Le petit monde de Vic : Le curé aux chaussettes pourpres

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Première partie

Comme nous vous l'avons annoncé jeudi, voici donc la première nouvelle que nous propose l'écrivain François Macé.

Pour rappel, il s'agit bien entendu d'une pure fiction qu'il a choisi d'ancrer dans un contexte local.

https://lejournaldugers.fr/article/47668-prochainement-le-petit-monde-de-vic

 

On est en septembre 2019, bien avant la crise sanitaire arrivée avec l’ouverture de la pêche en 2020.

Il est huit heures tapante. Il est relativement tôt. Pourtant, tous les matins de la semaine, tout un petit monde se retrouve avant d’aller au travail au Café des Sports.

Jouxtant l’établissement, un hôtel-restaurant familial géré par la même famille depuis peu. Il porte le nom d’un mousquetaire célèbre.

Les retraités sont les plus nombreux a fréquenter le café. Très peu de femmes. Non pas qu’elles soient bannies, loin de là, c’est juste un constat.

Les mauvaises langues disent souvent que les vieux messieurs fuient la maison et le cerbère qui la régit.

Les dames présentes ne mâchent pas leurs mots en évoquant soit leur défunt mari ou, s’il vit encore, le goujat qui sommeille en lui. Il est rarement pardonné l’oubli répété des anniversaires.

Parmi les réguliers, un grand gaillard –retraité- qui ressemble à un pèlerin de St Jacques.

Il ne quitte jamais son bâton de marche. Son rayon d’action est le centre ville. Un bob pour le protéger du soleil qu’il porte été comme hiver.

Les tables sont distribuées par tranches horaires, ce sont toujours les mêmes qui s’y retrouvent.

Trois vieux policiers à la retraite (eux aussi) commentent les faits divers (tous plus horribles les uns que les autres) relatés par la Dépêche posée à demeure sur le comptoir.

Les turfistes sont installés au fond à proximité d’un écran de TV présentant les courses.

Ce n’est plus l’ambiance animée des tiercés dominicaux d’autrefois.

Patrick est un homme (retraité depuis peu), toujours élégamment vêtu d’une veste de costume (jamais la même), il porte cravate sombre et chemise blanche.

Il ne quitte jamais le magazine "Marianne" auquel il est abonné. Il vante à tous les mérites de sa rédactrice en chef qu’il verrait bien comme prochain Président de la République.

Sa corpulence est moyenne, le regard est chaussé de lunettes rondes en fer. Il aime la politique qu’il commente auprès de qui veut l’écouter.

Il ouvre le magazine souvent pour appuyer ses raisonnements. Il pourrait l’acheter chez le libraire d’à côté mais il est abonné. Cela fait plus chic.

La réalité est qu’il vit seul et la visite de la factrice lui est agréable. C’est une jolie jeune femme de trente ans.

Il porte ses soixante ans avec une forme de jeunesse tant dans le regard que dans sa manière de marcher.

Tout ce petit monde bavardait en se passant la Dépêche. Jean-Luc le jeune barman les servait parfois avant qu’ils aient commandé. Parfois, il commettait une bévue quant à savoir si le petit noir devait être « serré » ou « allongé ». Cela occasionnait des rires et les tasses changeaient de table sans autre formalité.

Par la porte restant constamment ouverte, un homme corpulent entre. C’est un curé vêtu d’une soutane noire. La barrette sur la tête, qu’il ôte avec un geste gracieux .

L’homme d’église doit avoir sensiblement dans les quarante ans. Le col de chemise de clergyman en impose également.

Le cheveu court et le regard malicieux, il salue les présents.

Il porte une petite valise métallique verte comme celle des militaires.

Le silence lui répond tant la présence paraît improbable et surprenante.

Jean-Luc, derrière son comptoir lui lance :

- Bonjour Monsieur le Curé, je vous sers quoi ? 

Toutes les conversations s'arrêtent. Seule la télévision annonce le temps qui se refroidit.

- Un grand café, deux croissants. Je viens d’arriver par le car de 7h30 rempli de gosses bruyants.

L’homme avance, tous voient ses grosses chaussures impeccablement cirées. Elles brillent sous l’éclairage des néons.

Tous observent ses chaussettes pourpres, elles tranchent avec la noirceur des souliers.

- Je suis l’abbé Simonsen, je suis d’origine norvégienne, cela explique le nom. Je suis votre nouveau curé.

Le silence est, peu à peu, rompu par des commentaires inaudibles.

- Pour une fois que ce n’est pas un Italien ! 

On ne saura jamais qui a lancé cet anathème. Le curé sourit.

- Je suis pire que les Italiens, vous allez les regretter !

Une réponse est lancée du fond du bar :

-On a eu aussi les Hollandais, ils ne buvaient pas que du vin de messe… 

Il regarde le barman :

- Je souhaiterais une chambre pour la nuit prochaine. Je suis en avance d’une journée. Le presbytère n’est pas encore prêt à me recevoir. 

La valise semble un peu lourde. L’ecclésiastique la pose sur le comptoir en poussant délicatement la tasse à café d’un retraité portant béret et chemise à carreaux.

L’intéressé n’esquisse aucune réflexion. Un curé ce n’est pas un homme comme les autres, c’est un curé au même titre que l’instituteur ou le maire.

A Vic, c’est une trilogie à laquelle on peut ajouter les médecins car les habitants vieillissent et le docteur est respecté également.

Une table se libère, l’abbé Simonsen s’y installe avec sa valise qu’il pose avec respect au sol à proximité de sa chaise.

Jean-Luc lui apporte une grande tasse de café fumant avec une corbeille de croissants.

Les bavardages reprennent peu à peu. On ne peut pas dire que l’ambiance ressemble à celle habituellement constatée.

Les invectives sont rares et le français plus châtié.

Le curé observe silencieusement l’écran des turfistes.

- Vous devriez jouer la jument « Jolie cœur ».

- Pourquoi donc ? 

- Cette jument appartient à la sœur de Monseigneur l’Evêque.

Des regards ahuris lui répondent.

-  Autrefois les Evêques avaient des châteaux…

L’abbé Simonsen ne relève pas. Il n’est pas là pour commenter les propriétés de la famille de l’Evêque.

L’ambiance est un peu pesante. Quelques-uns sortent sur la terrasse pour se sentir à l’aise.

Jean-Luc revient vers le curé :

- Je vous donne la cinq, elle a vue sur la place. Voulez-vous que je vous y porte votre valise ? 

L’abbé Simonsen refuse poliment. Jean-Luc est un peu surpris mais n’insiste pas.

Il n’est pas loin de neuf heures. C’est l’heure du Maire. Jovial, c’est un ancien sportif de haut-niveau. C’est un peu pour cela qu’il est maire.

Il a le verbe haut.

- Bon Dieu, l’abbé Simonsen !

Tous les présents se retournent.

Le maire n’est visiblement pas reconnu par le curé.

- Je suis Falkoviac, le demi-centre de l’équipe de France de 98.

Le curé ouvre des yeux ronds.

- Vous avez béni l’équipe dans les vestiaires ! Et ensuite après le match vous avez bu avec toute l’équipe. Vous ne vous souvenez vraiment pas ?

Le maire insiste :

- On avait été dans une boîte à strip-tease et là vous avez aussi béni les filles ! 

Le curé semblait gêné à l’évocation de ce dernier fait. Son croissant tremblait dans le café.

- Le temps a passé, mais votre visage me dit quelque chose maintenant… J’avais peut-être un peu trop bu !

- Un cinq à deux contre l’Espagne, tout cela après votre bénédiction, on ne pouvait pas faire moins !

Le maire porte élégamment un costume gris clair impeccable, seule la cravate était absente les jours de semaine. Cette dernière était uniquement pour la messe de 10h30 le dimanche.

Il le serre dans ses bras avec une virile accolade.

- Au moins, nous pourrons parler foot ! 

- Je préfère le rugby qui est un sport de gentlemen et qui est plus local.

Le conversations commencent à reprendre dans la salle. L’abonné à "Marianne" commence à parler des malversations liées aux transferts des joueurs.

- Ici on parle rugby ! lui est-il répondu d’un ton ferme par le curé.

Le maire est un peu désappointé. Il avale très vite son « petit noir » et traverse la place vers son bureau.

Quelques minutes plus tard, il est appuyé contre le balcon de la mairie et observe la terrasse du café les yeux perdus dans ses souvenirs.

Vers neuf heures trente, le curé se lève et prend la direction du presbytère.

- Maintenant je suis attendu par Madame Loubet.

Elle est connue au café (qu’elle se garde de fréquenter) car estampillée « grenouille de bénitier ».

Elle a soixante-dix ans et est toujours vêtue de la même robe grise qui engendre la mélancolie.

Ses cheveux coiffés en chignon sont du  même gris.

Vers neuf heures trente, le lendemain matin, le curé déjeunait dans la salle du restaurant.

Il était seul. Impeccablement vêtu dans sa grande soutane noire, pas un pli qui ne soit pas à sa place. Cela place le personnage dans la fonction.

Quelques allées et venues de la femme de ménage et du cuisinier qui commençait à préparer le repas du midi.

Des rires et des plaisanteries étaient échangés en cuisine.

Soudain, dans les étages un cri résonne. C’est la jeune femme qui prépare les chambres.

Elle est chargée du ménage, de changer les draps et de vérifier l’hygiène de la pièce.

Le cuisinier et son second courent dans l’étroit escalier qu’ils montent quatre à quatre.

Le cri cesse remplacé par des bruits de pas dans tout l’étage.

Fin de la première partie.

La suite demain !

Texte et illustrations : François Macé

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