Un étudiant togolais nous adresse sa prose

Laurier.jpg

Le Journal du Gers vient de découvrir un lecteur au Togo, un jeune homme de 22 ans, étudiant en master de pharmacie à Lomé. Il se nomme Laurier d’Almeida et se passionne en dehors de ses études à l’écriture. Nous vous proposons son premier « billet » qu’il vient de nous adresser en espérant que dans les prochains mois d’autres suivront et qu’il trouvera un lectorat fidèle.

A tous les jardiniers qui s'ignorent

Un jour, il t’arrivera de vouloir accomplir quelque chose de plus grand que ce que tu as fait dans ta vie jusque-là, quelque chose de plus grand que toi-même. Ce jour-là, tu mettras un plant en terre.

Jardiner est une activité reposante, délassante mais tu dois savoir que tous les planteurs n’ont pas la main verte. Tu apprendras que pour avoir une belle plante, il faut du soleil, de la pluie, mais aussi de l’ombre, de l’amour et de la patience. Lorsque tu sors sous le ciel radieux, prends garde aux oiseaux, de peur qu’ils ne mangent le semis. De la même façon tu t’inquièteras lorsque le bourgeon sortira de terre, et des saisons durant, ton sommeil sera troublé par moult dangers que tu auras aperçus dans les nuances de l’azur.

Jardinier, tu veilleras. Tu veilleras près de la terre nourricière, épiant tout mouvement dans l’obscure nuit, craignant les atermoiements des cieux. Tous les matins, tu guetteras les signes annonciateurs de l’éclosion. Mille fois, tu t’en retourneras sans réponse. Et puis ce matin-là vaudra toutes les attentes, toutes les sueurs froides, toutes les tempêtes sous ton chapeau de paille. Ce matin-là, dans toute sa noblesse, comme si tout lui était dû, le bourgeon apparaîtra. Minuscule et superbe, il appellera les regards, exigera l’admiration et narguera ton émerveillement.

Inversement, tu auras beau arroser la graine, nourrir le sol d’engrais, la poussée du bourgeon t’échappera, car depuis la nuit des temps, c’est un pacte secret qui n’appartient qu’à la graine et à sa terre. Elles feront tout: ne te laissant que le choix de t’inventer toi-même, t’engendrer parmi les amoureux des coteaux exposés au levant, t’appeler jardinier, si tu le veux, si tu le peux. Elles n’en n’ont cure.

Dès lors, tu arroseras de plus belle, parsèmeras de ton attention les recoins du jardin. Tu donneras beaucoup, recevras si peu. Et pourtant cela t’emplira d’une joie indicible. Tu admireras ta plante qui se dresse délicatement au-dessus du sol, tu t’émouvras de sa fragilité, et elle rira de ton émotion.

Plante qui pousse peut rapidement devenir herbe folle. Tu improviseras donc un tuteur pour l’élever haut dans le ciel. Avec les saisons, tu élagueras çà et là les branches difformes ou impropres. Tu éloigneras avec véhémence moucherons et pucerons. Puis tu arroseras, sans cesse, toujours, avec plus d’eau, plus longtemps. Et quand elle se fera indocile, ta plante, inlassablement, tu retourneras les feuilles vers le soleil, qu’elles se gorgent de lumière et de ciel. Elle en viendra à jurer contre le soleil, et toi, patiemment, tu garderas l’œil rivé vers ton but.

Puis les printemps succédant aux automnes, les feuillages verts faisant suite aux feuillages de feu, ta plante étendra ses bras au-dessus du jardin. Elle te tutoiera du haut des cimes et tu regarderas avec fierté ses branches se lancer à l’assaut du firmament. Elle se sera profondément ancrée dans le sol, plongeant ses racines dans les abîmes pour se nourrir goulûment de la générosité de la nature; elle aura découvert une quelconque nappe sous-terraine et n’attendra plus ton arrosage quotidien. Lorsque le soleil brillera fort, les dimanches tu goûteras ton pastis avec famille et amis, refaisant le monde encore et encore, assis à son ombre. Ta jolie plante sera devenue un arbre majestueux. Il portera du fruit, parce que c’est ce qu’attend tout jardinier de sa graine. Du fruit coloré et juteux. Ce jour-là tu seras fier car ton travail n’aura pas été vain.

Mais pour l’heure, tu es étendu, potassant un énième livre, ou consultant nonchalamment ton téléphone. Tu es si loin de t’imaginer que la plus grande aventure de toute ta vie vient de commencer : tu viens de faire l’amour, tu as planté ta graine. Un jardinier vient de naître.

Laurier d'Almeida

 

Publicité
Suggestion d'articles
Suggestion d'articles