On a parlé l’autre jour des organisateurs de bals clandestins qui bravaient les interdits en temps de guerre.
Les files d'attente à l'extérieur des boulangeries en cette période de crise sanitaire peuvent raviver les souvenirs des années de guerre quand on attendait sa ration de pain à récupérer avec son ticket.
En effet, un autre interdit était celui qui affectait les moulins et la confection de pain.
Les Allemands et les Français du régime de Vichy avaient mis toutes les minoteries à l’arrêt en condamnant les meules à l’aide de chaînes cadenassées.
Mais en Gascogne, on est têtu et obstiné et il y avait toujours quelqu’un qui trouvait un moyen de désentraver les meules, de les faire tourner puis de les cadenasser de nouveau : ni vu ni connu !
Je me souviens d’un petit meunier qui avait un moulin sur la Guiroue.
Il se situait à proximité de la Monjoie…
Aujourd’hui, il est en ruines mais les meules demeurent et témoignent de son activité passée.
En temps de guerre, ces fameuses meules tournaient la nuit à partir de 21 h sauf par nuit claire, auquel cas, le meunier ne prenait pas le risque de les mettre en action.
La nuit devait être bien noire et une fois dans le moulin, on veillait à ne pas voir de lanternes qui auraient pu signaler la présence de la police.
Les gens apportaient leur petit sac de blé.
Je me souviens que mon père posait sur son porte-bagage un sac de blé de 30 kilos et il mettait sur le cadre de mon vélo une quinzaine de kilos ; on partait alors pour le moulin.
Nous n’empruntions pas la route mais les petits sentiers de vigne, ce qui rendait le trajet plus sûr mais aussi plus difficile !
Quand on pénétrait dans le moulin, on y retrouvait 4 ou 5 personnes qui avaient elles aussi apporté leur blé.
La première des choses que mon père faisait était d’aller mettre la main dans la comporte où tombait la farine pour la humer : « Jamais on ne retrouvera une telle farine ! », disait-il.
Chacun avait amené quelque chose pour patienter pendant que les meules faisaient leur travail, qui un litre de vin blanc, qui un gâteau, qui, un paquet de tabac, denrée précieuse à l’époque.
J’ai souvenir d’un petit vieux qui maugréait : « Ils vont me vider le paquet ! »
Effectivement, quand il repartait, il ne lui restait que le papier contenant quelques brins!
On ramenait à la maison de la farine pour faire du pain bis, le pain de tous les jours.
Ma grand-mère tamisait parfois un peu de farine pour faire du pain blanc – un pain très prisé à l’époque- que l’on le cuisait dans le four de campagne.
C’était un plateau posé sur 4 pieds dans lequel on plaçait la pâte en forme de couronne.
On recouvrait le tout d’un couvercle en fer à rebords dans lequel on mettait les braises et on cuisait le pain.
Un jour arrivent les gendarmes qui s’étonnent de la bonne odeur de pain en train de cuire…
Heureusement, c’était des gendarmes connus de la famille ; ils avaient autrefois sauvé des juifs et ne nous dénonceraient pas. Il avait toutefois fallu leur en céder quelques tranches !
En effet, le pain était rationné et on ne l’obtenait qu’avec des tickets.
Pour les gens de la campagne, les grandes tranches de pain font partie du quotidien, cette privation était donc très difficile. On bravait alors l’interdit...
Pierre Dupouy