Romain Duport : Chronique 4

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Les Hirondelles lisent aussi

Les jours raccourcissent. Le fond de l’air se rafraîchit. Déjà, les grillades en soirée doivent s’accompagner d’une petite laine. Les feuilles des marronniers se recroquevillent et tombent à terre, annonciatrices de plus grandes chutes à venir. Les bus scolaires se croisent en un élégant ballet qui mène nos enfants vers leurs écoles. Plus de doute, c'est la rentrée.

Longtemps, pour moi, ces aurores où l’aube aux doigts de rose caresse la campagne gasconne auront le charme délicieux de mes matins de lycéens. Je me souviens de cet air frais qui pique aux joues tandis que sac au dos j'attends ma voisine pour aller, ensemble, jusqu’au bus. Le chemin sinueux, parsemé d’arrêts dans les villages alentours, puis Nogaro. Le goût savoureux de l'amitié sous le regard complice de D'Artagnan.

C’est la rentrée. Rentrée des classes, rentrée politique. Tout le monde revient. Tout le monde ? Non, certaines préparent le départ.

Il n’aura pas échappé à la sagacité de mon passeur de mot, j'ai nommé Marcel Lavedan, que les hirondelles se réunissent, déjà. Un conciliabule nous souffle-t-il1. Mais que disent-elles ? Je me suis approché et j'ai écouté.

Réunies sur le fil, elles trissent. Les jeunes de l’été s’impatientent, elles désirent poursuivre leurs jeux, battre encore notre ciel tempéré de leurs ailes neuves. Les anciennes discutent. Échanges de souvenirs durant leur passage gascon, préparatifs du périple à venir et oui, je vous l'assure, littérature ! Il n’est pas encore question de la rentrée littéraire car, comme votre humble chroniqueur, elles n’ont guère eu la joie de déflorer en avant-première quelques-uns des 581 livres délivrés sur les étals des libraires. Elles seront encore en vol au-dessus de la Méditerranée ou de l'Afrique du Nord lorsque les prestigieux prix seront distribués. Kyrielle de pages, ribambelle de phrases, monticule de mots. Pour ces passereaux, sublimes oiseaux percheurs et voltigeurs, la rentrée littéraire prendra corps durant la période d’hibernation, après le Voyage.

Les hirondelles parlent littérature, car les mères, tandis qu’elles couvaient au printemps, ont beaucoup lu. Elles se sont plongées dans des ouvrages ayant eu quelque écho durant les dernières années. Ainsi, lorsque la chaleur de juin nous a accablés, elles ont tourné les pages. Et si elles se réunissent avant de partir, cercle de lecture, c'est pour échanger impressions et conseils. Je vous livre donc, la sélection des hirondelles plaisantines. Six ouvrages, un pour chaque jour étant entendu que tout bon lecteur se repose le septième.

1- La Horde du Contrevent. Alain Damasio. Roman de science-fiction où 23 personnages remontent le cours du vent pour en trouver l'origine. Si chaque membre de la Horde est singulier, c’est la force du groupe qui permettra, peut-être, d'approcher l'objet de la quête. Le lecteur combat, remonte, souffre et devient, au fil des pages, le 24ᵉ membre de cette horde mythique. C’est un véritable livre-monde qui s’offre à nous.

2- Le Sermon sur la chute de Rome. Jérôme Ferrari. Deux amis reprennent un bar dans le village corse de leur enfance. Si au début, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté, insensiblement, ce meilleur des mondes possibles glisse sur les marches de l'Enfer. Dans cet air corse, dense et savoureux, Mathieu, Libero, Aurélie connaîtront le destin de Rome. Tout était écrit, il suffisait de lire Saint-Augustin !

3- Titus n'aimait pas Bérénice. Nathalie Azoulai. Un titre magnifique, correspondance antique en écho au siècle de Louis XIV. Une Bérénice des temps modernes redonne chair au grand Racine. Chaque mot est choisi avec soin et nous suivons le tragédien comme une ombre délicate. Si Nathalie Azoulai n'avait pas écrit, elle aurait été dentellière. Amateurs de littérature française, esprits khâgneux, courrez-y !

4- Les Derniers jours de nos pères. Joël Dicker. Nous connaissons Joël Dicker pour son Livre des Baltimore et pour son affaire Harry Québert bientôt adaptée en sérié télé avec Patrick Dempsey (Grey's Anatomy) dans le rôle titre. Mais le premier livre du jeune prodige suisse mérite le détour tant pour l'originalité du sujet que par son style. Joël Dicker aime ses personnages et nous ne pouvons que nous y attacher.

5- L'Armée furieuse. Fred Vargas est un auteur prolifique. Il est question ici du septième ouvrage, publié en 2011, retraçant les aventures du commissaire Adamsberg et de son équipe riche en couleur. Depuis, deux autres sont venus compléter la collection dont le dernier, Quand sort la recluse, cette année même. Dans L'Armée furieuse, le commissaire prend ses quartiers en Normandie. Brume, légendes et Moyen Âge ne sont pas loin. Bien plus qu’un polar, c’est une ambiance envoûtante que n'aurait pas renié Barbey d'Aurevilly

6- Le Soleil des Scorta. Laurent Gaudé. Last but not least comme nous disons communément en Gascogne. Le Soleil des Scorta est étincelant. Une écriture fine et ciselée. Le goût de la sueur et du soleil. Cet astre qui brûle et ébloui. Laurent Gaudé est un artiste, un peintre merveilleux, sculpteur de mots et conteurs d’histoires. Il y a quelque chose d'Homère en lui. J'avais aimé La mort du roi Tsongor, je m’étais délecté de son Pour seul cortège. Ébloui par son soleil, je n’ai plus de mot et laisse la place au silence éternel des oliviers.

Avant que ces grandes migratrices tirent leur révérence et s'envolent à tire d'aile sous les splendeurs automnales, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une belle rentrée et d'agréables lectures !

 

1 - Le Journal du Gers, 31 août 2017, Marcel Lavedan. 

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