Pour ceux qui n'auraient pas lu la première partie de la nouvelle de François Macé cliquez ici
Voici la suite :
Peu à peu, l’abbé Simonsen comprend que l’agitation provient de sa chambre.
Il pose sur la table la moitié du croissant qu'il lui restait à manger et tend l’oreille.
Il perçoit :
- C’est quoi cette histoire ! C’est la voix forte de Jean-Luc le barman.
Une sourde appréhension monte à l’esprit du curé. Il appuie ses deux mains sur le bord de la table et se lève.
D’un pas leste, il gagne le couloir pour retrouver sa chambre.
Quatre personnes sont présentes.
Isabelle, la jeune femme de ménage. Elle est sobrement vêtue d’une blouse blanche qui laisse voir son jean’s et ses chaussures noires portant des lacets avec des glands. Elle a tout juste vingt-cinq ans et elle va se marier avec le policier municipal qui est un brave garçon.
Les deux cuisiniers portant chacun une tenue blanche offerte par un fournisseur de viande.
Vu l’heure matinale, elles ne sont pas encore tachées de sauce ou de brûlures diverses. Le chef porte une imposante moustache, il joue dans une pièce de théâtre dans la compagnie vicoise. Donc, depuis un mois, il cultive cette moustache qui lui vaut bien des commentaires. Il est dans la cinquantaine, ses cheveux courts commencent à devenir grisonnants.
Son second est plus jeune , la vingtaine, il joue au rugby, il est demi de mêlée. C’est à ce titre qu’il est embauché, plus que pour la réputation de ses sauces ou de ses entremets.
Ses cheveux courts, très noirs, dépassent du bonnet blanc en papier.
Ses grandes mains sont posées sur ses hanches.
Pierre, le dernier est le patron, il porte chemise blanche et un indémodable pantalon gris en flanelle. Il a soixante ans environ et il apprécie la pétanque et la lecture de recettes de cuisine.
- Vous tombez bien !
Pierre dévisage le curé qui vient d’entrer dans la petite pièce.
Tous n’ont d’yeux que pour la valise à moitié ouverte sur le lit.
- Elle était posée sur le lit, j’ai voulu l’attraper par la poignée et elle s’est ouverte toute seule.
Isabelle tentait de se justifier ou tout du moins de s’expliquer.
Calés par des chaussettes pourpres, une chemise blanche et quelques missels, un vieux calice artistiquement ouvragé, un crucifix en ébène.
Un crâne et deux tibias et une boîte dorée avaient roulé sur le dessus de lit orange.
Tous ouvraient des yeux ronds et ne quittaient pas du regard l’étrange spectacle.
Le crâne lisse et brillant ne portait plus aucune trace de chair ni de cheveux.
En quarante ans d’hôtellerie, Pierre en avait vu bien des drames. Il connaissait les premiers gestes à tenir.
- Vous sortez tous !
Il prend sa respiration.
- Il faut laisser la chambre dans l’état, c’est une scène de crime.
Il n’était pas mécontent de la formule qui lui était venue à l’esprit.
- Quant à vous, l’abbé, je suis désolé. Je me dois de prévenir les gendarmes.
Jean-Luc le barman referme la porte avec cérémonie avec son passe.
Cet événement couperait la monotonie de la matinée. Il aurait quelque chose à raconter en servant les cafés. Si tout va bien, il risque de doubler son chiffre d’affaire en raison des curieux attirés par tout ce tumulte
Le curé attend assis dans la salle du restaurant. Il a les yeux perdus dans le vague. Il fixe le calendrier de la poste accroché derrière le bar qui lui fait face.
Les gendarmes arrivent au nombre de quatre, vingt minutes plus tard. Pierre les accueille dans la salle du café et leur explique sommairement l’histoire. Les correspondants de la presse locale sont là, prévenus par le bouche à oreille.
L’abonné à "Marianne" est déjà en train de leur narrer ce qu’il sait de l’affaire. Il y voit une conspiration des opposants au maire en place.
Le plus grand des gendarmes, très mince, le visage glabre dans un uniforme impeccable entre dans la salle du restaurant et s’adresse avec respect au curé. Il ôte sa casquette qu’il tient de la main droite.
- Je ne peux rien vous dire, commence par dire le curé.
- Allons, dans votre chambre pour regarder tout cela.
Sous le regard des consommateurs qui tendent le cou et des employés, le curé suit les gendarmes dans l’escalier.
Le plus jeune, porte la valise contenant un nécessaire à prélèvements. Pierre est monté avec eux et ouvre la porte avec son passe. Il agit cérémonieusement. Ce dernier se sent investi d’une mission importante. Cela n’arrive pas tous les jours et heureusement.
Les gendarmes entrent et referment la porte sur le nez de Pierre un peu surpris. Il se retrouve dans le couloir désappointé. En son for intérieur il leur en veut un peu. Il les a prévenus !
Les quatre gendarmes observent le lit et la valise et son contenu à demi sorti.
- Je l’ai mal refermée, en la laissant sur le lit, j’ai commis une maladresse. La femme de ménage aura voulu la déplacer et elle se sera ouverte.
- Je veux bien croire que cela ne fait pas votre affaire Monsieur le Curé.
L’un des gendarmes resté silencieux se permet de commenter.
- Psst Le chef impose le respect, c’est lui qui diligente l’enquête.
Il ordonne de poser la valise contenant le nécessaire pour les prélèvements. Il ouvre et enfile des gants en latex. Il commence à bouger les quelques effets personnel de l’ecclésiastique.
Le gendarme jure comme un charretier :
- Bordel et cela c’est quoi des chandeliers ?
Il venait de sortir deux tibias. Les os semblaient très vieux, tout gris comme prêts à se rompre. Ils prennent le chemin des sacs à prélèvements et à pièces à convictions.
- Je suis désolé, il va falloir nous suivre et nous donner des explications à la brigade, je suis obligé de vous mettre en garde à vue.
Sans autre forme de procès, il passe les menottes au curé.
- Que font ce crâne et ces ossements humain dans votre valise ?
- Je ne peux pas répondre !
- Il le faudra bien !
- Je ne peux que révéler tout ce que je sais à Monseigneur l’Evêque et avec le sacrement de confession.
- Vous ne vous en tirerez pas avec Deux Avé et un Pater !
Le curé baisse les yeux.
Le curé sort entouré des gendarmes le mains menottées dans le dos. La salle du bar est comble. C’est l’heure de l’apéritif.. L’abonné à Marianne exulte car un tantinet anti-clérical de gauche. Il prend des photos avec son téléphone pour les envoyer au magazine en espérant être nommé dans le courrier des lecteurs.
Dans le bureau de la gendarmerie, le ton n’est pas à la plaisanterie. Le curé est assis en soutane face à deux gendarmes qui souhaitent savoir qui a été tué et quand.
Le curé s’enferme dans le mutisme le plus obscur. Les gendarmes en ont vu d’autres qui ont fini par s’expliquer.
Le maire est venu aux nouvelles. Il est renvoyé avec un ménagement très militaire. Autrement dit, il lui a été demandé d’aller voir ailleurs et de laisser faire la justice.
Il est quinze heures. L’évêque arrive. Il est enveloppé, voire gros, dans un costume noir de clergyman. Il porte les même chaussettes pourpres que le curé. Il a dans la soixantaine et les kilos superflus lui coupent le souffle.
- Vous le reconnaissez ?
- Ben oui ! C’est l’abbé Simonsen !
- Les restes humains sont déjà partis pour expertise à l’Institut médico-légal de Toulouse.
- Pas la peine, je sais à qui ils sont !
Le gendarme le laisse entrer dans le bureau où est retenu le curé. Secrètement il aimerait bien arrêter un évêque. Le curé lui ne porte plus les menottes pour l’interrogatoire.
- Vous me promettez de garder le secret, mon fils ?
- Ce n’est pas possible, nous sommes deux et nous devons consigner tout ce qui sera évoqué dans cette pièce.
L’évêque est embarrassé.
- Il me faut réfléchir !
- Faites vite !
Le gendarme commençait à manipuler sa paire de menottes d’une manière nerveuse.
Le second gendarme sans doute plus humain, propose une vieille chaise à l’évêque. Il s’assoit lourdement.
Les yeux de l’évêque se portent sur les chevilles du curé. Il remarque les chaussettes, le curé soupire en baissant les yeux.
- Cet homme porte des chaussettes réservées à la charge épiscopale…
- On s’en moque ! lui répond le gendarme. Le crane et les tibias, ils sont à qui ?
- Sainte Fauste ? Vous connaissez.
L’évêque commençait à vouloir donner un début d’explication. Ce dernier connaissait son curé qui était capable de tout pour ce qui lui semblait une bonne action.
- Ce n’est pas la peine Monseigneur, ils ne vous croiront pas ! interrompt le curé qui sentait le vent tourner.
- Sainte Fauste est une martyre locale qui a joui d'un grand prestige entre le Vème et IXème siècle dans ce coin du "Cazauboès". Elle dut vivre à l 'époque où le roi Euric, arien fanatique, faisait massacrer les catholiques La dévotion à Sainte-Fauste dura plusieurs siècles. De grands prodiges s'opéraient sur son tombeau, autour duquel affluait une foule de pèlerins et de croyants.
Ses reliques furent longtemps conservées et honorées au même lieu, dans une église construite sous son invocation, et que les Normands détruisirent l'an 864.
Le moine Aldaire, devait les rapporter au Monastère de Solignac. Il arriva après le pillage des Normands à Fesenzac, au sanctuaire de sainte Fauste, qu'il avait appris avoir été détruit par les barbares et écartant de suite les décombres sous lesquels était enfoui le corps de la Sainte, il l'enleva à l'insu des habitants, et le transporta au monastère de Solignac.
De Solignac, les saintes reliques furent transportées, en 1247, au diocèse de Bourges, dans l'abbaye Cistercienne de Notre-Dame de la Prée, près d'Issoudun.
Je soupçonne donc mon curé d’avoir dérobé ces reliques pour les ramener à Vic. »
Le curé Simonsen met la tête entre ses mains. Il respire très fort.
- J’ai acheté à un antiquaire de renom les reliques de cette sainte. Il a conservé le reliquaire très beau et orné de pierres précieuses. Ce sont les véritables reliques de Ste Fauste qui avaient été perdues au fil des siècles.
- Combien ? interrogent ensemble évêque et gendarme.
A ce moment le téléphone sonne. Le gendarme décroche et commente :
- C’est l’institut médico-légal à qui j’ai demandé un premier avis.
Le gendarme hoche la tête et semble perplexe.
- Vous êtes certain ?
Il appuie sur le bouton du haut-parleur du téléphone.
- Aux premières investigations, le crâne date au mieux du 18 ème siècle et l’un des deux tibias du début 19ème, l’autre on a du mal mais c’est très ancien du genre 16ème. Je vous confirme tout cela dans la semaine.
Le gendarme devient plus jovial.
- Combien au fait ?
- 3000 euros… avoue le curé.
L’évêque soupire.
- Est-il permis d’être aussi naïf !
- Vous restez à la disposition de la justice.
- Il est libre ? interroge l’évêque.
- Forcément, à plus au moins deux cents ans près, le mort ou les victimes sont décédées et votre curé n’y est pour rien !
Dans le timbre de la voix un léger regret :
- Le ou les morts étaient déjà morts à une date qui remonte bien avant la naissance de votre curé !
- On fait quoi ?
Le gendarme s’adresse aux deux hommes.
- Vous me signez tout cela et je vous convoquerai dans la semaine.
Le gendarme narquois ajoute :
- N’oubliez pas de dire une messe pour le repos de l’âme des inconnus qui ont transité dans la valise.
Le curé se lève. Il est plus rouge que les chaussettes des deux hommes d’Eglise.
Texte et illustrations : François Macé