalisatrices ont précisé : «   La musique originale, composée par Giani Caserotto, se devait donc de passer de l’intime aux grands espaces.

Nous avons utilisé la guitare portugaise, instrument emblématique du fado au son cristallin, pour jouer certains thèmes principaux. Sa sonorité exotique et évocatrice de la « Saudade » permettait de placer d’emblée l’univers acoustique du film au Portugal.

Le pendant « western » de la guitare portugaise est amené par la guitare électrique, avec distorsion et delay à bande, qu’on voulait puissante et sale tout en gardant de la poésie ou une certaine tendresse. Gabriel, personnage auquel elle est d’abord associée, donne son côté rock au film. »

Au cours de « Soleil battant », la nature prend une place de plus en plus importante, les protagonistes nouent avec elle des relations profondes et mystérieuses. Il nous importait de rendre vivants ces moments de communion ou d’immersion dans la nature, par une musique évocatrice et intérieure, confinant parfois à l’étrangeté. La musique d’Eliane Radigue nous a servi de référence. Un quatuor à cordes est employé pour créer des drones (notes tenues), avec un travail important sur la matière sonore pour la rendre transparente et vivante (harmoniques, flautando, techniques étendues). Ces drones acoustiques ont leurs versions électroniques, avec une grande recherche sur les textures des synthétiseurs analogiques et des guitares électriques. Ces morceaux, moins statiques mais beaucoup plus porteurs, ont pour fonction de libérer l’émotion à des moments-clés du film.

Au fur et à mesure du déroulement de l’action, ces intentions musicales se répondent (des thèmes passent de la guitare portugaise à la guitare électrique), s’interpénètrent (la guitare portugaise se superpose aux cordes, ou s’associe à la guitare électrique à la toute fin du film pour évoquer la réconciliation et la reconstruction de cette famille) afin de servir au mieux l’évolution dramaturgique.

C’est un film pictural, stylisé mais pas déréalisé

Sur le travail de la caméra, Clara et Laura  ont expliqué : «  En ce qui concerne le travail à la caméra, nous avons repensé les choses quand le tournage qui était prévu en France a basculé vers le Portugal.

D’une caméra portée, toujours mobile, on a décidé d’aller vers une caméra plus stable, avec des mouvements plus lents, et de faire durer les plans. Il s’agissait pour nous de moins découper pour rendre compte de la chaleur et de son impact sur les corps. On a d’ailleurs intégré beaucoup de plans séquences à la narration.

Nous tenions vraiment à ce que la caméra soit organique. C’est pour cette raison qu’après une longue recherche, nous avons sollicité le chef opérateur Vasco Viana. Avec lui, nous avons construit un langage assez sobre. Lorsque les mouvements de caméra deviennent complexes c’est de façon quasi imperceptible. On a pu utiliser par exemple des travellings arrière combinés à des panoramiques qui ne se remarquent pas forcément, pour jouer sur l’inconscient du spectateur et créer une tension émotionnelle. Lorsque Iris quitte la maison de nuit, nous avons décidé que la caméra suivrait d’abord les mouvements du couple qui franchit la porte en étant déjà harnachée à la voiture sans que cela ne se voie, ce qui nous permet de poursuivre le plan et de rester avec la jeune femme quand elle conduit, d’entrer dans son désarroi à ce moment très particulier du récit.

Il y a deux scènes que nous avons voulu tourner à l’épaule avec des mouvements vifs, pour leur donner un relief particulier à l’intérieur de la grammaire des plans (lorsque Iris et Gabriel sont sur le bateau et lors de la bataille).

Pour le clair-obscur, nous avons fait appel à Vasco Viana, c’est aussi car nous avions découvert et aimé son approche du clair-obscur dans « Montanha » de Joao Salaviza. Car nous envisagions non seulement de construire les extérieurs westerns comme des tableaux, mais aussi de travailler sur la pénombre des intérieurs qui donne à l’image son côté pictural. Nous avions un certain nombre de scènes de nuit, ce qui rendait crédible cette démarche.

Et puisque la journée l’été au Portugal, les volets sont clos pour préserver de la chaleur, nous avons pu affirmer cette piste esthétique du film.

Nous voulions assumer une image très stylisée sans pour autant déréaliser, sans jamais mettre à distance le spectateur, car le rapport aux sources reste toujours simple et vivant.

Et il y avait bien sûr un désir d’opposition et de complémentarité entre les extérieurs brûlants à l’immensité étourdissante de lumière et les secrets révélés dans l’espace intime, sombre et protégé de la chambre à l’heure de la sieste.

De même, dans la séquence du scanner et celle du bloc opératoire qui auraient pu être traitées de façon naturaliste avec une lumière scialytique à la froideur médicale, nous avons donné comme référence à Vasco les toiles du Caravage pour plonger les personnages dans l’ombre et le mystère.

Dialoguer avec Vasco a été une immense joie. Et ce malgré les difficultés nombreuses et variées que l’on rencontre lors d’un premier long-métrage avec des enfants, des problèmes terribles de météo, une petite équipe et des moyens très réduits, qui n’ont pas tendance à faciliter la mise en scène… Vasco a compris nos aspirations et s’est battu jusqu’au bout à nos côtés. »

Soleil Battant est un film émotionnel et un film plastique : un film de fantôme

« Soleil battant » est un film de personnages construit comme un drame intime, en huis clos. Nous voulions que le socle émotionnel puisse entrer en résonance avec une recherche plastique.

C’est le cas par exemple pour la séquence d’Ophélie qui tente de conjuguer climax de la trajectoire d’Iris et onirisme visuel et sonore.

Nous avons par ailleurs décidé d’embrasser une forme de lyrisme, un élan, notamment dans le rapport qu’Iris et ses filles entretiennent aux paysages en y accomplissant des rituels.

Devenus lieux magiques, ils sont sacrés pour la jeune femme qui y adresse des prières silencieuses, ou féériques pour les jumelles et leur sorcellerie incantatoire.

Car si la mise en scène s’intéresse au visible, au réel, au sensuel, pour nous « Soleil battant » est aussi habité par l’invisible : les traces du passé, ses symptômes chez les personnages. C’est un film hanté, un film de fantôme. »

Soleil Battant » sortira dans les salles de cinéma mercredi  13 décembre. Un rendez-vous cinématographique à ne pas manquer. 

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