LE MOT DE GILLES
Gilles Cazanova donne régulièrement son point de vue sur les informations importantes, la lectures de ses analyses amène réflexion et matière à enrichir plus ... posément. Avec son accord, "le mot de Gilles" prend place dans nos colonnes, bonne lecture...
" Des dizaines de millions de sélectionneurs d'il y a 15 jours, nous sommes passés à des dizaines de millions d'enquêteurs, qui commentent au fur et à mesure de la production par les chaînes d'information en continu de tel ou tel élément de l'enquête niçoise, et concluent de manière définitive, sur des matières que les spécialistes n'abordent que de manière très prudente.
Chemin faisant, nous en sommes passés aussi à plusieurs dizaines de millions de stratèges qui nous proposent la méthode imparable pour garantir à la France, un avenir de « société en guerre » à zéro attentat, zéro mort.
Je lis que l'idée reine qui court partout sur les réseaux sociaux, et que les sondages, faits à chaud par des gens de peu de vertu, confirment, c'est que la restriction absolue de nos libertés aiderait à lutter contre Daech.
C'est est une idée qu'il faut examiner pour voir comment elle peut être mise en œuvre et aboutir à quelque chose de plus performant que ce que nous connaissons..
Si on veut que la réduction de nos libertés permette de lutter plus efficacement contre Daech, dans le conflit asymétrique que nous vivons, il faut augmenter de façon significative notre nombre de policiers et passer d'environ 200 000 policiers et gendarmes (dont il est difficile d'avoir plus de 12 000 en activité simultanée) à 2 ou 3 millions pour que cela ait le moindre effet et permette d'en avoir 100 à 150 000 en activité simultanée ce qui correspond à un tout petit peu de contrôle pour une population de 67 millions.
Pour mémoire il y en avait 7 millions opérationnels dans les années 70 en Espagne ou en Pologne, pour une population moindre.
Il faut accepter donc de changer très profondément la société et de réduire de 35 à 45 % nos revenus. C'est cela une société en guerre.
Il faudra aussi supporter dans une période intermédiaire de 5 à 10 ans, un rythme d'attentats comparable à ce que nous connaissons, pendant la montée en charge.
C'est ainsi la terrible réalité de la vie, ou bien vous prétendez être « en guerre » ou bien vous prétendez simplement être dans une série télé sur la guerre…
La réalité est beaucoup moins amusante que les téléfilms.
Le 13 novembre, le maire de Nice, a indiqué fièrement, qu'avec la vidéo surveillance et la police municipale armée, jour et nuit, dans sa ville des événements comme ceux de Paris n'auraient pu avoir lieu. C'est cependant la même ville de Nice, dotée des mêmes moyens, qui a connu les événements tragiques de 14 juillet. On voit donc à quel point c'est d'une toute autre échelle qu'il y aurait besoin pour arriver à prévenir des attentats commis par des personnes décidées à mourir.
Ce n'est donc pas du tout dans des proclamations guerrières ou l'appel à un « durcissement » de notre société qui il y a la moindre lueur d'espoir pour faire diminuer le nombre d'attentats.
La presse britannique, grand peuple qui a su résister à bien pire que nous, est d'ailleurs très surprise de l'idée répandue en France qu'un gouvernement, quel qu'il soit, aurait la possibilité d'empêcher des attentats commis par des gens décidés à mourir pour les commettre. Elle souligne le caractère extrêmement dangereux qu'aurait le maintien de cette illusion, pour la démocratie en France.
La force de la secte à laquelle nous sommes en train de retirer ses derniers territoires au Proche-Orient, mais qui gardera sa force, même sans aucun territoire, c'est de fournir un dieu, une espérance, un prétexte, pour donner un sens à sa mort, à des gens qui n'arrivent pas à donner un sens à leur vie. Si nous voulons arriver à traquer toutes les personnes qui, dans la société française, n'arrivent pas à donner un sens à leur vie, il nous faudra une police extraordinairement large.
Le traitement de fond consiste d'abord à essayer de produire moins de désespérés. Mais ce n'est pas un traitement dont on verra le résultat rapidement. Le second traitement consiste à donner de l'espoir dans notre société et l'aider à sortir de sa dépression. Ce n'est probablement pas en considérant qu'il faut traquer une cinquième colonne dans cette société qu'on redonnera un espoir à quiconque.
Nous avons été confrontés à des séries d'attentats organisées par des services secrets ou des services spécialisés dans les 30 dernières années, et qui provenaient aussi du Proche-Orient.
Intervenir sur les lignes logistiques de préparation de ces attentats a permis d'en déjouer un certain nombre, pas tous. Dans le cas dans lequel nous nous trouvons, nous avons une double source des attentats, une source qui provient effectivement des moyens de l'État islamique, une autre qui provient de la folie individuelle de quelqu'un qui va décider de se relier à eux par un discours sur l'Internet. C'est évidemment une situation beaucoup moins favorable pour permettre à des services de renseignement d'intervenir suffisamment tôt.
Donc, les autorités ont parfaitement raison de nous mettre en garde sur le fait que nous ne pourrons pas plus empêcher en France qu'en Allemagne un fou d'attaquer à la hache des gens dans un train comme ce fut le cas cette nuit, ou un autre de foncer dans sa voiture sur des gens qui font leurs courses, dans une rue commerçante de n'importe quelle ville de France.
On peut condamner ces dirigeants de notre pays, on peut en changer dans quelques mois, mais les suivants, quels qu'ils soient, ne pourront pas faire mieux."