Dimanche 27 novembre avait lieu l'assemblée générale de la Bienfaisance.
Comme elle en a l'habitude, Christiane Georgen-Trépout, sa présidente, aime terminer cette assemblée générale par une note culturelle.
Cette année, en lien avec le voyage de l'association à la cité du vin de Bordeaux, elle a choisi de conter à l'assemblée l'histoire de la Bacchante vicoise.
Merci à elle de nous faire partager son exposé illustré par d'anciennes cartes postales de Vic-Fezensac.
"Dans l’antiquité, les Grecs et après eux les Romains célèbrent leurs dieux en leur élevant des temples et en organisant de grandes fêtes.
Ce fut le cas pour Dionysos et Bacchus, dieux respectifs de la vigne et du vin.
Au XXI eme siècle, Bordeaux construit un temple dédié aux vignes et aux vins du monde entier où Bacchus règne en maître : la Cité du vin.
Au début du XIX ème siècle à Vic, d’une manière plus modeste, la ville célèbre Bacchus par le truchement d’une prêtresse nommée « La Bacchante » sous forme de statue (Les bacchantes étaient les organisatrices des fêtes appelées les Bacchanales, où les orgies et les libations sont de mise)
Mais comment et quand la Bacchante est-elle arrivée à Vic ?
C’est une petite histoire locale qui s’imbrique dans la grande.
En 1888, François Gabarrot est élu maire…
Voilà comment est l’église et son pourtour : un patus (terrain vague), l’auvent qui sera détruit en 1908.
Monsieur Gabarrot fait consolider les murailles au Nord, le long du chemin de ronde, et construire l’escalier qui descend à l’étang de Lannes (place du Collège actuellement).
Imaginez ce patus sans le monument aux morts (1924), et sans la halle (1934 à 1936).
Le Maire Gabarrot veut le mieux pour Vic comme tous les maires : il désire l’embellir, en faire une cité attractive, que l’on nommera plus tard sous la mandature Delucq « Cité du commerce et de la joie ».
Les murets sont prolongés jusqu’à l’artère principale en face la Banque Populaire et des fleuristes aujourd’hui surmontés de balustrades et le tout complanté de platanes.
Nouvelle place ombragée devant l’église qui se poursuit par des allées ombragées que l’on nomme promenades et qui prennent le nom « d’allées Gabarrot », en l’honneur de son instigateur décédé en 1900 subitement après seulement une mandature de 2 ans.
Le Maire qui lui succède est Brice Darroux.
Brice Darroux poursuit l’embellissement de ces allées en créant un square.
En 1901, le 2 juin, lors d’une délibération du Conseil Municipal de Vic, Mr Darroux propose à son conseil une concession du Ministère des Beaux Arts de Paris.
Il s’agit d’une statue grandeur nature en bronze nommée « La Bacchante ».
C’est en 1903 qu’elle prend place aux allées Gabarrot sur un magnifique socle de pierre.
Les allées Gabarrot s’agrémentent ainsi d’un square.
On s’y promène, on vient s’y faire photographier, on en tire des cartes postales.
Mais par quel miracle « La Bacchante » parisienne devint-elle vicoise ?
Le directeur des Beaux Arts de Paris est Henri Roujon. Son père est originaire de Vic-Lagraulas, donc il connait notre cité et ses édiles. Ceci expliquant cela.
Joseph Henri Roujon - nous avons la rue Roujon perpendiculaire aux allées- est un haut fonctionnaire, essayiste et romancier français. Il est le secrétaire particulier de Jules Ferry après avoir été membre de son cabinet. En 1891 jusqu’en 1914, il est nommé directeur des Beaux Arts de Paris et élu à l’académie française en 1911. C’est un homme important.
A la même époque, toujours à Paris et toujours aux Beaux Arts, un autre personnage Henri Charles Maniglier est présent.
Après avoir été élève, il devient professeur de sculpture : un professeur de grand talent, qui enchaine tout au long de sa carrière les plus hautes distinctions, dont une médaille de Bronze aux expositions universelles de 1889 et 1900. Parmi les œuvres proposées lors des différents concours, se trouve « La Bacchante » présentée en plâtre au salon de 1888, reparue en bronze au salon de 1893 et à l’exposition de 1900.
L’artiste meurt en 1901. Sa sœur hérite de ses œuvres et demande à l’Etat l’achat de la statue. L’Etat l’achète pour la somme de 5 000 francs (un ouvrier gagne 3 à 4 francs par jour). Les œuvres sont affectées à différentes villes. Voilà comment on a hérité de « La Bacchante » à Vic.
Elle reste vicoise jusqu’en 1943, où elle nous est « raflée » par les Allemands pour la fondre.
Le socle reste orphelin jusqu’en 1946, après la fin de la guerre.
C’est lors de la cavalcade de 1946, quand reprend une vie quasi-normale, que notre Bacchante va réapparaître : c’est ce qui est proclamé.
Arrive le jour « J » de la Calvacade - on ne parle pas encore de Pentecôte à Vic…
Les gens se massent sur le square où toute une mise en scène est organisée pour cet événement.
On dévoile la statue et au bout d’un moment la statue bouge : on comprend alors la supercherie du Comité des Fêtes présidé alors par Jean Mothe.
En fait, il s’agit d’une jeune femme, pommadée couleur bronze, qui offre son corps à la foule.
Pour la petite histoire, la jeune femme vient du Barry et a un surnom peu aimable « la lagagnouse » à cause d’une maladie des yeux qui lui donne des « lagagnes ». La pommade n’est pas dangereuse puisque c’est le pharmacien Péres (père de Jean et grand père de Bernard et Anne –Marie) qui l’a préparée.
Il paraît aussi que ce sont ces messieurs du Comité des Fêtes qui lui ont enduit le corps de cette pommade (on ne parle pas de maquillage).
On dit aussi que le Maire d’Eauze, à qui les Allemands ont raflé une statue en bronze, est présent à la cérémonie, voulant savoir comment ces sacrés Vicois ont procédé pour récupérer la fameuse statue !
Tout le monde a bien ri de cette plaisanterie coutumière lors des cavalcades.
Grâce aux cartes postales, aux différents témoignages oraux, notamment celui de M.Montané dit Tatane, le souvenir de « La Bacchante » perdure.
C’est pourquoi cette œuvre magnifique, ainsi que cette « Lagagnouse », qui a offert son corps à la postérité méritent bien un hommage sous forme de poème d’un autre grand artiste…
Allégorie
C’est une femme belle et de riche encolure,
Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.
Les griffes de l’amour, les poisons du tripot,
Tout glisse et tout s’émousse au granit de sa peau.
Elle rit à la Mort et nargue la Débauche,
Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche,
Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecté
De ce corps ferme et droit la rude majesté.
Elle marche en déesse et repose en sultane ;
Elle a dans le plaisir la foi mahométane,
Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins,
Elle appelle des yeux la race des humains.
Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde
Et pourtant nécessaire à la marche du monde,
Que la beauté du corps est un sublime don
Qui de toute infamie arrache le pardon.
Elle ignore l’Enfer comme le Purgatoire,
Et quand l’heure viendra d’entrer dans la Nuit noire,
Elle regardera la face de la Mort,
Ainsi qu’un nouveau-né, sans haine et sans remord.
Charles Baudelaire
Exposé de Christiane Georgen-Trépout