La chandeleur

Les   crêpes   de   la  Chandeleur

Aujourd’hui  on  s’agitera  sur les  fourneaux   pour   fabriquer  les  crêpes  de  la Chandeleur , formule  moderne  avec  une poêle  en  téfal  qui n’attache pas,  une pâte  sortie  d’un   brick  ou d’une   poche à  hydrater. 

Tout  cela  faisait  rire  ma  grand -mère   qui   préparait  sa pâte  avec un  tamis  des plus fins. Elle  faisait  tomber   la farine  dans une grésale  ( récipient  en terre  très  évasé ).

J’avais  pour  mission  de râper  la peau d’une orange   avec  la râpe  à  fromage, instrument  à pointes  incurvées qui ne manquait pas de  sanctionner  un geste  maladroit  d’une   éraflure. Je   pouvais  ensuite    manger la pulpe en récompense .

Elle  sortait  du fond  du placard  un flacon  portant une  étiquette. Il  s’agissait   du parfum  pour  crêpe  qui  n’était en   vente   que  dans une  pharmacie   locale , il   était    réputé   pour  ce  coktail  parfumé .Parfois  c’était   un  reste  de  la Chandeleur  de  l’année   passée,  et le bouchon poreux  avait  laissé  évaporer  les  composantes  du  parfum .

Ma grand -mère laissait  reposer   la pâte et  préparait  le feu  avec du  bois  sélectionné  par mon   grand-père,  qui   devait donner une flamme  constante. Elle   plaçait  sur les  deux chenets  une   barre  de fer   qui  allait  soutenir   les poêles en appui  contre  la plaque  de  la cheminée.  Ma  grand-mère officiait  avec  trois poêles, un  exercice  de   haute voltige  qui   exigeait  un   certain   rodage,   au  cours  duquel    trois  ou  quatre crêpes  tombaient  dans la   cendre.

Les  plus  étonnés en cette  matinée  étaient  les  chats,  habitués   à dormir  sur les  chaises  ou les  pattes  dans la   cendre. Ce jour  là , « Minette » , l’ancienne, «  voleur », le  gros   matou,  et « Cendrette » la frileuse , gardienne  des chenets,   étaient    chassés  de  la  cuisine  et  ma  grand -mère  tirait le lourd   verrou  de la porte  d’entrée en précisant  ; «  nou  cal ni   besin  , ni besino, ni  gats   den   la cousino .Cal  barra   lous  troucs , la porto et lou  fenestrou ! (il  ne  faut  ni  voisin, ni   voisine,   ni  chats  dans  la cuisine ,il  faut   fermer  la   porte   et la petite   fenêtre ) »

Pendant , qu’avec  une   adresse  remarquable, elle   jouait  des   trois  poêles    et voyait le  tas  de   crêpes  augmenter, nous  avions  le  temps   de lire  la  suite  de la  chanson  soigneusement   conservée  dans un   cahier  de  recettes calligraphiées  en  pleins  et  déliés, dont  l’encre   violette  avait  tourné  à  la couleur  sépia  « E  per  abe    argent   tout   l’an, de bon  bin  et  boun  pan blanc ,  boutats  une  pecette   den la   pasta ,lanço   les  ser   l’armari et   lou  fusil  d’un brabe    pet   den  lous traou   de la chemineo, espahoutera  la  sourcièro »   ( pour   avoir  de  l’argent toute  l’année , du bon vin  et du  pain   blanc ,mets  une pièce dans  la  pâte , lance   la  crêpe   sur   l’armoire  et le fusil   d’un coup   très fort    dans  la  cheminée  effrayera   la  sorcière) .  Ce  couplet  accompagnait    une  légende    que  les  mamies    nous racontaient   rarement    le jour    de la   Chandeleur … On   n’y croyait  plus   … c’était des blagues  … mais  on ne  sait jamais,   un mauvais  sort est vite  arrivé ! 

Une  mamie  commençait,  relayée  par l’autre : le jour de la Chandeleur , une fermière  faisait  des  crêpes. Entre à  ce  moment  là , un chat noir . Les crêpes  collent à la  poêle, et sur  le coup  de  poignet,   tombent  dans la cendre, impossible   de continuer . Excédée,   la  cuisinière    jette   une crêpe brûlante  sur  le  museau  du  chat  qui   s’échappe  en miaulant  de  douleur . Les   crêpes  sont de  nouveau  réussies. Le lendemain , ne voyant pas  sa  voisine, elle   se rend  chez  elle  et  la trouve alitée  avec  un large  pansement  sur  le  visage . Elle  l’accuse  de  l’avoir   brûlée   la veille,   et   que tout  au  long de sa vie, elle  se vengera ! .Effectivement,  les   économies  sonnantes  et trébuchantes  soigneusement  cachées  entre  les draps   disparaissent, les   confits  sortent  des  pots  en terre, tout   ce qu’elle  entreprend échoue. Elle  va  donc  consulter   le devin   du village  qui lui  conseille,  les  jours  de  la Chandeleur, de   chasser  les  chats  de  la  cuisine mais   aussi  de  demander à son mari, au  moment où elle fait sauter la fameuse  crêpe   sur l’armoire, de tirer un  coup de fusil  dans  la cheminée, au  cas où  des sorcières  attirées  par   l’odeur  des crêpes  emprunteraient cette  voie  pour entrer  dans  la  cuisine 

Quelques  adages   accompagnaient la  chanson : «  Si  pour la  Chandeleur le temps  est beau,  il yaura  du vin comme  de  l’eau".

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